Pearl Silberman. Lettre à Claude Askolovitch: La névrose ashkénaze plus le Parkinson, ça c’est un joli bordel :)

Très cher Claude, bonjour, permettez-moi de vous écrire ces quelques lignes pour vous remercier à bon nombre d’égards.

1. Merci tout d’abord d’avoir choisi d’adopter à nouveau votre patronyme originel. Mon père Serge, qui se rappelait de Roger Ascot avec amitié, disait souvent de vous: “C’est remarquable qu’il ait choisi leur nom d’origine alors qu’il a une visibilité plus importante que son père” (pas étonnant venant de quelqu’un qui finira lui-même par atteindre le grade d’officier de la légion d’honneur tout en portant avec fierté son patronyme imprononçable).

2. Petite parenthèse, il était un Juif qui aimait les Juifs: Français ou Étrangers, de gauche ou de droite, grands ou petits, ashkenazes ou séfarades, bref quelqu’un qui n’était plus en accord avec son temps (celui des réseaux sociaux, des clashs, du bashing et de l’individualisme poussé à l’extrême). Moi aussi je rends hommage à ceux qui m’ont précédé.

3. Claude, ce n’est pas pour la fierté de votre ascendance, votre passion pour le football ou même pour vos chroniques enflammées que je souhaite vous remercier. C’est aussi pour cela bien sûr, mais c’est surtout pour votre dernière chronique sur Parkinson. Je ne sais pas si vous lirez ces lignes mais en réalité, je m’adresse aussi bien au Claude imaginaire qu’au Claude réel (que je ne connais pas), donc je sais que ce message sera bien reçu d’une manière ou d’une autre.

4. Ce n’est pas tant le choix du sujet mais davantage celui des mots (maux) qui vous distingue et qui rend cette chronique si particulière à mon cœur. Vous comprendrez en lisant les lignes qui suivent:

5. Comme si cela ne suffisait pas, en plus d’être juif ashkénaze français, expatrié en Angleterre depuis 12 ans, je suis également depuis l’âge de 31 ans porteur de la maladie de Parkinson. Les anglophones ont l’élégance d’appeler cela “Young (ou Early) Onset Parkinson”, qui crée une distinction avec sa forme plus “traditionnelle” qui se révèle le plus souvent à un âge avancé. En France malheureusement cette distinction n’existe pas. Nous sommes tous Parkinsoniens, sans nuance possible. La réalité est en fait toute autre, il y a autant de variations de Parkinsons que de sélectionneurs de l’Équipe de France ou d’amis animaux domestiques: 60 millions, voire plus. Ici, la nuance compte.

6. Le paradoxe de cette condition c’est qu’elle est au fond comme celle d’un juif ashkénaze en France, avec le cul entre 2/3, voire plus de chaises. YOPD – young onset Parkinson – est une condition dégénérative. C’est aussi un handicap mais pas tout le temps. Lorsque les médicaments fonctionnent, je suis normal (même un peu athlétique parfois); lorsque la dopamine artificielle s’amenuise dans mon cerveau, je redeviens ce Quasimodo, figé par des spasmes musculaires qui paraissent chaque fois de plus en plus longs. Le pire dans tout cela c’est lorsque mes orteils se figent. Symptôme annexe, la lenteur, (appelée fatigue neurologique): elle passe, car mon esprit fonctionne à plein régime.

Ce qui ne passe pas c’est l’immobilité totale qui me frappe lorsque mes orteils se figent. Osez imaginer (je le fais souvent moi même), petit-fils de 4 grands parents survivants de la Shoah, si les nazis devaient un jour revenir, par exemple entre deux doses de lévodopa, je serais là, figé dans une douleur innommable, prêt à les accueillir en grandes pompes (aucune allusions aux chaussures qu’il aura fallu retirer pour calmer la douleur), incapable de m’échapper.

7. La névrose ashkénaze plus le Parkinson, ça c’est un joli bordel 🙂

8. Parkinson, c’est bien sûr une maladie du système moteur, mais pas seulement. Elle vient avec son lot d’effets secondaires: insomnie, maux de tête, troubles de la digestion, pour ceux qui sont avouables (la liste est longue).

9. “C’est la maladie du tremblement non?” Euh oui, je crois, mais pas vraiment non plus. “Alors c’est quoi exactement? Et puis toi t’as l’air normal. Franchement si tu ne me l’avais pas dis, j’men serais pas rendu compte”.

10. Ce qui est chouette avec votre chronique, c’est que vous avez réussi à mettre des mots sur un schmilblick qui n’est pas vraiment définissable.

11. Au-delà de la visibilité que vous donnez à notre condition, c’est aussi une certaine dignité que votre chronique a su apporter. Pour reprendre vos mots: Oui cette maladie me phagocyte (et essaye de me consommer), elle ne m’annule pas. J’ai 36 ans, une femme époustouflante, deux enfants rayonnants et une carrière qui touche à son exponentiel, ce moment formidable dans la vie humaine où chaque année supplémentaire vaut plus qu’un bon paquet d’années initiales (sorte de mix d’expérience, savoir, connaissance(s) et sagesse).

12. J’ai besoin d’aménagements, certes, pour pratiquer du sport, gérer les moments du quotidien, me soigner en substance, mais je reste malgré tout d’utilité fonctionnelle. C’est comme pour les aveugles et sourds qui développent un 6e sens, il y a tout un lot de compétences annexes que j’ai même réussi à acquérir (incluant force mentale, résilience, imperméabilité à une certaine forme de douleur). La plus importante de toutes? C’est surtout l’empathie: on a tous un cartable que l’on trimbale tant bien que mal, parfois difficile à porter tous les jours, plus ou moins lourd.

13. Pour reprendre votre conclusion, j’arriverai peut être un jour à dire qu’il s’agit en fait d’une opportunité dans ma vie, mais en attendant, j’essaye chaque jour de l’accepter, d’avancer et de faire avancer les consciences et préjugés, y compris les miens. C’est pas tout mais c’est déjà pas mal.

© Pearl Silberman


La Chronique de Claude Askolovitch consacrée à Michael J. Fox

Lien vers la chronique De Claude Askolovitch

https://www.arte.tv/fr/videos/111549-003-A/michael-j-fox-la-chance-d-une-vie-avec-la-maladie-de-parkinson/

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