André Markowicz. Ła Quête de Ła pureté

Je ne sais pas ce qui se passe à Moscou au moment où j’écris (tôt le matin du 9 octobre), et, bon, je ne mène pas une chronique d’actualité, donc, je n’essaierai pas ne serait-ce que suivre la musique. Que ce soit Poutine qui, par Kadyrov et Zolotov (la garde nationale), essaie de se débarrasser de l’appareil de l’armée, ou Kadyrov et Zolotov et Prigojine qui passent à l’offensive en ne gardant de Poutine que la présence et, disons, le nom, nous verrons bien. — Je voulais parler d’autre chose, qui est, me semble-t-il, finalement plus grave. Parce que ça porte sur les guerres futures.

Ce que la Russie a apporté en Ukraine depuis le 24 février (ne parlons que de ça), je n’ai pas besoin de le redire ici. Il y a des centaines (oui, des centaines) de milliers de morts. Il y a la destruction de tout un pays — disons de toute la partie orientale (et traditionnellement russophone) du pays, la destruction systématique, je le répète, et cette barbarie (comment appeler ça autrement ?) institutionnalisée, cette horreur absolue de l’occupation, les viols, les tortures, toute la terreur qu’on peut (ou qu’on ne peut pas, plutôt) imaginer, au nom d’une idée simple : l’Ukraine, pour Poutine, n’existe pas. Elle fait partie du « monde russe », et si elle refuse de le reconnaître, c’est qu’elle est « nazie ».

La Russie mène en Ukraine, je le répète, une guerre d’extermination, — une guerre génocidaire. — Cela, c’est la donnée première, fondamentale.

Devant ça, l’Ukraine dérussifie. (Je parlerai de l’enseignement de la langue russe et de son usage dans une chronique à part). Elle enlève toute trace d’une influence russe, d’un passé russe, — toute trace du « monde russe », à l’intérieur de ses frontières. Il s’agit pour elle de se laver de son passé, de se purifier, en quelque sorte. De faire comme si, finalement, l’Ukraine présente avait été un continuum, en soi, depuis la fondation de Kiev, et un continuum toujours en lutte contre son colonisateur — russe. Il s’agit, exactement comme pour tous les nationalismes du monde, de se créer une épopée nationale et sans mélange. Une épopée que les Ukrainiens actuels seraient censés retrouver et revivre.

J’ai déjà beaucoup parlé de ça, j’en parlerai encore. D’abord, les ancêtres choisis par les nationalistes actuels, bien avant le gouvernement de Zélensky, sont encombrants. — Bogdan Khmelnitsky, hetman des cosaques au XVIIeme siècle, présenté comme héros de liberté, a, si je comprends bien l’histoire, lui-même demandé l’aide du tsar russe pour lutter contre les Polonais (et le tsar s’est empressé de la lui fournir pour s’emparer de l’Ukraine) ; surtout, il est à l’origine d’une vague de pogroms qui ont été les pires en Europe depuis ceux les croisades. Ils ont fait des centaines de milliers de morts. Et puis, il y a Bandera et les siens (je n’entre pas dans les détails). Le fait qu’en 2007 (là encore, donc, le gouvernement actuel n’y est strictement pour rien), à Lvov (ou Lviv), on lui ait dressé un monument grandiose — dans une ville où il est factuellement établi que ce sont ses partisans qui ont organisé le pogrom de juillet 41…

Bon, là encore, j’en ai déjà parlé : les nationalistes ukrainiens, se battant pour « l’ennemi de mon ennemi », ont participé activement au Génocide, et, j’y reviens toujours, les lois mémorielles de 2015 restent pour moi un problème majeur, comme le nombre croissant de drapeaux rouges et noirs (ceux de Bandera) à côté du drapeau national.

Volodymir Zélinsky a (et c’est une autre des raisons de l’agression de Poutine) essayé de ne pas insister sur ces ancêtres, et, même pendant la guerre, il ne s’en est jamais pris aux « Russes » en tant que tels, mais seulement aux soldats, et, évidemment, à Poutine lui-même. Il ne s’est jamais permis des phrases comme celles que j’entends si souvent de la part d’Ukrainiens aujourd’hui, comme quoi « les Russes ont tous des âmes d’esclaves ».

Et n’empêche, Mikhaïl Podolyak, l’un de ses conseillers les plus proches, vient de faire un tweet qui m’alarme profondément. — Mikhaïl Podolyak est un homme dont j’écoute tous les jours les analyses, remarquables et tranchantes, et, lui aussi, jusqu’à présent, il ne se permettait pas de racisme anti-russe. Et là, pour la remise du prix Nobel de la paix, il s’est indigné que le jury remette le prix à une organisation ukrainienne (le Centre ukrainien pour les libertés civiles) en même temps qu’à un militant des droits de l’homme bélorusse Ales Bialatski, et à l’organisation Общество МемориалMémorial-France Memorial (russe). Il s’est indigné qu’on récompense le pays victime d’une agression et deux pays agresseurs… Et Podolyak d’ajouter que ni les opposants Biélorusses ni les Russes n’avaient réussi à renverser le régime qui les opprimait, — ce qui signifiait, visiblement, qu’ils n’étaient que des opposants de pacotille, de façade.

Les bras m’en sont tombés. Lui aussi… Est-il besoin de dire l’importance d’Ales Bialatski (qui est en prison, et qui, évidemment, a condamné l’agression russe, soutenue par son bourreau à lui, Loukachenko), et celle de l’Organisation Mémorial, qui, en ce moment même, après avoir été déclarée « agent de l’étranger », se voit enlever son siège moscovite et ses archives (les millions et les millions de documents accumulés depuis plus de trente ans sur les purges soviétiques depuis 1918 jusqu’à présent) ? —

C’est dans les couloirs du « palais de justice » que les militants de Mémorial ont appris que l’organisation avait reçu le prix Nobel de la paix (je parlerai de ces persécutions dans une chronique à part).

Le tweet de Mikhaïl Podolyak était du même niveau que ces militants ukrainiens qui, non seulement refusaient toute action commune avec des dissidents russes (au motif qu’ils étaient russes), qui demandaient le boycott de toutes les manifestations culturelles russes (même celles qui étaient organisées en solidarité avec l’Ukraine par des gens qui avaient toujours refusé tout compromis avec le régime honteux de Poutine), ou, par exemple, l’exclusion, dans le monde entier, de toutes les organisations russes de droits d’auteur.

Ce tweet entre dans le cadre de la réécriture de l’histoire entreprise par l’Ukraine. On ferme, par exemple, le musée de Mikhaïl Boulgakov à Kiev, sa ville natale (parce que c’est un écrivain russe). Parce que, figurez-vous, Boulgakov est, officiellement, dans l’Ukraine actuelle, un partisan de l’impérialisme russe, et qu’il a écrit quelques lignes très méchantes sur les indépendantistes ukrainiens de 1918 dans sa « Garde blanche » (nationalistes ukrainiens, je le rappelle en passant, qui ont tué des centaines de milliers de personnes dans des pogroms qui ont dépassé en horreur ceux de Khmelnitski).

Ce n’est pas le musée qui compte. Boulgakov, mort, n’a que faire d’un musée, à Kiev ou à Moscou. C’est Kiev qui a besoin de Boulgakov, pas le contraire. Parce que Boulgakov est, qu’on le veuille ou non, l’un des dix plus grands prosateurs du XXeme siècle, et l’un des deux plus grands prosateurs de langue russe, avec Vassili Grossmann, — lui aussi né ukrainien (et juif) à Berditchev, ville où toute présence juive avait été anéantie quand elle a été libérée, par l’armée soviétique (pas « l’armée russe »), en 1944. Oui, Grossmann aussi était Ukrainien. Il écrivait en russe. Il ne s’est jamais posé la question de l’indépendance de l’Ukraine. Et c’est, pour les nationalistes, un tort fondamental. Et combien d’autres des écrivains « russes » sont ukrainiens ?

D’ailleurs, je n’ai pas compris le statut actuel de Gogol… Lui, il est quoi, pour la doctrine officielle ukrainienne, un traître à la patrie ?…Il y a ça, — cette quête désespérée des « bons ancêtres », et l’effacement des mauvais.

Et il y a autre chose, de plus pratique : l’Ukraine a besoin d’une Russie transformée, d’une Russie qui, d’une façon ou d’une autre, aurait remis en cause et jugé son passé. Parce qu’il faut que Poutine tombe. Pas seulement qu’il tombe, lui, mais que tombe son régime d’assassins et de mafieux. Oui, il faut que, là encore, je le redis, par sa victoire militaire — que j’appelle de mes vœux par toutes les forces de mon être — l’Ukraine libère la Russie. Parce qu’il y a des gens en Russie qui ne sont pas des colonisateurs. Il y a des gens qui veulent vivre en fraternité avec les autres. Ces gens, Memorial est leur symbole, c’est ce symbole qu’a récompensé le prix Nobel. Et c’est ce symbole que Poutine veut faire disparaître le plus vite possible, pour faire disparaître les archives. Et Podolyak, avec son tweet, que fait-il d’autre, que donner la main à Poutine ?

Il faut que l’Ukraine gagne la guerre. Et que la Russie soit libérée. C’est ça, finalement, le seul moyen pour l’Ukraine de vivre dans une paix durable, en tant que pays indépendant et libre. Que les Ukrainiens le veuillent ou non.

© André Markowicz

André Markowiczné de mère russe, a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre, parmi lesquels l’intégralité des œuvres de fiction de Fiodor Dostoïevski, le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les oeuvre d’Alexandre Pouchkine, et, en collaboration avec Françoise Morvan, le théâtre complet d’Anton Tchekhov. Il a publié quatre livres de poèmes.  Ses quatre derniers livres sont parus aux éditions Inculte : Partages (chroniques Facebook 2013-2014, et 2014-2015)Ombres de Chine et L’Appartement.

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“Partages”

“Partages est le journal d’un écrivain qui se retourne sur son travail de traducteur, sur ses origines, sur ses lectures, sur la vie qui l’entoure. C’est une tentative, aléatoire, tâtonnante, de mise en forme du quotidien, autour de quelques questions que je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en état de partager avec mes lecteurs, mes “amis inconnus”. Quelle langue est-ce que je parle ? C’est quoi, parler une langue ? Qu’est-ce que cette “mémoire des souvenirs” ? Qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris, mes poèmes et mes traductions ? – C’est le reflet, que j’espère partageable, d’une année de ma vie.” André Markowicz

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6 Comments

  1. Cette guerre a été déclenchée par Poutine mais voulu par les Américains pour transformer la Russie en État croupion. En plus on constate que cette guerre coule l’économie européenne et renforce celle des U.S.A. .
    Dans ce drame les Ukrainiens sont de la chaire à canon.

  2. Pour une fois Markowicz dit une vérité : l’Ukraine n’est pas meilleure que la Russie.
    Voire bien pire, vue l’Histoire des Juifs en Ukraine.

    Normal : pourquoi voulez-vous que l’Ukraine soit meilleure ? Puisque russe elle fut et russe elle reste…
    Le premier Tsar de Russie, il y a douze siècles, siégeait à Kiev, la capitale actuelle de l’Ukraine.
    Il y a un siècle ses habitants ne se savaient pas forcément Ukrainiens. Ils étaient nombreux à se dire Cosaques ; comme des cousins Russes…
    Il y a quarante ans ils se disaient encore soviétiques, citoyens de la RSS (République Socialiste Soviétique) Ukraine, membre de l’URSS, Union des Républiques Socialistes Soviétiques ayant Moscou pour capitale….
    La Crimée appartenait à la Russie jusqu’en 1954. Date à laquelle Nikita Khrouchtchev, dirigeant de l’URSS à l’époque, Russe aux origines ukrainiennes ayant épousé une Ukrainienne, fit cadeau de la Crimée à l’Ukraine ; sachant que cela restait « dans la famille ».

    L’affirmation de l’identité ukrainienne indépendante et le divorce d’avec la Russie ne datent véritablement que de 2014.
    Au nom de quoi mêlons-nous de ce divorce au point d’être cobelligérants ?
    Pourquoi refuserions-nous la demande de la Russie que le divorce se matérialisât par le partage des biens de ce couple, millénaire et consanguin ?

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