Ypsilantis. Notes de Lecture – 1/3

Cette suite de trois articles est constituée de notes de lectures prises à la hâte dans un carnet et transcrites entre le clavier et l’écran, du 1er au 30 avril 2022. Je ne lis presque jamais un livre sans prendre des notes, notes qui sont régulièrement reconsidérées et à l’occasion réutilisées pour nourrir un article.

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Gordon A. Craig

En lisant « The Germans » de Gordon A. Craig

Dans l’armée allemande qui assite à la montée du nazisme, des hommes prennent note de son manque de résistance, l’oubli d’une certaine tradition. En 1938, il apparaît que Hitler veut la guerre. Le général Ludwig Beck, chef d’état-major, s’efforce de s’opposer à une politique qui selon lui conduit à un suicide national. Il considère que le peuple allemand ayant toujours eu une sorte de dévotion envers son armée, c’est à l’armée de sauver le peuple allemand du danger qui approche. Ludwig Beck juge qu’un soldat du plus haut rang se doit en aucun se limiter dans des temps aussi dramatiques à l’aspect strictement militaire de son métier et qu’il doit élargir son champ de vision, sous peine d’être coupable d’un manque de grandeur et de compréhension de son devoir. Ludwig Beck est toutefois sans illusion. Il sait qu’il ne peut compter sur grand monde au sein de l’armée. Les plus anciens des officiers se sont pour la plupart détachés de toute responsabilité politique en insistant sur le fait qu’ils ne sont que des soldats. Quant à la jeune promotion, elle doit ce qu’elle est au Parti nazi et à son zèle idéologique. Et n’oublions pas que le serment de fidélité de 1934 au Führer pèsera lourd et jusqu’à la défaite. Ludwig Beck s’oppose à Hitler au sujet de la crise des Sudètes mais il ne peut rien, les puissances occidentales ayant cédé face aux exigences de Hitler.

L’extraordinaire vitalité de la littérature allemande de l’après-guerre avec notamment le Groupe 47 (Gruppe 47), né en 1947 à partir de l’invitation lancée par deux anciens prisonniers de guerre, Hans Werner Richter et Alfred Andersch, invitation destinée à de jeunes écrivains afin qu’il se réunissent, lisent leurs écrits et se livrent à des critiques mutuelles. La longue liste des noms associés à ce groupe, écrivains en prose, poètes, dramaturges, critiques. L’expérience nazie est pour eux un sujet d’étude privilégié, une expérience qui les rend par ailleurs particulièrement vigilants envers toutes les actions gouvernementales et toutes les tendances qui se manifestent au quotidien dans la société allemande et jugées dangereuses pour les libertés individuelles ou susceptibles de préparer le retour d’un régime autoritaire. Ainsi, en 1949, lorsque le gouvernement propose une loi contre la littérature pornographique, la branche allemande du PEN Club International conduite par Erich Kästner rappelle à ses concitoyens qu’une législation similaire dans les années 1920 avait ouvert la voie aux autodafés de livres et aux expositions sur l’Art dégénéré.

Le Romantisme allemand s’est constitué entre 1770 et 1830. Peu de livres rendent mieux compte de ce mouvement que « Franz Sternbalds Wanderungen » de Ludwig Tieck. « The Romantics (…) turned from the prim elegance of the French garden to the tangled mysteries of the German forest », note Gordon A. Craig. Les Romantiques, des personnalités essentiellement apolitiques, peu en prise avec les préoccupations de leur temps et les efforts destinés à trouver des solutions aux problèmes des sociétés d’alors. L’individu romantique bouscule l’individu des Lumières. Goethe qui ne se prive pas de critiquer ce premier dans les dernières années de sa vie est de fait l’un de ses ancêtres, avec notamment son roman « Wilhelm Meisters Lehrjahre ». Le voyage comme self-fulfillment (Bildung) et Sehnsucht, un mot dont pourrait rendre compte le mot grec pothos (Πόθος), cette force qui animait notamment Alexandre le Grand. Cadre essentiel du monde romantique, la forêt allemande – elle est volontiers sinistre. Thomas Mann fait remarquer la fascination qu’éprouvent les Romantiques pour les forces élémentaires qui se tiennent derrière les arbres, la nuit. Il ne voit pas le Romantisme comme un simple sentimentalisme neurasthénique mais comme une puissance élémentaire qui s’élève contre l’esprit. La Mort, thème central de « La Montagne magique » (« Der Zauberberg ») de Thomas Mann, roman où le héros parvient à prendre ses distances vis-à-vis de ce qui est bien un culte.

L’antijudaïsme de Martin Luther est né de sa déception d’une conversion massive des Juifs à sa nouvelle religion, une invitation à la conversion d’abord menée par la persuasion. Cette déception a donné sous sa plume les pages les plus violentes sur les Juifs après celles de Hitler dans « Mein Kampf ». Son long traité de 1543, « Des Juifs et de leurs mensonges » (« Von den Jüden und iren Lügen »). Ses appels ne sont pas mis en pratique mais les préjugés envers les Juifs en seront jamais vraiment effacés dans cette Église. Les guerres de religion ont probablement freiné les violences anti-judaïques. En effet, ce sont les Juifs qui grâce à leurs contacts internationaux et leur accès au crédit facilitent le redressement de l’économie allemande après 1648. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, de nombreuses principautés les accueillent. Des Hofjuden (« Juifs de cour ») ont un rôle central dans l’administration des finances, non seulement auprès de cours allemandes mais aussi autrichiennes, sous les règnes de Léopold Ier, Charles VI et Marie-Thérèse. De tous les États allemands, c’est l’État de Brandebourg-Prusse qui se montre le plus accueillant. Des Juifs expulsés de Vienne en 1670 sont installés par le Grand Électeur sur ses terres. Il leur accorde des privilèges, dont celui de pratiquer librement leur religion. Préoccupé par le développement économique de son pays, le Grand Électeur avait accueilli les Huguenots chassés de France par l’Édit de Nantes. Eda Sagarra fait remarquer qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que la Prusse avait pu réparer sans tarder les dommages occasionnés par la guerre de Sept Ans grâce aux conseils avisés d’hommes tels que Veitel Heine Éphraïm et Daniel Itzig. La cour mais aussi la société prussiennes reconnaissent leurs mérites et se montrent de mieux en mieux disposées à leur égard, surtout à Berlin où, à la fin du XVIIIe siècle, on note une symbiose entre les riches familles juives et les membres les plus favorables aux Lumières de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, un rapprochement préparé par Moses Mendelssohn et poursuivi par sa fille, Dorothea Mendelssohn Veit, qui à la fin du règne de Frédéric II tenait un salon littéraire. Autres femmes œuvrant dans cette direction : Hofrat Bauer, Henriette Herz et Rahel Levin. L’entente entre Juifs et Gentils semble devoir ne jamais prendre fin grâce aux Lumières. Voir le traité de Christian Wilhelm von Dohm (1781), « De la réforme politique des Juifs » (« Über die bürgerliche Verbesserung der Juden »). Mais la guerre contre Napoléon active en Allemagne un nationalisme intégral fortement teinté de christianisme et hostile aux Lumières, ce que note avec amertume Saul Ascher en 1815 et qui nomme Germanomaniacette alliance entre christianisme et germanité, avec le Juif présenté comme l’incarnation de ce qu’il faut combattre pour se fortifier. Rahel Levin (Varnhagen par son mariage) rend compte de sa cruelle désillusion.

(à suivre)

© Olivier Ypsilantis

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