Ypsilantis. L’antisémitisme allemand – 3/4

Je n’entrerai pas dans les détails de ce morceau d’anthologie de l’antisémitisme. Simplement, il incite les Allemands à se protéger des Juifs par toute une législation « sage ». A cet effet, il expose un certain nombre de propositions à caractère général et trois explicitement antisémites : 1. Réintroduire le census afin de rééquilibrer la disproportion entre capital juif et travail chrétien. 2. Limiter le nombre de juges juifs en le proportionnant à la population juive du pays. 3. Expulser les enseignants juifs des écoles primaires et y fortifier l’esprit chrétien-allemand. Cette législation mérite d’être étudiée avec attention car elle prend appui sur une idéologie tant de droite (rightist) que de gauche (leftist).

A partir de 1880, l’antisémitisme se répand dans le pays, avec la rencontre de ces deux flots de boue, l’un venu de gauche et l’autre de droite. Parmi les voix les plus influentes de l’antisémitisme, Heinrich von Treitschke, un prestigieux professeur d’université, auteur de « Die Juden sind unser Unglück » (qui pourrait être traduit par « Les Juifs sont notre infortune »), un slogan qui se gravera dans bien des têtes.

Une carte postale antisémite parmi tant d’autres

A l’automne 1880, une pétition se met à circuler dans laquelle le Volk laborieux est présenté comme soumis aux Juifs, dans les villes comme dans les campagnes, les Juifs étant désignés comme une race exogène, « alien to the German Volk ». Bref, cette pétition invite le Volk à se réorganiser afin de ne pas tomber dans l’esclavage (économique) auquel les Juifs cherchent à le soumettre. Suivent des recommandations (proches de celles de Heinrich von Treitschke) destinées à remédier à l’emprise juive. Le préambule de cette pétition s’adresse à Bismarck.

Le romancier juif Berthold Auerbach, un ardent nationaliste qui s’est employé à célébrer le paysan allemand (ce qui explique son grand succès), est désespéré.

En 1880, Ernst Henrici (l’un des promoteurs de la pétition que nous venons d’évoquer) fonde un parti, le Soziale Reichspartei qu’anime une idéologie franchement raciale et plus radicale que celle promue par Adolf Stöcker. Ses discours attirent les masses et sont suivis de violences anti-juives. Son parti vit à peine deux années mais le modèle d’un antisémitisme politique radical a été mis en place.

En 1881 est fondé le Deutsche Reformpartei. Signalons que dans la terminologie politique d’alors « Reform » et « Christian » supposent une orientation antisémite plus ou moins marquée. Le Deutsche Reformpartei s’inspire du parti fondé par Adolf Stöcker, le Christlich-Soziale Partei. Ce parti n’a guère de succès mais va prospérer en tant qu’organisation parapolitique avec les Reformvereine (des associations) qui s’implantent dans toute l’Allemagne et où l’antisémitisme peut s’exprimer. Les membres de la Mittelstand y affluent. Une fois encore, on peut noter que ce mouvement antisémite attire des individus de droite comme de gauche. Un exemple. En Westphalie, les associations liées à ce mouvement subissent l’influence de l’anarchiste Eugen Karl Dühring qui lui aussi attribue ses déboires professionnels aux Juifs. Mais il faudrait un copieux article voire un livre pour rendre compte de la diversité des idéologies qui convergent vers les Reformvereine par le truchement de l’antisémitisme.

L’antisémitisme se développe et se structure également en Autriche. Si en Allemagne le ciment de l’antisémitisme est le nationalisme et l’anti-modernité, en Autriche son ciment est le pangermanisme. Les Allemands d’Autriche mettent en avant leur germanité afin de se distinguer des peuples de l’Est intégrés à l’Empire des Habsbourg.

La doctrine pangermaniste est formulée par Georg von Schönerer, lui-même influencé par Eugen Karl Dühring. Hitler lira avec attention Georg von Schönerer dont la trajectoire idéologique est instructive car elle montre combien l’antisémitisme peut mêler d’ingrédients : pangermanisme et socialisme saupoudrés de romantisme par exemple – voir le Linz Program. L’antisémitisme épaissit par ailleurs bien des sauces… L’antisémitisme de Georg von Schönerer le conduira à haïr pareillement les catholiques et le christianisme en général et à prôner le retour aux forêts profondes et au culte rendu par les tribus germaniques à leurs dieux. Hitler qui éprouvait de la sympathie pour le personnage estimait toutefois qu’il avait fini par s’égarer, ce qui avait porté préjudice au nationalisme allemand et à l’antisémitisme.

Mais Karl Lueger reprend le flambeau en commençant par débarbouiller l’antisémitisme de Georg von Schönerer afin de le rendre présentable, ce qui se révèle efficace. L’antisémitisme devient une force électorale. En une dizaine d’années, les partis les plus importants sont diversement infectés par ce poison, à l’exception des sociaux-démocrates. En 1887, Otto Böckel (qui est passé par les Reformvereine) est élu député au Reichstag. Il fait campagne, fort d’un programme économique à caractère populiste dans lequel il invite le paysan à se libérer de l’emprise du bourgeois (du citadin) juif. Il estime par ailleurs que les Juifs constituent un groupe racial qui ne peut disparaître par la conversion ou les mariages mixtes. Les Juifs sont des aliens et la question juive doit devenir en Allemagne la question centrale. Cette approche politique rencontre un succès inattendu et menace les Conservateurs qui ayant passé une alliance de circonstance avec les Libéraux doivent pousser de côté leur antisémitisme « modéré ». En vue des élections de 1890, Otto Böckel fonde l’Antisemitische Volkspartei qui demande le rejet, par voies légales, de l’émancipation des Juifs. Ce parti gagne cinq sièges en Hesse. Hermann Ahlwardt est lui aussi pris de délires antisémites. Il commence par attribuer ses difficultés financières à des usuriers juifs. Ce directeur d’école est finalement licencié après avoir été surpris la main dans la caisse de l’école, ce qui ne calme pas ses délires. En 1890, il publie un ouvrage au titre éloquent, « La lutte désespérée des peuples aryens contre la juiverie » (Der Verzweiflungskampf der arischen Völker mit dem Judentum), dans lequel il présente les Juifs comme une pieuvre qui enserre la vie nationale. Il poursuit avec deux pamphlets du même acabit et se voit menacé de prison pour fausses accusations. Il y échappe grâce à son immunité parlementaire.

Le succès de Hermann Ahlwardt aux élections de 1892 amène les Conservateurs à réorganiser leur stratégie. Ces antisémites « modérés » comprennent que l’antisémitisme est le meilleur cheval de bataille pour espérer remporter des victoires électorales. Aussi leur antisémitisme se fait-il plus explicite. Et l’antisémitisme virulent porté par des petits partis parfois éphémères se voit relayé par le plus prestigieux parti de l’Allemagne impériale.

Le mouvement antisémite se consolide tout au long des années 1890. Les antisémites « modérés » sont poussés de côté par les antisémites raciaux et populistes, et c’est à qui se montrera le plus radical. L’antisémitisme politique se radicalise d’autant plus qu’il observe avec inquiétude la formidable poussée du mouvement social-démocrate.

En 1890, ce dernier obtient trente-cinq sièges (il en détenait onze). La seule opposition sérieuse à la marée montante de l’antisémitisme politique est le Parti social-démocrate et les travailleurs de l’industrie. Les socialistes eux-mêmes sont infectés sur leur gauche par l’antisémitisme et leurs dirigeants doivent se démener pour qu’il ne les infecte pas tous.

(à suivre) 

© Olivier Ypsilantis 

https://zakhor-online.com/

Né à Paris, Olivier Ypsilantis a suivi des études supérieures d’histoire de l’art et d’arts graphiques. Passionné depuis l’enfance par l’histoire et la culture juive, il a ouvert un blog en 2011, en partie dédié à celles-ci. Ayant vécu dans plusieurs pays, dont vingt ans en Espagne, il s’est récemment installé à Lisbonne.

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1 Comment

  1. La politique migratoire d’Angela Merkel et de l’UE est foncièrement antisémite. Et je n’ai jamais cru un seul instant que l’Allemagne avait subitement rompu avec son passé : le fait que l’Allemagne veuille se réarmer est une raison supplémentaire pour envisager de quitter l’Europe.

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