Tribune juive de Montréal: Léon Ouaknine rend hommage à Ghila Bénisti-Sroka

Ghila Bénisti-Sroka

Je ne vais jamais me recueillir sur une tombe, mais ma façon d’exprimer mon affection à ceux qui ont traversé ma vie, c’est de rappeler lors d’anniversaires de leur mort, qui ils étaient.

Aujourd’hui je repense à une amie, Ghila Bénisti-Sroka, que beaucoup de gens ont connu au Québec.

Très controversée, elle était l’ami de Danny Laferrière et l’ennemie d’innombrables personnes.

Adieu Ghila. Je savais Ghila, l’éditrice du magazine Tribune Juive de Montréal, sur le point de partir, mais sa mort, son silence soudain, m’ont choqué tant sa vie était une flamme ardente.

Tous ceux qui l’ont connue se rappellent d’elle comme d’une passionaria, un volcan en éruption, un être de vif-argent et non de sang commun.

Il y a un peu plus de 2 mois, elle m’appela en me disant qu’elle était aux soins intensifs, suite à une crise cardiaque. Arrivé à l’hôpital, je la vis connectée à de multiples tuyaux, on lui avait également installé des stents pour déboucher des artères. Je rassurai les infirmières en leur disant que Ghila était increvable même si elle paraissait épuisée. Elle croyait naïvement, qu’une fois qu’on avait eu une crise cardiaque, on ne pouvait plus en avoir une autre. Je pensais qu’elle plaisantait, mais non, aussi l’avais-je détrompé, en lui disant qu’elle n’était pas tirée d’affaire et qu’elle devait se surveiller.

Dès sa sortie, elle me dit qu’elle voulait faire un numéro spécial de Tribune Juive sur Gaza, “La lumière au bout du tunnel” et me demanda de lui fournir d’urgence un article sur cette nouvelle tragédie.

Le plus dur pour elle n’était pas d’obtenir des papiers percutants, son magazine fut toujours dans la communauté juive québécoise le seul qui suscitait un réel intérêt à l’opposé du ronronnement d’une communauté trop satisfaite d’elle-même. Non, pendant 35 ans, le plus dur chaque fois était de trouver l’argent pour financer sa publication, une épreuve toujours recommencée et toujours gagnée grâce à son incroyable ténacité.

Ghila était une force de la nature; comme beaucoup d’êtres d’exception, intelligente et narcissique, elle se faisait beaucoup d’ennemis, ne mesurant jamais l’extravagance de ses propos. Puisque l’injustice existait, elle se devait de défendre ses idées : sa vision meurtrie d’Israël, son engagement de gauche, la parole des femmes et celle des minorités.

Un état de paix était inconcevable pour Ghila, car c’eut été accepter le statu quo du monde, auquel elle ne pouvait consentir. Elle abordait ainsi la vie, un combat permanent, un combat qui n’avait rien d’abstrait parce que l’ennemi pour elle était toujours quelqu’un de précis, quelquefois l’ami de la veille qui avait entre temps commis une faute impardonnable.

Ghila aimait la vie, colorée, foisonnante, explosive; elle avait, c’est sûr, un coté hédoniste, mais il était impossible de l’imaginer sans l’adrénaline de la rage batailleuse.

Ça prenait du courage et de la constance pour rester en bons termes avec elle, car on était soit de son bord, soit contre elle, jamais dans l’entre-deux.

Je crois être l’un des très rares Juifs séfarades qui ont maintenu un rapport « amical » avec Ghila pendant près de 35 ans, malgré plusieurs excommunications et de fréquentes périodes glaciaires. C’était un prix acceptable pour côtoyer tant d’originalité.

Une crise cardiaque l’a emportée. Sa voisine s’est alarmée lorsqu’elle a réalisé que le panier de provisions déposé devant sa porte était resté intouché pendant quelques jours.

Seuls les animaux vivent la mort anonymement, hors de la présence attentive des leurs, aussi qu’un être humain meurt seul me paraît insupportable, sauf s’il l’a expressément requis.

J’aurais voulu être auprès d’elle pour lui tenir la main lorsqu’elle a franchi ce seuil qu’elle appréhendait malgré tout.Il est temps aujourd’hui que je fasse mon “coming out”, et dire que j’ai toujours gardé une certaine tendresse pour Ghila parce qu’elle avait publié dès 1982 sous forme d’épisodes le roman de science-fiction de 300 pages que mon fils Joël avait rédigé lorsqu’il avait 10 ans.

Ce fut une vaillante guerrière, elle laisse un vide palpable dans la communauté que personne ne pourra combler.

© Léon Ouaknine

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