Marie Slavicek interroge Leïla Seurat. “Contrairement au Hamas, le Jihad islamique n’a aucune velléité d’exercice du pouvoir politique”


Ciblé par des frappes israéliennes dans la bande de Gaza de vendredi à dimanche, le Jihad islamique palestinien est une organisation palestinienne engagée dans la lutte armée contre Israël. La chercheuse Leïla Seurat revient sur les origines de ce mouvement et sur les relations qu’il entretient avec le Hamas. 

L’immeuble qui abritait un chef militaire du Jihad islamique palestinien, Khaled Mansour, a été détruit par une frappe israélienne à Rafah, le 8 août 2022.
L’immeuble qui abritait un chef militaire du Jihad islamique palestinien, Khaled Mansour, a été détruit par une frappe israélienne à Rafah, le 8 août 2022.  HATEM MOUSSA / AP

Vendredi 5 août, en milieu d’après-midi, l’armée israélienne a attaqué la bande de Gaza, visant notamment un immeuble d’un quartier résidentiel, en plein centre-ville. Ces frappes, suivies d’autres salves quelques heures plus tard, puis de bombardements dans la nuit, ont tué Tayssir Al-Jabari, commandant des Brigades Al-Qods, la branche armée du Jihad islamique palestinien (JIP), le mouvement qui, avec le Hamas, contrôle l’enclave palestinienne.

Finalement, dimanche 7 août, peu après 23 h 30, Israël et le Jihad islamique ont fait taire les armes après une médiation de l’Egypte. Un cessez-le-feu précaire, pour lequel le mouvement islamiste dit avoir obtenu « l’engagement égyptien d’œuvrer en faveur de la libération de deux prisonniers » : Khalil Awawdeh, détenu sans charges, à la santé vacillante après bientôt cent cinquante jours de grève de la faim, et Bassam Al-Saadi, responsable du Jihad islamique en Cisjordanie occupée.

La politologue Leïla Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) et associée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), revient sur les origines de ce mouvement et sur les relations qu’il entretient avec le Hamas, à la fois concurrent et allié de circonstance.

Le site internet du mouvement terroriste Jihad Islamique Palestinien (JIP) a été piraté jeudi soir. Radio J

Dans quel but a été fondé le Jihad islamique palestinien ?

Le Jihad islamique a été fondé à la fin des années 1970 par Fathi Shiqaqi, un Palestinien au départ proche de l’organisation des Frères musulmans, mais qui s’en est progressivement démarqué en dénonçant son absence d’engagement dans la lutte de libération nationale. Il critique aussi l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour son approche séculariste. Le JIP, conçu dès le départ comme une troisième voie, a été fondé en opposition à ces deux mouvements.

A la base, le Jihad islamique est composé d’anciens membres des Frères musulmans et d’une formation appartenant au Fatah [le parti du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas]. Il prône l’établissement d’un islam palestinien à la fois patriotique et révolutionnaire. Plus largement, son offre politique s’inscrit dans un contexte régional de discrédit du baathisme et du panarabisme [qui visent à unifier les peuples arabes], exacerbé par l’intervention syrienne contre l’OLP au Liban en 1976. Il faut également prendre en compte l’émergence à cette époque de la révolution islamique en Iran qui nourrit les thèses anticoloniales de Fathi Shiqaqi et le conforte dans l’idée de construire une autre option pour libérer les territoires conquis par Israël.

Quelles relations entretiennent le Jihad islamique palestinien et le Hamas ?

Dès 2006, le Jihad Islamique a reproché au Hamas sa participation aux élections législatives palestiniennes et son entrée dans les institutions de l’Autorité palestinienne. Contrairement au Hamas, le Jihad islamique n’a aucune velléité d’exercice du pouvoir politique. En 2007, la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas a amené celui-ci à chercher à consolider sa trêve avec Israël. Cette situation lui impose un contrôle accru sur les autres factions qui veulent affronter militairement Israël, aux premiers rangs duquel le Jihad islamique.

Au gré du contexte, le Hamas a plus ou moins imposé ce contrôle, laissant souvent le Jihad islamique opérer, voire s’alliant avec lui. Ça a été le cas en août 2011 quand plusieurs roquettes ont été tirées vers des villes du sud d’Israël par les Brigades Al-Qods [la branche armée du JIP] et par les Brigades Al-Qassam du Hamas. Les deux organisations militaires avaient annoncé dans un communiqué commun le bombardement de la colonie de Ofakim en réponse à l’assassinat d’un dirigeant des Comités de résistance populaire.

Le Jihad islamique peut cependant constituer un problème pour le Hamas, tout simplement parce que celui-ci menace son prestige. Cette concurrence s’est notamment observée au cours de l’agression israélienne de novembre 2012. Le Jihad islamique avait pour la première fois envoyé une roquette d’une portée de 70 kilomètres en direction de Tel-Aviv, qui avait été immédiatement suivie par un autre tir des Brigades Al-Qassam du Hamas.

Qu’en est-il des relations entre le JIP et l’Autorité palestinienne ?

Le Jihad islamique ne reconnaît pas les institutions de l’Autorité palestinienne qui sont entrées dans une coordination sécuritaire avec Israël. En revanche, il cherche, comme le Hamas, à intégrer l’OLP et à réactiver cette structure autour de nouvelles bases.

Quelle est la stratégie d’Israël vis-à-vis de ces deux mouvements ?

Israël a longtemps considéré le Hamas comme responsable des roquettes tirées par d’autres factions depuis la bande de Gaza, ciblant régulièrement les combattants des Brigades Al-Qassam pour des actions menées par d’autres, notamment le Jihad islamique.

Régulièrement, Israël instrumentalise les relations entre ces deux mouvements en assassinant les dirigeants du Jihad islamique (en 2011 et en 2019) pour tester la réaction du Hamas. Ce dernier, bien qu’attaché à la trêve, se voit le plus souvent obligé de laisser le Jihad islamique répondre aux assassinats de ses leaders.

En nommant officiellement le Jihad islamique comme l’ennemi principal et en demandant au Hamas de choisir entre les « terroristes » du Jihad islamique et la population civile à Gaza, Israël tente de saper le front commun qui avait émergé lors de cette bataille. Il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure cette stratégie de division prouvera son efficacité.

Le Jihad islamique palestinien est-il soutenu par la population gazaouie ?

Le mouvement bénéficie d’une popularité très importante auprès de la population palestinienne, non seulement à Gaza – n’étant pas au pouvoir, le JIP n’a pas pâti de la dépréciation de son image, à l’instar du Hamas –, mais aussi en Cisjordanie.

Le Jihad islamique palestinien a-t-il des alliés dans la région ?

Le Jihad islamique bénéficie d’une importante aide économique et militaire de l’Iran. Contrairement au Hamas, il n’a pas fermé ses bureaux à Damas à la suite du soulèvement des Syriens en 2011. Il n’a pas non plus critiqué le Hezbollah pour sa participation aux combats en Syrie. Pour autant, le Jihad islamique ne saurait être considéré comme un « proxy » de l’Iran. Ces dernières années, il a affiché son indépendance vis-à-vis de Téhéran sur plusieurs dossiers. C’est le cas, par exemple, de la guerre au Yémen : alors que les Iraniens avaient pressé le Jihad islamique de s’aligner sur leur position, ses dirigeants s’y sont refusés – ce qui leur aurait d’ailleurs coûté une baisse de soutien économique de la part de la République islamique. Le Jihad islamique tient à tout prix à afficher son autonomie et sa non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

Aussi, s’il est idéologiquement proche de l’Iran, le Jihad islamique insiste sur la nature sunnite de son organisation. Alors que certaines sources évoquent les conversions au chiisme de ses membres, ses dirigeants prennent régulièrement soin de clarifier les choses : un chiite ne peut officiellement pas faire partie de l’organisation, qui reste d’obédience sunnite, même si des ponts sont possibles.

Propos recueillis par Marie Slavicek

Le Monde

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