Danielle Khayat. Rendez-vous de juillet

Le mois de juillet évoque irrésistiblement pour tous la Fête Nationale, le 14 juillet, son défilé militaire, ses feux d’artifice, ses bals populaires.

Il évoque aussi, pour d’autres, pour nous, des événements, douloureux, tragiques, dont le souvenir nous hante.

Pour la première fois, en 2012, la police parisienne ouvrit au grand public ses archives de la rafle du Vel d’Hiv dans une exposition à la mairie du IIIe arrondissement du 16 juillet au 15 septembre.

Les 16 et 17 juillet, des dates inoubliables pour l’horreur qu’elles ont signée.

Les 16 et 17 juillet, deux dates à se rappeler pour la tragédie mais aussi pour l’espoir réalisé. 

Cinq ans séparent ces deux événements.

Cinq ans. Et six millions de Juifs assassinés dans des conditions atroces, qui, aujourd’hui encore, font douter de l’humanité.

Et pourtant deux événements inextricablement liés.

Le 16 juillet 1942, débutait ce que l’Histoire a retenu sous le nom de « Rafle du Vel d’hiv ». Deux jours de traque, d’arrestation, d’enfermement dans ce stade – aujourd’hui détruit et remplacé par des immeubles d’habitation dont je me demande toujours comment on peut y vivre sans entendre sans cesse cris, larmes et désespoir de ceux qui y furent détenus avant d’être envoyés à Drancy et, de là, vers Auschwicz-Birkenaü, vers les camps de la mort. Des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, arrêtés par la police française. Simplement parce qu’ils étaient juifs.

Les victimes de ces arrestations ne constituent pas le premier convoi de l’entreprise génocidaire qui s’est déroulée sur le sol de France, contrairement à ce que viennent d’affirmer les auteurs – dont l’un se présente pourtant comme historien – d’un article-pétition paru sur le site de Médiapart : le premier convoi de Juifs déportés de France vers les camps d’extermination était parti en mars 1942.

Le convoi no 1 du 27 mars 1942 , surnommé convoi 1, est le premier convoi de déportation de Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale

Les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 hommes, femmes et enfants juifs sont arrêtés, pour ce seul motif, à la demande des nazis, sur ordre du pouvoir français en place. Les enfants ne l’ont été qu’à l’initiative de celui-ci, et de son représentant sur place, le sinistre Bousquet, qui n’hésita pas, avec un cynisme qui révulse toujours, à prétendre qu’il ne fallait pas séparer les familles. Ce qui ne l’empêchera pas, au moment du transfert vers Drancy, de faire arracher les enfants des bras de leurs mères.

Ce fut la rafle la plus massive organisée sur le territoire français. Elle fut suivie par d’autres. Mais, à elle seule, elle représente près du tiers des 42 000 Juifs déportés de France vers Auschwicz-Birkenaü en 1942. Seules 811 personnes rentreront en 1945.

Cinq ans plus tard, le 17 juillet 1947, les autorités britanniques arraisonnent au large de Haïfa, un bateau de fortune, parti clandestinement de Sète dans la nuit du 10 au 11 juillet précédent.

Vieille coque à fond plat, qui n’était pas du tout conçue pour naviguer en mer, mais pour transporter quelques centaines des passagers sur les fleuves des Etats-Unis, le « Président Warfield » a été racheté à la ferraille par la Haganah, l’organisation militaire sioniste clandestine, qui le transfère discrètement en Méditerranée.


Le Mossad Le’aliyah Bet arme secrètement le President Warfield, qui quittera le port de le 11 juillet 1947 avec 4 500 personnes à bord. Il sera rebaptisé Exodus. Son nom hébreu figure sur la coque: Yetzi’at Eiropa Tashaz, c’est-à-dire Exode d’Europe 5707

Parallèlement, elle regroupe à Marseille des milliers de candidats à l’émigration vers la Palestine sous mandat britannique depuis la fin de la Première Guerre Mondiale : le Royaume-Uni a reçu ce mandat de la Société des Nations pour préparer l’instauration d’un Etat juif sur ce territoire conquis sur l’Empire ottoman défait. Mais il s’est activé à créer un Etat arabe, la Transjordanie, pour remercier ses alliés hachémites, et à faire en sorte que l’Etat juif ne puisse, lui, être créé : alors que l’extermination des Juifs envoie vers les fours crématoires des millions d’entre eux, il publie à trois reprises un «  Livre Blanc » pour limiter drastiquement l’immigration juive en Palestine, et, dans le même temps, encourage celle d’Arabes venant notamment d’Egypte. 

Forcer le gouvernement britannique à respecter les engagements pris envers la Société des Nations devenue l’Organisation des Nations Unies depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale, et donc à créer l’Etat juif promis, tel est le but de la Haganah.

D’autres navires clandestins ont déjà pris la mer, la plupart ont été arraisonnés et leurs passagers s’entassent à Chypre, dans des camps où les retiennent les forces armées britanniques. Peu de ces « Maapilim », émigrants juifs clandestins, ont pu rejoindre effectivement la Palestine.

Mais cette fois, l’opération est d’envergure. Ce sont plusieurs milliers de personnes qui seront embarquées.

En une nuit, 4 515 personnes sont transférés clandestinement de Marseille à Sète à bord de 172 camions, et sont embarquées sur le « Président Warfield »- qui ne peut initialement transporter que 700 passagers. Ces personnes sont pour l’essentiel des rescapés des camps de la mort – seul un couple de Tunisiens se trouve là, parmi des gens de toutes nationalités européennes, essentiellement originaires d’Europe centrale et orientale. Parmi eux, 1282 femmes et 655 enfants. Leur volonté farouche : quitter l’Europe qui leur a fait subir l’indicible et rejoindre la « Terre Promise », celle dont leurs aïeux ont été dépouillés voilà 19 siècles et dont ils veulent à nouveau faire leur pays, celui où nul ne viendra les injurier, les menacer, les tuer, d’où nul ne pourra les expulser. Car – n’en déplaise à tous les falsificateurs de l’Histoire – le sionisme, né dans le sillage du « réveil des nationalités » du XIXème siècle, est le premier mouvement de décolonisation du XXème, dans la foulée du démembrement de l’Empire ottoman. 

Officiellement, le « Président Warfield » a pour destination la Colombie, et il est donc autorisé à appareiller dans la nuit du 10 au 11 juillet 1947. Il quitte difficilement le port, après avoir vainement attendu un remorqueur et s’être ensablé.

Dès qu’il a quitté les eaux territoriales françaises pour se diriger à l’est, vers les côtes de Palestine, le bateau, commandé par Yossi Harel, prend le nom d’ « Exodus 47 », en référence à l’Exode biblique conduit par Moïse, et le drapeau frappé de l’étoile de David est hissé sur son mât : nous sommes le 16 juillet 1947.

Le voyage est éprouvant : manque d’eau, hygiène des plus réduites, promiscuité, rien n’est épargné à ces malheureux qui vont pourtant connaître pire encore. Le 17 juillet, alors qu’il approche du port de Haïfa, le bateau est arraisonné par la flotte britannique. Les voyageurs ne sont pas armés, ils lancent des  boîtes de conserve, ce qui leur passe sous la main. En face, la riposte ne se fait pas attendre : 3 morts et 20 blessés graves seront dénombrés parmi les passagers. Conduit à Haïfa, l’Exodus 47 voit ses passagers être transférés dans des bateaux-cages qui les amènent à Chypre, dans des conditions encore plus effroyables que celles qu’ils ont connues. Les passagers refusent de débarquer, et le scandale international qui accompagne cette tragédie amène le gouvernement britannique à décider de reconduire les passagers de l’Exodus 47 à leur point de départ, c’est-à-dire en France. Les bateaux-prisons arrivent donc à Port-de-Bouc le 29 juillet. Si quelques 138 passagers, malades pour la plupart, acceptent l’asile politique que leur offre la France et débarquent, les autres refusent et entament une grève de la faim. Les Britanniques leur lancent alors un ultimatum : si les passagers ne débarquent pas en  France avant le 21 août à 18 heures, ils seront conduits dans la zone anglaise d’occupation en Allemagne. Et c’est ce qui se passera effectivement : les 7 et 8 septembre, les trois bateaux-prisons accostent à Hambourg, et les passagers sont enfermés …dans des camps en Allemagne, sous la surveillance des troupes britanniques.

On est loin de la saga du livre de Léon Uris et du film qu’en a tiré Otto Preminger…

Mais cette action d’éclat, pour tragique qu’elle fût, a joué un rôle indéniable dans le vote de l’ONU qui, quelques mois plus tard, le 29 novembre 1947, se prononcera sur la partition de ce qui subsiste de la Palestine confiée par mandat au Royaume-Uni, entre un Etat juif et un Etat arabe, la ville de Jérusalem étant placée sous statut international. Partage refusé par les Etats arabes qui, dès la création de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, lui déclarent la guerre, tentent en vain de le rayer de la carte, mais, via la Transjordanie, occupent néanmoins la partie orientale de Jérusalem (comprenant les lieux saints juifs) et le Goush Etzion, notamment, jusqu’en juin 1967.

J’écris  ces lignes dans la nuit du 10 au 11 juillet 2017. Et, paraphrasant la Haggada de Pessah, celle qui relate l’Exode d’Egypte et que nous lisons tous les ans, je me demande : « Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres ? »    

© Danielle Khayat, Magistrat en retraite

Texte initialement paru dans Mabatim. Merci à Danielle Khayat

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

1 Comment

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*