Les apartés de Félie. Expérience extérieure ou expérience intérieure ?

Au moment où la Cour suprême des États-Unis parle de révocation de droit à l’avortement, le corps de la femme est plus que jamais sous les regards.
Obscur objet du désir, projections de tous les fantasmes, image virginale ou érotique, la femme et la représentation de celle-ci font partie intégrante de la culture et des fondements des religions.
“N’appelez plus vos filles Sophie” demandait Simone de Beauvoir dans un article de la revue des Temps Modernes dans un numéro double d’avril-mai 1974 dont le thème était : ” Les femmes s’entêtent” en faisant référence à l’Émile ou de l’Education de Jean-Jacques Rousseau. Prémisses du débat qui va s’ouvrir à l’Assemblée, déjà entrevues dans le manifeste des 343 salopes du 5 avril 1971 appelant à la législation de l’avortement.

En effet, le 26 novembre 1974, Simone Veil , alors ministre de la Santé, monte à la tribune de l’Assemblée nationale. Pendant une heure, elle prend la parole devant un hémicycle qui compte neuf femmes pour quatre cent quatre vingt-un hommes.  Après un discours applaudi par la gauche,  s’en suivent vingt-cinq heures de débat. Simone Veil subit les insultes, qui viennent souvent de sa propre majorité, la droite. Elle est, aussi, touchée dans sa chair. Ancienne rescapée des camps de concentration, elle écoute le député gaulliste Hector Rolland lui reprocher « le choix d’un génocide ». Soixante quatorze députés s’expriment et la loi est adoptée dans la nuit du 29 novembre 1974.

Elle n’autorise l’interruption volontaire de grossesse (IVG) que pour cinq ans. Il faudra attendre 1979 pour que l’autorisation soit rendue définitive en France. 

L’interruption volontaire de grossesses (IVG) est, dans notre pays,  un avortement provoqué, décidé pour des raisons non médicales dans le cadre légal de la loi Veil du 17 janvier 1975. Elle  est inscrite aux articles L.2211-11 et suivants du Code de Santé publique. Déjà modifié en 2001, le délai pour avorter est désormais fixé à 14 semaines à la suite de la loi du 2 mars 2022, visant à renforcer le droit à l’avortement. Droit gagné de haute lutte grâce aux combats sans relâche des femmes et des gynécologues qui, prenant des risques de radiation du conseil de l’ordre et des peines d’emprisonnement, pratiquaient des avortements clandestins. 

Le séisme du 24 juin 2022

D’où ce séisme quand le 24 juin 2022 , la Cour Suprême américaine révoque l’Arrêt de 1973 ou Arrêt  Roe vs. Wade qui autorise les femmes à avorter.
 Désormais, chaque État est décisionnaire de donner ou non le droit à l’avortement. A peine cette décision annoncée, les Etats les plus conservateurs interdisent ce droit : Le Missouri, l’Oklahoma, le Wisconsin, le Dakota du Sud, l’Arkansas, la Louisiane, le Kentucky et l’Alabama.

Que va-t-il advenir de la liberté des américaines ? Que faire face à cette régression à visage inhumain et à cet esprit rétrograde et conservateur, à ces pro vie qui nient la liberté de la femme à disposer de son corps ? 

Tout d’abord, un tour d’horizon des législations dans le monde et un point quasi exhaustif  en commençant par l’Europe et les pays européens non encore rentrés dans l’Europe et dans lesquels l’interdiction  totale reste pour autant une exception comme en Andorre où le débat pour la légalisation  a repris dans la principauté fin 2019, au Vatican et à Malte où le catholicisme est religion d’État et qui demeure  le seul pays de l’Union européenne mettant un veto total à l’ IVG. La peine encourue en cas d’avortement va de dix-huit mois à trois ans de prison. Le micro-État de Saint-Marin, à tradition fortement catholique, l’a quant à lui, légalisé en 2021.
De même, il est fort peu joyeux d’être une femme polonaise. En effet, en octobre 2020, la Pologne s’était prononcée en faveur d’une limitation quasi-totale de l’avortement, même en cas de malformation grave du fœtus.
En Irlande, l’avortement n’est légal que depuis 2018, suite à un référendum historique abrogeant l’interdiction constitutionnelle de l’IVG, libéralisée, de même, en 2019 en Irlande du Nord, seule partie du Royaume-Uni où elle demeurait interdite.
L’IVG est interdite dans une quinzaine de pays :  Djibouti, Égypte, Guinée-Bissau, Madagascar, République démocratique du Congo, Sénégal pour l’Afrique.Honduras, Nicaragua, Surinam, Haïti et République dominicaine pour l’Amérique.Philippines et Laos pour l’Asie ; Palaos pour l’Océanie.
De même, l’interdiction est totale au Salvador où depuis 1997 une législation draconienne  interdit l’interruption de grossesse en toutes circonstances, même en cas de risque pour la vie de la femme.

L’avortement est théoriquement passible de deux à huit ans de prison mais, dans les faits, les juges considèrent toute perte du bébé comme un « homicide aggravé », puni de trente à cinquante ans de réclusion.

Selon des organisations non gouvernementales, une vingtaine de femmes étaient emprisonnées en 2020.
Dans de nombreux pays, l’avortement est soumis à des conditions extrêmement restrictives. Ainsi, l’IVG est-elle accessible uniquement en cas de danger pour la vie de la mère dans des pays comme la Côte-d’Ivoire,  la Libye, l’Ouganda, le Soudan du Sud, l’Irak, le Liban, la Syrie, l’Afghanistan, le Yémen,  le Bangladesh, la Birmanie,  le Sri Lanka, le Guatemala,  le Paraguay ou encore le Venezuela.
L’Amérique du Sud est, quant à elle, divisée.
Au Brésil, dirigé par le président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, l’accès à l’IVG est également très limité, en cas de viol, risque pour la mère ou grave malformation du fœtus.

En 2017, le Chili a mis fin à trente ans d’interdiction totale de l’IVG, désormais autorisée en cas de risque pour la vie de la mère, viol et non-viabilité du fœtus.
En Argentine, un texte légalisant l’avortement a été adopté en 2020, deux ans après le rejet d’une première proposition de loi par les sénateurs. L’avortement est autorisé jusqu’à 14 semaines de grossesse. La précédente loi, qui datait de 1921, n’autorisait l’IVG qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère.
En Thaïlande, l’avortement a été décriminalisé en février 2021 et peut désormais être pratiqué jusqu’à douze semaines d’aménorrhée.
 En Corée du Sud, l’avortement n’est plus interdit depuis le 1er janvier 2021 bien qu’il ne soit pas entièrement légal car aucune législation n’a été adoptée pour remplacer l’ancienne. 

Contrairement à une bonne partie du reste de l’Asie, l’avortement est légal et très accessible en Chine. Après des décennies de politique de l’enfant unique, le pays le plus peuplé du monde tente de relancer son taux de natalité et d’encourager les couples à avoir plus d’enfants. Désormais, le gouvernement chinois appelle à réduire les avortements qui ne sont pas  nécessaires médicalement.

Ce sont les femmes d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Océanie qui bénéficient des législations les plus libérales, acquises parfois récemment. La Nouvelle-Zélande n’a dépénalisé l’avortement qu’en mars 2020 , sous l’impulsion de la Première ministre Jacinda Ardern. Il était jusque-là passible de quatorze ans d’emprisonnement dans ce pays réputé progressiste.

En Australie, l’État du Queensland a légalisé l’avortement en octobre 2018, abolissant une loi de 1899 adoptée durant l’ère coloniale britannique. Seule la Nouvelle-Galles du Sud, l’État le plus peuplé du pays, continue à proscrire l’IVG.

Triste constat, cette régression quant aux droits des femmes

Triste constat, cette régression quant aux droits des femmes.

À ce jour, où trois femmes sont au plus haute fonction de l’Etat : Elisabeth Borne, Première ministre, Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale, Aurore Bergé, Présidente des députés Renaissance, cette phrase de Simone Veil est encore bien actuelle : « Il suffira donc d’une crise (…) pour qu’on laisse les femmes monter au feu », propos qui fait douloureusement écho à celui du Castor surnommée ainsi par Nizan et Sartre : “N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.” 

Comme en réponse à la régression américaine, Aurore Bergé a déposé une proposition de loi pour faire inscrire le droit à l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Une proposition qui ne fait pas l’unanimité. Cette dernière, transmise à l’AFP, stipule que nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse. “Inscrire la loi Veil dans la Constitution est un débat qui se promet d’être épineux mais nécessaire, nous ne sommes jamais à l’abri d’une régression, d’avoir, de nouveau, nous les femmes nos droits bafoués au nom d’une espèce de nouvel ordre moral.”

Aucune femme quand elle est confrontée à ce choix ne peut faire l’impasse sur la dichotomie qui l’habite

Mais n’oublions jamais. L’avortement n’est jamais une anecdote ni un acte sans conséquences.
C’est un choix pour la plupart des femmes mûrement réfléchi.
Doit-on en parler ou non à l’homme qui aurait pu devenir le père ou le garder pour soi et en soi comme une blessure, un secret quasi honteux ?
Combien de femmes se taisent par peur de jugements, de regards malveillants ?
Combien de femmes sont confrontées à l’opprobre ? Aucune femme ne se fait avorter de gaité de coeur, aucune femme n’oublie cet acte douloureux, aucune femme quand elle est confrontée à ce choix ne peut faire l’impasse sur la dichotomie qui l’habite.
Nous n’entrerons pas dans un débat sur la vie et l’embryon.

 Les slogans des manifestations pour l’avortement “Mon corps m’appartient”, “C’est mon corps, pas ton choix” et tant d’autres de la même teneur, peuvent être de nouveau actuels et nous ne devons jamais baisser la garde.
Comme l’a si bien dit Simone Veil et cette phrase devrait être gravée en chacun de nous, peu importe notre genre :
“Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l’avortement, il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame.”

© Felicia-France Doumayrenc

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Felicia-France Doumayrenc est autrice, critique littéraire, éditrice et peintre.

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7 Comments

  1. il y a ceux pour qui l’interdit d’avorter est un absolu . Il y a ceux pour qui la permission d’avorter est aussi un absolu . Il y a ceux pour qui cela dépendra du nombre de semaines de gestation .Pour ceux la pas d’absolu .mais une question : dans quelle limite de date se trouve la limite morale ?

      • L’homme est pourtant concerné dans le cadre d’une relation. En revanche, lors de viol, d’incestes et de tout acte sexuel sans réel consentement, la femme est seule et cette solitude s’ajoute au traumatisme

    • La limite morale. Vous touchez l’éthique, sujet si important pour moi. Dans le cadre d’un avortement, elle se pose à toutes les femmes. Avorter n’est jamais une anecdote. Une souffrance réelle et un problème de conscience sont le lot de toute femme en proie à ce choix terrible

  2. (il y a un disfonctionnement dans l’affichage des commentaires : pour le vérifier il suffit de voir les horaires d’affichage de chacun. Ceci pour dire que ma remarque “la question subsiste ” était en réponse à André et non à Félie.)
    Félie: la reflexion morale est en effet un devoir pour chacun ,et qu’on ne peut déléguer ni dédaigner .Homme ou femme .(d’ailleurs sans dimension morale la pensée s’évanouit )

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