Ypsilantis. Quelques notes, mai 2022 – 3/5 (Guerre en Ukraine / António de Oliveira Salazar / RebuildUkraine)

Ma difficulté à évoquer la guerre en Ukraine tient à ce que je ne veux pas ajouter du bavardage au bavardage. Un mot toutefois.

L’Union européenne (U.E.) a manqué une formidable occasion au début des années 1990, suite à la chute de l’U.R.S.S., une période à partir de laquelle la priorité des priorités aurait dû être la volonté d’un rapprochement entre eux et nous. De 1991 à 2008, y compris au cours des deux gouvernements de Poutine (1999-2008), la Russie était un État plutôt fiable – tout au moins est-ce ainsi que j’ai alors perçu cet immense pays. Le Kremlin supervisa l’intégration d’un certain nombre d’États qui avaient appartenu au bloc soviétique et dont quelques-uns partageaient des frontières avec l’U.E. et l’O.T.A.N. Ces deux organisations ne firent guère preuve de bonne volonté – euphémisme – et semblèrent reprocher à ce grand pays son passé communiste.

La Russie constate que l’U.E. et les États-Unis s’autorisent à frapper des États en violation du Droit international – voir le cas de la Serbie dont l’intégrité territoriale finit par être disloquée de force. De fait, ce que nous vivons aujourd’hui avec cette guerre en Ukraine demande à être considéré avec du recul, au moins à partir de nos interventions contre la Serbie. Poutine qui se sent probablement trompé décide d’en prendre lui aussi à son aise et envahit la Géorgie au cours de l’été 2008. La visite de Catherine Ashton en Ukraine (voir détail) l’inquiète et il s’empresse d’annexer la Crimée, un territoire historiquement russe qui avait été cédé à l’Ukraine en 1954 par Khrouchtchev d’une manière un peu olé-olé. Entre 2008 et 2014, d’autres occasions susceptibles d’aider à une entente entre l’UE et la Russie sont négligées pour ne pas dire piétinées. L’invasion russe de l’Ukraine en 2014 n’est que rarement replacée dans son contexte historique. Je m’empresse d’ajouter qu’il ne s’agit pas d’excuser voire de justifier les agissements russes mais tout simplement de les inscrire dans un contexte ample et ainsi de sortir des breaking news qui ne cherchent qu’à faire monter l’audimat. L’information ainsi propagée ne fait que désinformer ; aussi faudrait-il placer le mot « information » entre guillemets. Le retour de la Crimée dans le giron russe a provoqué des réactions disproportionnées, ce qui a entraîné des réactions similaires côté russe. Une telle réaction de la part de l’O.T.A.N. et de l’U.E. visait probablement et en partie à atténuer l’illégitimité de leur agression contre la Serbie. On peut être anti-communiste (et je le suis) sans tenir rigueur à un pays de l’avoir été. Nous aurions pu sans peine nous ouvrir à la Russie qui se serait ouverte à nous, pas à pas, avec peut-être des difficultés mais en aucun cas des difficultés insurmontables.

Suite aux sanctions commerciales imposées par l’U.E. à la Russie, cette dernière se tourne vers la Chine, ce qui facilite l’accès des matières premières russes à Pékin et donne à Moscou la possibilité d’occuper (au moins en partie) un espace préalablement occupé par des entreprises de l’U.E. Ainsi la Russie qui aurait dû être notre associée dans la grande rivalité États-Unis / Chine semble glisser du côté chinois, contribuant ainsi à l’affaiblissement de l’Europe.

Vers quel horizon l’Europe se dirige-elle ? Il me semble qu’elle tâtonne, aveugle, au bord d’un gouffre. Les États-Unis chercheraient-ils à nous éloigner de la Russie afin d’éviter l’émergence d’un ensemble que j’ai pris l’habitude d’appeler Eurussie, soit l’union de l’Europe et de la Russie, une Europe qui n’irait plus de l’Atlantique à l’Oural mais de l’Atlantique au Pacifique. Serions-nous devenus les marionnettes des Américains ? Ceux qui me lisent savent que je ne suis en rien un anti-américain ou un adepte de la théorie du complot. Pourtant, aujourd’hui, l’Européen que je suis et que j’ai toujours été s’inquiète. Mon espoir de voir l’émergence de l’Eurorussie s’éloigne. La Russie a longtemps été notre alliée, notre amie. Elle aurait pu le redevenir si nous avions fait preuve de plus d’intelligence politique et, plus simplement, d’un meilleur sens de nos propres intérêts. Cette guerre en Ukraine aurait pu être évitée.

Je viens d’apprendre que « La Commission européenne envisage un nouvel emprunt pour reconstruire l’Ukraine, dévastée par bientôt trois mois de guerre », ce à quoi s’opposent des pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne (plus sensible que d’autres aux menaces d’inflation et pour des raisons que nous connaissons) et probablement les pays que nous avions désignés sur un ton plus ou moins moqueur : les Frugal Four. J’ai été profondément hostile à la mutualisation de la dette européenne (avec ces euro-bonds ou euro-obligations), avec la cigale française allant solliciter la fourmi allemande. Je suis pareillement hostile à cet emprunt en faveur de l’Ukraine, comme si nous n’avions pas assez avec l’emprunt – une dette – de sept cent cinquante milliards (750 000 000 000) d’euros destiné au plan de relance européen post-covid. L’emprunt destiné à l’Ukraine porte déjà un nom, un nom bien présomptueux : RebuildUkraine, alors que le pays est toujours en guerre (en cours de démolition donc, et pour combien de temps ?) et qu’il n’est pas certain qu’il retrouve ses frontières. Quelles seront-elles avec cette possible annexion de la totalité ou d’une partie du Donnbass (Donetsk et Louhansk) et peut-être même du couloir qui va du Donnbass à la Crimée et qui s’est fortifié avec la chute de Marioupol ?

En Espagne et au Portugal nous ne savons pas vraiment où vont passer les sommes post-covid gigantesques qui vont être attribuées à ces pays. Que dire de l’Ukraine, pays hautement corrompu ? L’Ukraine est au moins aussi corrompue que la Russie.

Nous nous sommes saoulés à l’endettement, un endettement décidé par Bruxelles et qui l’air de rien prend en otage (et de diverses manières) tous les avoirs des résidents européens. Nous allons d’emprunts en emprunts, ivres et titubants. N’oublions pas qu’avant la pandémie, des pays de l’Union européenne (dont la France) avaient une dette publique qui flirtait avec les 100 % de leur P.I.B. Nous allons tomber dans un coma éthylique d’autant plus que la croissance est molle et que l’inflation, la méchante inflation qui flirte avec les deux chiffres, semble vouloir s’imposer et non pas à cause du méchant Poutine mais parce qu’une création monétaire débridée et des taux d’intérêt à zéro (voire négatifs) réveillent cette chose capable de dévaster des sociétés entières. Personne ne peut répondre de l’inflation à venir pas même Christine Lagarde. Mes instruments d’analyse (limités j’en conviens) me disent qu’elle ne sera pas bonne, car il y a une bonne inflation comme il y a un bon cholestérol pour reprendre la comparaison de Marc Touati. Et nous avons brûlé toutes nos cartouches contre la mauvaise inflation. Augmenter sérieusement les taux d’intérêt reviendrait à pousser des pays de l’eurozone vers la faillite parmi lesquels la France, à moins qu’elle ne mette au clou tout ce qu’elle possède.

Marc Touati, un Pédagogue

Une question toutefois. Ces fonds destinés à l’Ukraine ne proviendraient-ils pas en partie ou en totalité des sept cent cinquante milliards d’euro-obligations, ce qui serait plutôt rassurant d’un certain point de vue ? Pour l’heure, l’euro ne cesse de perdre du terrain face au dollar, ce qui a entre autres effets d’augmenter l’inflation, la plupart des matières premières étant libellées en dollars. Une crise monétaire majeure ne couverait-elle pas, une crise encouragée pour l’essentiel par ces émissions de dettes dont on devine qu’elles ne seront jamais remboursées car les générations à venir n’accepteront pas un tel « cadeau » ?

Comme le répète Simone Wapler : « Le déficit et la dette sont des impôts en devenir », des impôts qui sont levés par les États, les États qui disposent envers le citoyen d’un pouvoir de coercition quasi-illimité. Et l’inflation est elle aussi un impôt. La Commission européenne semble tourner sur elle-même, comme une toupie et de plus en plus vite. L’émission d’eurobonds s’est faite sans consultation populaire. Les citoyens et leurs avoirs sont toujours plus soumis à des forces qui ne les représentent plus et qui les entraînent vers quelque chose qui pourrait être un gouffre.

3 août 1968, Forte de Sto. António do Estoril. António de Oliveira Salazar qui est en vacances tombe de son transat alors qu’il y est allongé. Sa tête heurte le sol. Il a soixante-dix-neuf ans et ce choc provoque une hémorragie cérébrale. Au cours des vingt-trois mois qu’il lui reste à vivre, une mise en scène s’emploie à lui faire croire qu’il dirige encore le Portugal et son Empire alors que Marcelo Caetano a pris sa succession, perpétuant ainsi le régime de l’Estado Novo jusqu’à la Révolution des Œillets, le 25 avril 1974. Roland Fure du quotidien L’Aurore qui s’est rendu dans le Portugal d’alors et y a rencontré Salazar confirme cette mise en scène et ses trucs – il y aurait un article à écrire à ce sujet. Par ailleurs, l’accident de transat fut caché car il aurait été du plus mauvais effet. Qu’un travailleur infatigable comme Salazar tombe dans le coma suite à un tel accident… L’influence de sa gouvernante Maria de Jesus Caetano Freire, plus simplement D. Maria. Lire « Governanta. D. Maria, companheira de Salazar » de Joaquim Vieira.

António de Oliveira Salazar (1889-1970)

Dans Time, Friday, Dec. 19, 1969, un article intitulé “Portugal: State Secret”: “Austere old Dictator Antonio de Oliveira Salazar is still unaware that he was replaced 15 months ago while in a deep coma following a stroke – and he may never find out. No one in Portugal has so far been able to summon up the nerve to tell the old man that his 36-year reign is over. The task of preventing Salazar from finding out has fallen chiefly to his housekeeper, Dona Maria de Jesus Caetano Freire, and his physician. They deny him newspapers and television, explaining that such diversions would “tire” him. They schedule meetings with his former Cabinet ministers, who politely ignore his directives. They even admit some journalists if they promise not to reveal that Marcello Caetano is now Premier. On several occasions, Rear Admiral Américo de Deus Rodrigues Thomaz, Portugal’s figurehead President since 1958, has tried to break the news gently to Salazar, who at 80 is lucid but semi-paralyzed. Each time, Dona Maria recently told a friend, Thomaz approached the old Premier’s Lisbon quarters “with the firm intention of telling the truth. But he can’t find the words.”

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

Source: Zakhor Online

Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis a suivi des études supérieures d’histoire de l’art et d’arts graphiques. Passionné par l’histoire et la culture juive, il a ouvert en 2011 un blog en partie dédié à celles-ci.

https://zakhor-online.com/

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