Jérôme Enez-Vriad. Tous les Chrétiens sont enfants d’Israël

Jérôme Enez-Vriad. Photo Matthieu Camile Colin

     Les élans du cœur ne sont pas réservés à ceux pour qui l’on éprouve des sentiments amoureux. Ils peuvent aussi alimenter bien des ardeurs nourricières de véritables passions d’âme et de sens. Ce peut-être la passion pour une époque dont on admire la culture… ou celle pour un personnage historique… encore celle pour une ville à l’architecture remarquable… mais aussi celle pour une Terre, fut-elle promise et dissensuelle, une Terre aujourd’hui habitée par un peuple hétéroclite bien qu’uni et solidaire des mêmes valeurs, Terre dont le malheur n’est inscrit nulle part, dans aucun texte, par aucun prophète ; voilà ce qu’il faut dire, redire et marteler encore : l’infortune d’Israël n’existe que par ceux qui lui refusent la paix.

     Regardons les ruines où Salomé dansa… Penchons-nous sur cette cavité au fond de laquelle Jean le Baptiste fut emprisonné… Rappelons-nous Josué arrêtant le soleil dans la vallée D’Avalon… Et David, petit Berger victorieux de Goliath…Voici la plage d’Ashkelon où Samson fit la connaissance de l’intrigante Dalila qui lui coupa les cheveux pour anéantir sa force et causer sa perte… Sur ce même rivage, une baleine rendit Jonas à la lumière du jour…

     Oui. Regardons. Penchons-nous. Rappelons-nous. Et comprenons enfin que la mémoire collective d’Israël doit être une possibilité d’union plutôt que de discorde. Union entre les peuples. Tous les peuples. A commercer par celui qui prit le chemin de Salem. Il s’agissait de Juifs dont certains devinrent Chrétiens. Quiconque s’intéresse aux synagogues et aux églises est d’ailleurs frappé par leur gémellité.

     Les synagogues sont des églises silencieuses. Sans cloche ni bourdon. Dieu y est discret parce que l’esprit judaïque ne fait pas de prosélytisme.  Les carillons chrétiens demandent pardon pour les âmes repentantes. Ils rappellent ce qui reste de vie, de force et d’espoir en sauvegarde de notre éternité. Autant d’hypothèses inutiles au peuple juif qui n’interprète pas. Le judaïsme prend acte des faits. Seulement. Rien d’autre.

      Les Chrétiens doivent établir une connexion avec Israël afin de redécouvrir l’amour des Écritures cher aux Juifs. L’histoire atteste aussi qu’Israël a besoin des Chrétiens. Ce sont eux, Hébreux ou descendants d’Hébreux, qui ont fait connaître le Dieu d’Israël à travers le monde. Eux qui ont traduit la Bible hébraïque et transmis son message. Mais aussi eux qui ignorent singulièrement les Évangiles bien que ces derniers ratifient un témoignage de la vie et des croyances juives du premier siècle. De précieuses vérités en émanent, renforcent et enrichissent les racines du judaïsme.

     La Résurrection de Jésus – précisément l’idée qu’elle puisse avoir eu lieu – pose la véritable différence entre Juifs et Chrétiens. Pour autant, différence ne signifie pas clivage. Il existe suffisamment de points communs entre les enfants d’Abraham et ceux du Christ pour imaginer le doute des premiers et les certitudes des seconds pouvoir se réunir sous de favorables auspices. D’ailleurs, les ultimes mots du Christ en souffrance sur la croix : « Eli, Eli lama sabachtani ? – Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? », forcent à reconnaître que lui-même a douté. Et de l’homme qui doute à celui qui croit il n’y a guère de distance. Ainsi, nul Chrétien ne peut prétendre ignorer l’incertitude et le doute puisque les agréments de l’esprit qui admettent la résurrection du Christ évoquent avant tout l’espoir en Dieu, non la certitude qu’il existe.

     A propos ! Qu’est-ce qu’une résurrection ?

     Le mot vient du latin resurgere – « se relever ». On peut ressusciter socialement au regard d’un nouvel essor de vie, ou physiquement après une longue maladie, mais seule la Résurrection de Jésus prend une majuscule. Elle est vénérée par les Chrétiens et contestée par les Juifs puisque l’Ancien Testament n’évoque aucune vie éternelle du Messie. Il est en revanche abscons d’imaginer le message eschatologique des synagogues en opposition à celui des églises chrétiennes. Ancien et Nouveau Testament se complètent dans un seul ouvrage. Leur message a l’ambition de réunir certitudes et croyances…. Évidences et hypothèses… Juifs et Chrétiens.

     Deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, des ecclésiastiques Catholiques et Protestants se réunirent avec un collège de rabbins dans le but de recentrer la doctrine chrétienne face à l’antisémitisme. Parmi ces évidences, ils notèrent que le commandement fondamental du christianisme — aimer Dieu et son prochain, déjà proclamé dans l’Ancien Testament et confirmé par Jésus — concerne Juifs et Chrétiens dans toutes les relations humaines sans exception. En outre, il convient d’éviter de parler des Juifs comme si les premiers membres de l’église chrétienne n’en avaient pas été. Car, et ce point est essentiel, tous les Chrétiens sont Juifs. Jésus est né d’une mère juive par la descendance de David, c’est à dire celle du peuple d’Israël ; son amour et son pardon éternels embrassent son propre peuple (converti ou non au christianisme) ainsi que le monde entier. De fait, Juifs et Chrétiens sont enfants d’Israël.

Jérôme ENEZ-VRIAD

© Juin 2022 – J.E.-V. & Tribune Juive

Jérôme Enez-Vriad, Producteur et chroniqueur culturel, est auteur, notamment de Berlin : La frontière de nos jours, et Shuffle: journal devenu roman

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4 Comments

  1. Formidable ! Un texte d’unification. Un texte intelligent. Intelligible. On est d’accord ou pas. Peu importe ! Et d’ailleurs pourquoi ne le serait-on pas puisque tout le monde en sort grandi. C’est remarquable. J’en ai les larmes aux yeux. Merci. Merci. Merci. Merci de m’avoir ému aux larmes. Un très beau texte qui m’incite à réflexion sous un angle différent.

  2. Vous êtes pour la réunion des juifs et des chrétiens. Très bien on ne peut qu’approuver. Néanmoins un petit point dans votre texte laisse réveur, vous écrivez :
    ” peuple juif qui n’interprète pas.”
    C’est une erreur ! Tout le Talmud est rempli d’interprétations ! Il y a même des règles d’exégèse afin d’interpréter, mais pas n’importe comment ! Alors, il faut bien se renseigner car la bonne volonté doit s’allier avec la connaissance !

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