André Markowicz. Sauver Poutine

D’abord, ça. Je parle des centaines, visiblement, de viols, des vols, des destructions systématiques de l’armée russe et, plus le temps avancera, plus nous ferons le bilan, plus nous verrons, mais, voilà trois jours, une video a fait le tour du monde (je ne l’ai pas vue), montrant des prisonniers russes insultés, torturés — et les tortionnaires, en uniformes ukrainiens, leur tiraient dans les jambes. La chose est avérée — c’est bien un crime de guerre. Les autorités ukrainiennes ont lancé une enquête (il semble que ce ne soit pas l’armée elle-même qui soit en cause mais des milices), mais le fait est là. La mort appelle la mort, et la haine est absolue en ce moment. Et il faut bien dire que, cette haine, on la comprend.

Le plus invraisemblable dans cette guerre, c’est que Poutine affirme qu’il est seul contre tous, et que c’est le monde entier — l’Otan, les Usa, l’Union européenne, — qui s’est liguée contre lui. Alors qu’en fait, dans les faits, c’est « le monde entier », qui est en train de lui sauver la mise. L’armée russe, tout le monde le dit, est dans un état de crise endémique : des pertes très importantes (très possiblement proches de 20.000 morts en tout, et au moins le double de blessés), des matériels souvent défectueux, une intendance en faillite, un moral catastrophique — des cas de mutineries, d’automutilations qui ne cessent de se répéter, par exemple, et la certitude d’être traités par les officiers comme de la chair à canon. Et cette armée, qui se prétend une des plus fortes du monde, a été mise en échec, quasiment sur tous les fronts, par l’armée ukrainienne. Aujourd’hui, elle est en retraite, partout — sauf à l’Est. Elle est en retraite parce que, comme l’annonçaient les Ukrainiens eux-mêmes, tout simplement, elle ne pouvait plus tenir ses lignes de ravitaillement.

Mais cette armée continue de détruire, systématiquement, tout ce qu’il est possible de détruite : on ne compte plus le nombre de villes où il faut tout reconstruire, où tout, simplement tout, est ravagé. Cette armée a mis sur les routes, je le rappelle encore, au moins un quart de la population totale du pays (plus de 10 millions de personnes) et, chiffre atterrant mais officiel de l’Unicef, la moitié des enfants ukrainiens dans leur ensemble.

Cette armée, donc, a été battue, militairement. La doctrine officielle est qu’elle “se regroupe”. Oui, elle se regroupe, et il ne faut surtout pas penser que la guerre est finie. Maintenant, toutes les grandes opérations militaires vont se concentrer sur le Donbass, — pour définir ce que c’est, le Donbass : s’agit-il du territoire, déjà russe de-facto, des républiques sécessionnistes, ou des provinces de Lougansk et du Donbass en tant que telles, de leur territoire administratif ?

D’où l’acharnement, au nord, autour d’Izioum, et au sud, sur Marioupol (qui tient toujours).

Parce que les conditions, visiblement, de la paix négociée marquent la défaite : il ne s’agit plus de parler de dénazification ou de démilitarisation de l’Ukraine. Le statut de neutralité demandé (et qui existait déjà) empêcherait l’adhésion à l’Otan (qui ne veut pas de l’Ukraine), mais n’empêche pas l’adhésion à l’Union européenne, qui, visiblement (et c’est heureux !…) est prête à l’accueillir. Et l’absence d’arme nucléaire est, là encore, un état de fait.

Quant au respect de la langue russe, — je ne connais pas les détails (les connaît-on ?), il sera lié au respect des autres langues “minoritaires”, roumain, hongrois… Ça, il faudra voir encore.

Bref, la Russie est battue. Disons qu’elle a été stoppée

Bref, la Russie est battue. Disons qu’elle a été stoppée. Ce qui se passe en ce moment, c’est que l’Occident (appelons ça comme ça) refuse de donner des armes offensives, c’est-à-dire que nous refusons à l’Ukraine la possibilité de retourner totalement la défaite militaire russe en réelle déroute : les Ukrainiens peuvent se défendre, détruire, je ne sais pas, les avions depuis le sol, mais ils ne peuvent pas lancer des offensives qui leur permettraient de libérer totalement leur territoire.

Et pourquoi l’Occident se refuse-t-il à livrer des chars ? — On nous explique qu’il y a des raisons pratiques toutes simples, à savoir qu’il faut du temps pour que les personnels militaires apprennent à s’en servir, ce qui explique qu’on livre essentiellement du matériel russe (parce que les Ukrainiens savent déjà le manier). Bon, peut-être.

Mais je crois qu’il s’agit surtout de sauver la mise à Poutine. Je pense réellement que l’Occident s’efforce de le protéger, lui, autant qu’il est possible, parce que nous avons peur de la bombe. Parce que, je le répète encore, le rideau de fer arrange plein de monde. Et, devant ce refus répété de livrer des armes essentielles (les avions et les chars), je sens monter chez les commentateurs ukrainiens une grande amertume — exprimée ouvertement, et à de nombreuses reprises, par Volodymir Zelinski, et par Olekséï Arestovitch.

Cela signifie, pour la suite, que l’Ukraine se rangera toujours du côté de la Pologne, et jamais du côté des pays de l’Europe de l’ouest.

Et donc, la guerre va se concentrer dans l’Est : c’est ce qu’avait annoncé l’état-major russe, — il s’agit de “libérer le Donbass”.

Mais pas que la guerre. Tous les efforts russes vont se concentrer là. On annonce un référendum, visiblement dans les plus brefs délais, pour le rattachement de ces républiques à la Russie elle-même, et c’est là aussi le rôle du nettoyage ethnique en cours (comment appeler ça autrement ?).

Rappeler à Abramovitch Qui est Poutine

Il faut faire fuir aussi tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, risqueraient de ne pas vouloir devenir russes. De même qu’on parle d’un référendum autour de Kherson. Parce que Poutine ne s’arrêtera pas, et il a besoin — ne serait-ce que pour sa propre opinion publique — d’apparaître comme le vainqueur d’une guerre où il pourrait tout perdre. Pour le prouver, qu’il ne s’arrêtera pas, il y a cet épisode étrange, rapporté de plusieurs sources par les Ukrainiens : quand Abramovitch (dont la mère était ukrainienne) est venu trouver Poutine, porteur d’une lettre personnelle de Zélenski, Poutine lui aurait dit : “Dis-lui que je les écraserai tous”. En fait, non, je traduis mal. Il a dit “Je les anéantirai tous”. — Et ce n’est sans pas un hasard si, par la suite, Abramovitch a été victime d’une tentative d’empoisonnement (il a perdu la vue pendant plusieurs heures). Ce n’était pas pour le tuer, sans doute, mais juste pour lui rappeler qui est Poutine.

L’Occident attend que ce soit le peuple russe qui renverse Poutine. Parce que les sanctions font leur effet, jour après jour, de plus en plus : la hausse des prix est catastrophique, des produits commencent à manquer (par exemple, on vend pour l’équivalent de un dollar dix feuilles de papier d’imprimante — le papier est importé totalement). Mais le rouble est remonté, du moins officiellement. Je dis « officiellement », parce que, de toute façon, personne, en Russie, ne peut acheter de devises. Là encore, donc, il s’agit d’une remontée de façade. —

Poutine est prêt, là encore : la hausse des prix est parallèle à une augmentation du nombre des arrestations, et la terreur est là, comme juste encore sous la surface de l’eau. On n’entend parler que de « trahison », de « déserteurs », de « défaitistes » : le vocabulaire de guerre est entré dans les conversations, et il ne signifie qu’une chose. Si les gens se révoltent, ce sera encore pire. Et c’est clair que ce le sera.

En même temps, les luttes internes dans les cercles les plus proches du pouvoir continuent d’être sanglantes. Choïgou, le ministre de la Défense (un ami personnel, croit-on, de Poutine) avait disparu pendant deux semaines, avec son premier adjoint, le général Guerassimov. Il vient de réapparaître, le jour même où le site “Gulagu-net” de Vladimir Ossetchkine vient de publier un document stupéfiant : un démontage des machinations et des escroqueries du ministère de la Défense russe (et donc de Choïgou lui-même).

Techniquement, je n’ai pas compris comment marchaient ces escroqueries, mais disons qu’il s’agissait de tromper les entreprises qui recevaient des contrats, de “leur presser le citron” de telle sorte qu’on puisse faire et refaire les mêmes travaux sans jamais les finir, — bref, il s’agit d’un montant de 7 trillions de roubles, c’est-à-dire (et là encore, je suis nul en arithmétique), de quelque chose comme un milliard de dollars. Toute la chaîne de corruption est démontée, avec les noms et les grades (et c’est toute la chaîne de l’intendance et de la construction). —

Ce site dénonce généralement, avec un courage remarquable, les tortures systématiques des prisons russes, mais il a une particularité : son animateur, Vladimir Ossetchkine (réfugié en France), a fait état lui-même du fait que Dmitri Medvédev avait contribué au financement (pas, certes, pour une grande somme).

Ce qui est sûr, c’est qu’il est très bien informé — et ses informations ne viennent pas de l’extérieur.

Quel bilan ?… En Russie, une lutte de clans à l’intérieur du pouvoir, une crise économique d’une ampleur réellement sans précédent qui s’approche (bien plus grave que celle des années de la Pérestroïka), et l’appareil de repression qui se tient prêt à passer à la terreur massive.

En Ukraine, un pays dévasté, des villes réduites à rien (50% de tous les bâtiments de Tchernigov, 90% de ceux de Marioupol, toutes les infrastructures détruites, un quart de la population totale déplacé.

Et à la question de savoir quand les réfugiés pourront rentrer, Olekséï Arestovitch répond que ce n’est pas demain la veille, parce qu’il y a des tonnes de munitions non explosées, et que les Russes ont miné tout et n’importe quoi. Il y a même eu des cas où ils ont miné les morts… — ils laissent les cadavres (j’en ai parlé), les Ukrainiens les ramassent, et, c’est arrivé, quand ils retournent les cadavres, la mine explose.

Pour que les gens puissent revenir chez eux, reconstruire, panser un tant soit peu les plaies, il faudra des années. — C’est aussi ça, l’armée russe. C’est aussi ça, Poutine.

Un dernier mot. Kadyrov a annoncé lui-même, vidéo à l’appui, que Rouslan Guéremeev avait été blessé à Marioupol. Il y commandait les forces tchétchènes. Vous le connaissez ? En Russie même, il est soumis à un mandat d’arrêt, parce qu’il est soupçonné d’avoir dirigé le commando qui a assassiné Boris Nemtsov. Depuis 2015, il était “recherché”. La police s’était, en 2015, rendue chez lui et sonné à sa porte. Il n’avait ouvert, elle était repartie. Bref, il est réapparu, triomphant, posant un drapeau tchétchène (pas russe) sur un immeuble en ruines dont il prétendait que c’était le siège de l’administration de la ville. Il suffit de regarder la vidéo et de comparer les photos sur Google pour voir que ce n’était pas du tout le siège de l’administration de la ville, c’était un immeuble d’habitation — ravagé. Bref, cet assassin, dirigeant des assassins, a été blessé. — Et je ne crois pas que la justice russe viendra l’arrêter dans son lit d’hôpital.

© André Markowicz

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André Markowicz. Photo F. Morvan

André Markowicz, né de mère russe, a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre, parmi lesquels l’intégralité des œuvres de fiction de Fiodor Dostoïevski, le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les oeuvre d’Alexandre Pouchkine, et, en collaboration avec Françoise Morvan, le théâtre complet d’Anton Tchekhov. Il a publié quatre livres de poèmes.  Ses quatre derniers livres sont parus aux éditions Inculte : Partages (chroniques Facebook 2013-2014, et 2014-2015)Ombres de Chine et L’Appartement.

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“Partages”

“Partages est le journal d’un écrivain qui se retourne sur son travail de traducteur, sur ses origines, sur ses lectures, sur la vie qui l’entoure. C’est une tentative, aléatoire, tâtonnante, de mise en forme du quotidien, autour de quelques questions que je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en état de partager avec mes lecteurs, mes “amis inconnus”. Quelle langue est-ce que je parle ? C’est quoi, parler une langue ? Qu’est-ce que cette “mémoire des souvenirs” ? Qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris, mes poèmes et mes traductions ? – C’est le reflet, que j’espère partageable, d’une année de ma vie.” André Markowicz

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2 Comments

  1. J’espère que personne ne s’avisera de vouloir “sauver Poutine” qui est à l’origine de ce désastre aux implications encore incalculables.

  2. “Tres possiblement proches de 20.000 morts” d’après qui ? Sur quelle source vous basez vous ? La propagande du gouvernement de zelensky ? Au sujet des viols d’où sortez vous cette info ? Je ne dis pas que c’est forcément faux mais vous semblez présenter comme une certitude des choses qui n’en sont pas. Même si historiquement les viols sont courants en temps de guerre. Certaines armées en commettent d’ailleurs plus que d’autres. Les Anglais comptent probablement parmi ceux qui en commettent le moins, et les Américains parmi ceux qui en commettent le plus en temps de guerre.

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