Lettre ouverte de Marek Halter au Président Poutine

Monsieur Poutine, vous avez prononcé alors une phrase que j’ai beaucoup appréciée : « Celui qui ne regrette pas la disparition de l’Union soviétique, qui a su réunir 73 ethnies autour d’un même rêve, n’a pas de cœur. Mais celui qui voudrait la reconquérir n’a pas de tête. »
ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP

“Monsieur Poutine, il est encore temps d’interrompre cette guerre”

Dans une lettre ouverte, l’écrivain Marek Halter demande au président russe, qu’il a connu, d’accepter de négocier, six jours après le début de l’invasion de l’Ukraine.


Vladimir Vladimirovich,

Vous le savez : j’aime la Russie. Elle m’a sauvé la vie quand, en 1940, il y a 82 ans, les nazis avaient le dessein d’anéantir mon peuple. J’aime la littérature russe : ses personnages, Natacha, le prince Bolkonsky, les frères Karamazov, l’oncle Vania, habitent mes rêves. J’aime la musique russe : Tchaïkovski, Prokofiev, Chostakovitch, dont les mélodies ont imprégné ma jeunesse. Enfin, j’aime l’art russe : je dois mon amour de l’art moderne à Malevitch, Kandinsky et Chagall.

J’ai été malheureux de voir ce peuple merveilleux, tendre et patient – trop patient ! –, écrasé, après une courte pause de liberté, par la police secrète et les camps du goulag. Je me suis battu. J’ai manifesté ma solidarité aux dissidents : Alexandre Soljenitsyne, Alexandre Zinoviev, Vladimir Maksimov, Vladimir Boukovski, Léonide Pliouchtch (un Ukrainien) et, bien sûr, mon ami Andreï Sakharov. Puis, heureux de la chute du mur de Berlin, j’ai été parmi les premiers à retourner à Moscou, où j’ai créé la première université occidentale en Russie post-soviétique, afin que sa jeunesse ait accès à la liberté de pensée et à la démocratie.PUBLICITÉ

C’est à l’occasion de l’inauguration de l’université française de Saint-Pétersbourg en 1992 que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Vous étiez alors le bras droit d’Anatoli Sobtchak, premier maire démocratiquement élu de la ville du tsar. Nous nous sommes revus par la suite plusieurs fois. J’ai publié des entretiens avec vous. Enfin, vous êtes devenu président de la Fédération de la Russie.

Il y a un mois à peine, j’ai fêté mon 86ᵉ anniversaire en Russie, à l’initiative de l’Université d’État de Moscou. Votre conseiller, Mikhail Shvydkoy, m’a transmis publiquement vos félicitations. Vous avez prononcé alors une phrase que j’ai beaucoup appréciée : « Celui qui ne regrette pas la disparition de l’Union soviétique, qui a su réunir 73 ethnies autour d’un même rêve, n’a pas de cœur. Mais celui qui voudrait la reconquérir n’a pas de tête. »« Il est encore temps d’interrompre cette guerre, de vous mettre autour de la table des négociations et de poser vos conditions. Le peuple russe vous soutiendra. Et vos amis à travers le monde aussi. »

J’ai écouté attentivement votre long discours du 21 février 2022, lors duquel vous avez énuméré toutes les humiliations infligées par l’Occident à la Russie ces dernières années, et j’étais en grande partie d’accord. Je trouvais votre réaction au projet américain d’implanter de bae de l’OTAN en Ukraine, à votre frontière, justifiée. Comme le fut, en octobre 1962, celle du président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy, lorsque l’URSS a décidé d’installer des bases militaires à Cuba. En cela, la plupart des pays du monde vous donnent raison.

Vous étiez donc le maître des horloges. Vous pouviez réclamer et obtenir de l’Occident, et en particulier de l’Ukraine, l’abandon de ce projet sur son territoire. Vous avez gagné sans un seul coup de feu. Quant à moi, convaincu de l’issue pacifique de cette crise, j’ai déclaré aux médias que la guerre entre la Russie et l’Ukraine n’aurait pas lieu. Je me suis trompé. Que vous est-il arrivé, monsieur le président ? Pour quelle raison avez-vous manqué la dernière marche dans l’ascension de la Russie vers l’un des sommets de l’Histoire ?

Le libre penseur américain H.L. Mencken dit avec raison qu’une « guerre laisse le pays avec trois armées : une armée d’infirmes, une armée de pleureuses, et une armée de voleurs ». Sans parler des morts qui, comme dans le Macbeth de Shakespeare, ne laisseront jamais les vivants tranquilles. Il est encore temps d’interrompre cette guerre, de vous mettre autour de la table des négociations et de poser vos conditions. Le peuple russe vous soutiendra. Et vos amis à travers le monde aussi.

© Marek Halter

https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/marek-halter-monsieur-poutine-il-est-encore-temps-dinterrompre-cette-guerre

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1 Comment

  1. Quel écrivain ??? Tu es vraiment le meilleur. En Afrique/Rwanda nous adorons le président poutine étant donné qu’il est le seul homme qui peut s’opposer à l’impérialisme. Vive la Russie

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