Valérie Toranian. Les premières victoires de Volodymyr Zelensky, héros européen

Aux États-Unis qui lui proposaient de l’exfiltrer pour le mettre en sureté, Volodymyr Zelensky a répondu qu’il avait besoin de munitions, pas de taxi. Tel l’enfant grec du poème de Victor Hugo contemplant les ruines noircies de son île de Chio, Zelensky veut « de la poudre et des balles ». Quelques heures ont suffi, après le début de l’agression russe, pour transformer l’ancien comique élu à la présidence en 2019, en chef de guerre, forçant le respect et l’admiration.

À l’opposé du président afghan Ashraf Ghani, s’enfuyant en hélicoptère en Ouzbékistan dès l’apparition des premiers groupes de talibans dans Kaboul, le 15 août dernier, Zelensky est au cœur de la bataille, dans Kiev encerclée par les troupes de Poutine. « Je reste dans la capitale. Ma famille est également en Ukraine. Mes enfants sont en Ukraine. Les membres de ma famille ne sont pas des traîtres, ils sont des citoyens ukrainiens ». Le président envoie régulièrement des messages à ses compatriotes, les exhortant à résister, à prendre les armes. « Pas de panique nous vaincrons », a-t-il déclaré sur les réseaux sociaux, le premier jour de la guerre. Aux soldats russes, qui hésitent à frapper ce « peuple frère » avec lequel ils ont tant de liens, Zelensky demande de déposer les armes et de rentrer chez eux.

Le héros est celui qui relève le gant quand toutes les chances sont contre lui, écrivait Echyle. Zelensky est un héros de tragédie. Dans quelques heures ou quelques semaines, le président ukrainien sera peut-être mort. Capturé et liquidé par les forces spéciales russes ou par les mercenaires du groupe Wagner qui ont pénétré sur le territoire ukrainien comme le révèle aujourd’hui le quotidien anglais The Time: leur cible numéro un est Zelensky, leur cible numéro 2, sa famille. Poutine a été trop loin pour reculer : l’existence même d’un Zelensky est une menace pour son pouvoir personnel et sa légitimité, il n’aura de cesse de le faire disparaître.

On ne peut qu’applaudir la résistance ukrainienne, largement sous-estimée par Poutine. Mais ne sous-estimons pas, en retour, la puissance militaire du dirigeant russe. La guerre ne fait que commencer. Moscou se prépare à l’étape suivante. Sans même parler de la menace nucléaire que Poutine n’hésite pas à brandir mais qu’il aura du mal à activer (à moins d’être encore plus fou qu’on ne le dit), le chef du Kremlin a encore les moyens de faire souffrir mille morts à l’Ukraine. Il peut soumettre Kiev à un déluge de fer et de feu à l’image de ce qu’il avait fait à Grozny en Tchétchénie. Certes, il proclame que Kiev est le centre historique de la Rus ancestrale et il pourrait hésiter à la balayer de la carte, mais les événements ont prouvé que Poutine est rarement étouffé par les scrupules.

Le coût à payer pour la soumission de l’Ukraine sera lourd du côté russe. Entre les sanctions économiques, particulièrement élevées, qui vont affaiblir un pays déjà pauvre, et les pertes sèches que subira l’armée russe si elle s’embourbe en Ukraine, Poutine joue gros. Pourquoi prendre autant de risques et ne pas se contenter d’annexer les républiques du Donbass ?

C’est que l’enjeu de cette guerre est tout autre que la reconstitution de l’empire russe ou soviétique. Ce qui se joue, et qui menace bien plus l’autocrate Poutine, c’est l’exemple démocratique. Que l’Ukraine, si proche de la Russie, puisse croître et prospérer avec un modèle démocratique est une catastrophe pour son propre pouvoir. Certes, l’Ukraine n’est pas encore un État de droit exemplaire et les problèmes de corruption que connaît le pays n’ont pas encore été réglés, comme Zelensky en avait fait la promesse. Mais Poutine, qui a aménagé la constitution pour rester au pouvoir jusqu’en 2036, a peur d’une contagion démocratique qui pourrait d’autant plus avoir lieu que la Russie, dépouillée par ses oligarques, subit un retard économique de plus en plus manifeste. Poutine a pensé que le pays se soumettrait rapidement, que tout rentrerait dans l’ordre et qu’on le laisserait être le maître des horloges et de la région comme il en a l’habitude. C’était sans compter avec un comique populaire élu président de la République, un héros de série télévisée tentant vaille que vaille de faire le job et qui allait se révéler dans l’épreuve un chef de guerre charismatique.

Quelle que soit l’issue de ce conflit qui risque d’être long et tragique, Zelensky restera dans l’histoire pour deux raisons :
– avoir eu le courage de dire non à la deuxième armée du monde pour défendre le droit de son pays à ne pas être un vassal de la Russie ;
– avoir provoqué une révolution copernicienne au sein de l’Europe en faisant entrer les 27 pays membres de l’Union dans l’âge adulte de la défense commune. Certes, c’est plus contre Poutine que pour Zelensky que l’Europe se lève. Mais le courage de Zelensky a rendu d’autant plus indécente la pleutrerie de l’Europe. Et lui a donné la force de surmonter des obstacles qu’elle croyait insurmontables.

Non seulement Poutine s’est trompé sur la capacité de résistance et de résilience de l’Ukraine, mais, aveuglé par son hubris, il a cru que l’Europe continuerait de se comporter en éternel ventre mou dont il a toujours favorisé la désunion. Par cette guerre, il lui a fait le cadeau de son unité. De même qu’il a ressuscité l’OTAN « en mort cérébrale », il a réveillé l’Europe. Voilà que le « machin » impuissant et moribond, raillé (souvent à juste titre !) pour ses atermoiements et sa technocratie obèse, se redresse et parle d’une seule et même voix pour le condamner ! Pire, l’Allemagne, avec laquelle il entretient des relations particulières puisqu’elle est dépendante de lui à 40 % pour son approvisionnement énergétique, cette Allemagne qui a toujours refusé de s’opposer à lui à l’époque d’Angela Merkel, voilà que par la voix d’Olaf Scholz, son nouveau chancelier, elle décide d’envoyer des armes à l’Ukraine. Et qu’elle double son budget militaire. Une décision historique !

Il est trop tôt pour dire si cette unité se maintiendra. Si cette défense européenne verra réellement le jour et s’inscrira dans le long terme. Mais saluons ce moment pour ce qu’il est : un électrochoc et une chance pour l’Europe si elle sait s’en saisir. Et un signal d’espoir pour l’Ukraine au sixième jour de la guerre.

Valérie Toranian

© Valérie Toranian

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

1 Comment

  1. On croit rêver…Un tel déni de réalité et une telle inversion du réel…Une telle cécité mentale face à la réalité du monde. Une inversion du réel où le mensonge est présenté comme la vérité et où les pyromanes se font passer pour des pompiers. L’Union européenne c’est l’Oceania de 1984 :
    La guerre c’est la paix
    La liberté c’est l’esclavage
    L’ignorance c’est la force

    Ces gens sont des fous.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*