Sarah Cattan. Lo Tishtok. Le suicide de Shifra Horowitz nous oblige à écouter les victimes d’agressions sexuelles

Accusé d’avoir agressé une vingtaine de personnes, dont des mineurs, pendant vingt-cinq ans, l’auteur à succès Chaim Walder s’est suicidé lundi 27 décembre, provoquant un réveil parmi les « haredim ».

L’Affaire remonte au mois de novembre. Le quotidien Haaretz, qui avait déjà rapporté que Yehuda Meshi-Zahav, Fondateur de l’organisation d’intervention d’urgence Zaka et lauréat du Prix Israël, la plus haute distinction publique du pays, avait agressé sexuellement des garçons, des filles et des femmes, réitérait cette fois sous la plume de deux de ses journalistes, Aaron Rabinowitz et  Shira Elk, relayés par la chaîne la chaîne N12 : trois femmes, bientôt rejointes par 19 autres personnes, accusaient l’icônede viols et portaient  plainte dans la foulée auprès de la cour rabbinique de Safed, qui juge les crimes sexuels dans la communauté et a auditionné le dimanche 26 décembre ces 22 fidèles venus témoigner de vingt-cinq ans d’abus subis

Les media israéliens qualifièrent l’Affaire de coup de tonnerre, séisme, coup de feu, choc énorme mais cathartique, touchant l’éminent écrivain pour enfants et rabbin Chaim Walder qualifié pour sa part d’icône culturelle, de star, les révélations de sa grave inconduite 25 ans durant sur 24 personnes étant racontées comme un cataclysme dans la muraille de pudeur du monde orthodoxe.

Si au départ la seule Communauté juive ultra-orthodoxe d’Israël s’était déjà trouvée ébranlée par des allégations d’abus sexuels contre plusieurs de ses personnalités, c’était, cette fois, le coup de trop, tant extra-ordinaire qu’il divisa ladite Communauté, éparant ceux qui ne voulaient pas y croire, ceux qui voulaient recouvrir la honte d’un tissu, et ceux décidés à ébruiter, ceux-là faisant qu’un appel commença à se répercuter au-delà de la société haredi dévote et introvertie.

Le lundi 27 décembre, Chaim Walder, d’abord retranché chez lui, se suicida sur la tombe de son fils, au cimetière Segoula de Peta’h Tikva, non sans avoir persisté à nier lesdites accusations via une lettre dans laquelle il affirmait son innocence.

Ses funérailles eurent lieu en présence de rabbins influents, les autorités religieuses ayant autorisé en quelque sorte réhabilité le violeur en lui concédant un enterrement à l’intérieur du cimetière, normalement interdit aux personnes qui ont mis fin à leurs jours.

L’affaire, on s’en doute, divisa les rabbanims du monde religieux et surtout orthodoxe : alors que le grand rabbin de Safed, le Rav Shemouel Eliyahou, recueillait de nombreux témoignages, des rabbanims de premier plan du monde orthodoxe accusaient ce forum d’avoir mis la charrue avant les bœufs, en s’étant livré à des calomnies et à de la médisance responsables de la mort de Haïm Walder, certains allant jusqu’à inventer de prétendus arguments de halakha pour estimer que l’affaire … n’aurait pas dû être révélée à ce stade : un Rav n’accusa-t-il pas le Rav Eliyahou … d’avoir colporté mensonges et bluff  et de s’être livré à du … maccarthysme.

Mais des messages de soutien, venus de politiques et d’autres personnalités, affluèrent pour féliciter le courage, le leadership et le sens des responsabilités du Rav Eliyahou, qui avait eu l’indicible force de dire aux victimes : Vous n’êtes pas seules : L’attitude du Rav Eliyahou constitue un soutien sans failles aux victimes et un pas important dans le combat contre ces phénomènes, déclara une Député.

Pour sa part, le rédacteur en chef du Jerusalem Post, Yaakov Katz, demanda le limogeage pour faillite morale de David Lau,  grand rabbin d’Israël, qui commit la faute d’aller visiter après les obsèques la famille du suicidé, l’amenant à publier une déclaration disant que son cœur allait aux victimes d’abus sexuels.

Yair Ettinger, expert en haredim au groupe de réflexion Israel Democracy Institute et journaliste au radiodiffuseur public Kan, déclara quant à lui que l’establishment rabbinique d’Israël restait dans le déni, et que Si les Haredim faisaient partie d’une société idéaliste qui avait du mal à se regarder dans le miroir, l’âge de l’innocence était révolu.

En France, certains media communautaires surent se reprendre à temps, tel LPH qui, après avoir titré sur la triste fin de Haïm Walder, se reprit et évoqua L’affaire qui divisait le monde religieux, les uns accusant Haaretz d’avoir causé la mort du concerné, les autres ayant ce sursaut salvateur et espéré qui prit nettement position en faveur des victimes, toutes personnes abusées.

Ecoutez les plaignants et plaignantes. Arrêtez de cacher la vérité. Le but c’est le rétablissement de ces 22 victimes, pouvait-on lire en commentaires des media : Le point positif ici sera pour les prochaines victimes qui oseront parler et sauront qu’elles seront écoutées, ce qui donnera à réfléchir aux prédateurs.

Malgré son suicide, un procès devrait se tenir afin que les victimes puissent s’exprimer et exprimer leur état d’être actuel. La Société a l’obligation morale d’une totale assistance. Il faut combattre l’omerta qui a entouré ces agissements criminels.

Ne supportant pas les célébrations et la pluie d’hommages rendus à son agresseur présumé, Shifra Horowitz, 24 ans, victime présumée de Chaim Walder, mit fin à ses jours le 30 décembre 2021 à Jérusalem. Comment en effet supporter les honneurs rendus à titre posthume à son violeur, et comment entendre, lors de ses funérailles, un Rav dénoncer … un assassinat.

Lo TishtokVous ne vous tairez pas, Organisation fondée par Avigayil Heilbronn pour soutenir les victimes d’abus sexuels haredi, gagna du terrain parmi les haredim, contraints de prendre en compte les allégations de crimes graves et ici d’abus sexuels sur des enfants, commis cette fois par une de leurs icônes culturelles, et ce malgré le séisme provoqué.

Josiane Paris, bénévole au Centre de Crise Tahel de Jérusalem, conçu en soutien aux enfants et aux femmes des communautés juives religieuses, a déclaré pour sa part à l’AFP combien les victimes de violence domestique, d’agression sexuelle et de viol gardaient le silence, par peur de ce que diraient les gens et les voisins de l’école ou de la synagogue.

Pendant des années, les ultra-orthodoxes ont voulu gérer leurs problèmes dans l’entre-soi. Ces révélations permettent de dire aux victimes : Vous n’êtes pas folles, ces choses se sont vraiment passées, insistèrentAaron Rabinowitz et Shira Elk, tous deux appartenant au Groupe lo Tishtok, décidé à casser la culture du silence de mise et aidés pour ce faire par moult journalistes, artistes et militants.

Tous ceux-là ne veulent plus parler de Walder, au risque de le faire passer pour une victime des médias et des rabbanims qui osèrent se prononcer sans hésitation et sans excuses face aux atrocités commises, mais veulent porter la parole de ses victimes, entendues par le Tribunal spécial : Elles ont tous demandé que nous ne les trahissions pas. Elles ont dit qu’elles redoutaient la façon dont les familles et le public allaient réagir à ces révélations,  a rapporté le Rav Liad Orian, évoquant le mode opératoire de Walder : La plupart d’entre ces victimes sont venus à lui parce que c’est un écrivain, un homme important et sage. Un conseiller. Certaines étaient même venues à lui pour évoquer le viol d’un proche…

Cela se passait dans le dépôt de livres de Walder, dans son bureau ou encore dans des hôtels. Une des victimes a produit l’enregistrement audio d’une conversation où l’on peut entendre Walder: C’est ta parole contre la mienne. Personne ne te croira.

Vous n’êtes pas coupable, répondirent les juges, amenant une jeune femme à expliquer en évoquant la Loi du silence et la mise sous le tapis des abus sexuels: Je pleure parce que c’est la première fois que des rabbins me croient après vingt ans. C’est la première fois qu’on ne me dit pas de me taire. Merci, vous avez corrigé cette réalité injuste. Ma famille m’a boycottée et aucun d’entre eux n’est plus en contact avec moi lorsque j’ai décidé que je ne voulais plus me taire.

L’affaire Walder, terrible miroir où est contrainte de se regarder cette communauté orthodoxe, place les rabbins devant leur immense responsabilité face à la question des abus sexuels, faute suprême s’il en est, image du rapport sexuel interdit et considéré par la Bible comme l’une des trois fautes les plus graves avec le meurtre et l’idolâtrie.

Fut répétée la nécessité de manifester avant tout de l’empathie envers les victimes en insistant sur le principe de la Torah qui stipule que l’on ne peut “laisser couler le sang de son prochain sans réagir“(Lévitique,19,16), et réaffirmé le devoir du leadership religieux d’encourager les victimes d’abus sexuels à témoigner, en mettant en avant un autre célèbre principe de la Torah: “Tu détruiras le Mal en ton sein“(Deutéronome, 17,7).

Pour rappel, citons, créé il y a une vingtaine d’années, le forum rabbinique Takana (Réparation), qui, après avoir recueilli les témoignages de victimes, les oriente vers la police et éloigne le rabbin incriminé de toute responsabilité rabbinique ou éducative.

Hélas,pour certains comme Yair Ettinger, Chercheur à l’Institut israélien pour la démocratie, si certains rabbins dénoncent les abus sexuels, l’institution religieuse dans son ensemble “reste dans le déni” : “C’est une société idéaliste qui se regarde difficilement dans le miroir“, a-t-il déclaré à la chaîne publique Kan, non sans noter toutefois “une véritable prise de conscience du problème“.

Désormais, la photo d’une fillette la bouche fermée par une main d’adulte circule, accompagnée d’un texte: “Nous croyons les victimes“, afin de les exhorter à dénoncer leurs agresseurs.

Pour rappel : Walder, 53 ans, avait publié plus de 80 livres qui, depuis deux générations, eurent la place d’honneur sur toutes les étagères des enfants ultraorthodoxes à travers le monde. Il animait en été des camps privilégiant la thérapie par l’expression artistique. Enfin, Directeur d’une structure d’accueil des enfants à risque à Bnei Brak, il se mêlait de thérapie familiale, et il se dit que ce serait dans ce contexte qu’il aurait rencontré la plupart de ses victimes. Si un certain nombre de cas sont prescrits car remontant à 25 ans, mais le mode opératoire qui émergeait de ces auditions était effrayant. Le cas le plus ancien remontait à 25 ans, le plus récent daterait de six mois seulement.

Si hélas, avec la mort de Walder, c’est l’action publique qui s’éteint, le suicide de Shifra Horowitz a été le détonateur d’une salutaire prise de conscience.

Merci à Lisa Mamou.

© Sarah Cattan

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