Edith Ochs. Wokisme : Rallumez les Lumières !

Austère, moraliste et obscurantiste, la cancel culture n’en finit pas de faire des ravages en brandissant la bannière de la diversité et de l’inclusion.

Symbole des fêtes de fin d’année, Casse-Noisette, le ballet mythique de Tchaïkovski, a été déprogrammé par le Staatsballett de Berlin. A Londres  et en Ecosse, plusieurs salles ont décidé de  modifier les danses orientale et asiatique, dont la chorégraphie date de la création du ballet, en 1892.

En mars dernier, Klaus Kinzler, professeur  de langue et de civilisation allemande à l’Institut d’études politiques de Grenoble, a déclenché un scandale dont les remous sont loin de s’apaiser, à quatre mois des présidentielles. Qu’a-t-il fait de si dramatique ? Il a refusé simplement d’assimiler l’ « islamophobie », création des Frères musulmans, à l’antisémitisme et au racisme. Des étudiants ont alors placardé des affiches sur les murs de l’Institut pour « dénoncer » l’enseignant. Résultat, en décembre, il a été mis à pied par la directrice de l’établissement qui l’accusait d’avoir proféré des « propos diffamatoires ».  

Enseigner l’histoire au Canada

Novembre, annonçait le Toronto District School Board cet automne, sera le mois de « l’éducation indigène » dans les collèges de l’Ontario : on étudiera les traités, les grandes figures, les victoires et la résistance du point de vue indigéniste. Et on se recentrera sur « l’histoire des Premières Nations, des Métis et des Inuits » en obéissant à deux principes clés : Vérité et Réconciliation.

Après des mois d’enseignement à distance, il est probable que tous les cours en présentiel se sont mis au diapason, y compris les cours de langue. Le français n’y a sans doute pas échappé puisque Prévert vient à son tour de faire scandale. De fait, il serait sage de passer au crible tous nos chers classiques, de Balzac à Victor Hugo et même Dumas, avant qu’ils ne franchissent l’Océan. Car l’universalisme est devenu péché capital dans les universités américaines.

Le poème de Prévert qui a fait scandale

Je suis allé au marché aux oiseaux Et j’ai acheté des oiseaux Pour toi mon amour Je suis allé au marché aux fleurs Et j’ai acheté des fleurs Pour toi mon amour Je suis allé au marché à la ferraille Et j’ai acheté des chaînes De lourdes chaînes Pour toi mon amour Et puis je suis allé au marché aux esclaves Et je t’ai cherchée Mais je ne t’ai pas trouvée Mon amour

En février dernier, un professeur de français  d’un établissement du district de Toronto a confié à ses élèves de 16 ans l’étude du célèbre poème de Jacques Prévert, en même temps que celle d’un texte de Léopold Sédar Senghor. Mal lui en a pris. Le soir même elle était mise à pied.

Ce joli poème écrit en vers libres en 1946, figure souvent au programme des collèges  français. L’amoureux parcourt les marchés de Paris pour couvrir sa bien-aimée de fleurs et de cadeaux, mais il parle aussi de son désir de possession de l’autre, lui imposant la privation de liberté. Or sa bien-aimée ne veut pas de chaînes, elle ne veut pas devenir une esclave, pas même une « esclave de l’amour ».

Mais même pour ce poème, l’indigénisme*** n’a pas fait dans la dentelle. Le soir-même, une des élèves (restée anonyme, précise le quotidien Le Devoir) est passée à la télévision où elle a « dénoncé » un « poème raciste », et l’enseignante a été suspendue.

Wokisme et cancel culture

Le dernier conflit entre Israël et Gaza, du 10 au 21 mai dernier, n’a pas fait exception. Comme toujours, cet affrontement s’est traduit par un déluge d’insultes antisémites qui a balayé la planète et enflammé le Net. Que le Hamas et le Djihad islamique, des organisations terroristes, l’aient déclenché et entretenu en balançant plus de 4000 missiles sur les civils du pays voisin n’a pas troublé les bonnes consciences.

Moins encore à l’ONU, puisque avant de clôturer l’Assemblée générale, 125 Etats — dont la France — ont voté en faveur de la création d’une Commission d’Enquête permanente sur les « crimes de guerre commis par Israël ». On ne peut pas leur reprocher un manque de constance, puisque, à peine deux semaines plus tôt, l’ONU avait adopté avec une majorité identique (129 voix, dont déjà celle de la France) une résolution niant tout lien entre le mont du Temple et les Juifs.

La conviction ne fait pas d’un mensonge une vérité. Nul ne peut donc s’étonner que les réseaux sociaux accréditent, relaient et renchérissent des absurdités, sans fondement, au mépris de l’histoire et de l’archéologie. Les jeunes ne sont pas seuls en cause puisqu’ils suivent en cela le modèle et l’enseignement de leurs maîtres. « Il ne faut pas trop évoquer la traite négrière arabo-musulmane pour que les jeunes arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes, » affirmait Christiane Taubira dans L’Express, le 4 mai 2006.

Wokisme et antisémitisme

Quand Theo (https://blogs.timesofisrael.com/losing-elysium/) a annoncé qu’il quittait, pour cause d’antisémitisme, le groupe Facebook de son université située sur la côte est des Etats-Unis, il s’est attiré un torrent d’insultes et de menaces haineuses. L’inscription sur le réseau social se fait dès l’entrée dans l’établissement, elle est permanente, et s’en retirer n’est pas un geste anodin.

Pourtant, comme ses congénères, le jeune musicien soutient les opprimés, défend les migrants, il est soucieux de justice sociale, et il aime échanger, il ne demande qu’à débattre des idées de ceux qui ne pensent pas comme lui. Il veut un monde meilleur pour tous. Dans un univers où tout le monde est woke, qu’a-t-il de différent ? Mais les règles de la pensée inclusive sont non-négociables.

« Je ne suis pas du tout antisémite, mais… »

Theo le guitariste est originaire du Midwest. Après quatre ans d’études, il enseigne la musique, joue dans des groupes de rock et comme il se doit, il a plein de tatouages, et une copine qu’il aime. Bref, il est comme tous les jeunes de sa génération, dirons-nous, il est comme tout le monde.

Alors pourquoi parler de Theo aujourd’hui ?

Parce que, justement, il se différencie sur un point : contrairement à bon nombre de ses semblables : il n’accepte pas la pensée unique.

Ainsi quand la guerre a éclaté entre Israël et le Hamas, quand la pensée unique a foncé parmi ses congénères comme un bulldozer, piétinant toute contestation sur son passage, proclamant un soutien inconditionnel aux « Palestiniens » et vouant Israël aux gémonies, il a répété inlassablement : Vous vous trompez, mais parlons-en, je peux vous expliquer ce que vous ne comprenez pas.

Que n’avait-il dit ? C’est simple, écrivit rageusement une étudiante sur le réseau, horrifiée : tout le monde sait bien que « les Palestiniens, c’est comme les noirs », ce sont donc les victimes. Autrement dit, les Israéliens étant… des blancs, ce sont les agresseurs. Point final.

Alors, conclut-elle, si tu les défends, tu ne peux être qu’un sale raciste.

Dès lors, le ciel s’ouvrit et les clichés antisémites déferlèrent dans sa in-box.

« Raciste », « lèche-botte de nazis », « colonialiste » et « suprémaciste blanc » qui serait « favorable au grand nettoyage ethnique des noirs et des métis », le tout agrémenté de menaces dans le genre : « Je vais te poignarder avec le sourire, sale Juif ».

De son côté, on a fait savoir à sa copine que les Juifs s’obstinant à enfreindre les règlements sanitaires, ils étaient la cause de l’épidémie. Le grand air de la calomnie, toujours…

Quant à Theo, un de ses camarades lui déclara : « Je ne suis pas du tout antisémite, mais… » S’ensuivit un joli sophisme : puisque Israël est le bras armé de l’extrême-droite blanche, Israël doit rendre les terres aux musulmans.

Woke, la vertu militante

Le wokisme est une piqûre de vitamines dès le réveil. « Etre woke, c’est beaucoup plus facile qu’on ne le croit, explique Titania McGrath, dans Woke. A Guide to Social Justice (Woke : petit manuel de justice sociale) Tout le monde peut être militant. En ajoutant un drapeau arc-en-ciel à son profil Facebook, ou en dénonçant une personne d’un certain âge qui ne comprend pas le sens de « non binaire », tu œuvres à rendre le monde meilleur. Avec les réseaux sociaux, on peut faire assaut de vertu sans se fatiguer. » [in Courrier International]

Le monde doit consentir à se plier à ta loi pour devenir meilleur, sinon c’est la haine.

Le mouvement BLM (Black Lives Matter) a pris la relève derrière MeToo. Et désormais la lutte des races a remplacé la lutte des classes. « Black Is Beautiful », revendiquaient les Black Panthers des années soixante-dix, et Angela Davis brandissait le poing. Depuis juillet 2016, la France a retiré le mot « race » de la Constitution. Comment cette notion de race a-t-elle pu nous revenir en boomerang, fleurant le scientisme et l’eugénisme des années trente ?  Et comment la seule couleur de peau —  blanche, ou beige, ou rose, ou rousse — a-t-elle pu devenir l’équivalent du mot privilège ? Allez savoir.

Le Social Media Pogrom

Ayant remarqué le même afflux d’insultes antisémites quand des internautes se renseignaient sur Cheikh Jarrah, le quartier palestinien de Jérusalem-Est au centre d’une bataille juridique depuis 100 ans, la critique musicale Eve Barlow a parlé dans Tablet d’un « pogrom via les réseaux sociaux ». A chaque poussée de fièvre à Gaza répond une vague de violence en Europe, qui se traduit par une cascade d’insultes antisémites et de menaces, explique-t-elle.

Cette jeune journaliste, née en Ecosse, a quitté l’Angleterre il y a quelques années en raison de l’antisémitisme, pour s’installer à Los Angeles. Désormais elle « éduque » ses lecteurs sur le racisme, l’antisémitisme, la diversité, les minorités, et LGBT.  « Aussi vrai que Twitter ne va pas libérer la Palestine, souligne la jeune femme, ce réseau va continuer de faire grimper l’antisémitisme. »

En mars, le grand traducteur du russe André Markowicz revenait dans Le Monde sur la polémique engendrée par la traduction en néerlandais du poème The Hill We Climb, d’Amanda Gorman, que la jeune femme a lu le jour de l’investiture de Joe Biden. Une journaliste s’étant insurgée car l’excellente traductrice pressentie n’était pas « noire » alors qu’elle avait toutes les compétences, l’éditeur Meulenhoff a immédiatement battu en retraite. Revenant sur l’accord préalable, il a cédé à l’appel de la repentance, et baisant en quelque sorte la main qui l’avait fustigé, il a  ajouté qu’il « avait beaucoup appris ».

Quand va-t-on enfin rallumer les Lumières ?

© Edith Ochs

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Edith-Image-3-ConvertImage-1564326678-200x200-1-1.jpg.

Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) “Les Falasha, la tribu retrouvée” ( Payot, et en Poche) et “Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan” (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.

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5 Comments

  1. Université de Bordeaux . Annulation d ‘une conférence.

    L’idéologie des « éveillés » ou ” woke” a conduit à empêcher la tenue d’une conférence de Sylviane Agacinsky, philosophe de son état et , à la ville, épouse de Lionel Jospin. Cette conférence était organisée par l ‘ université de Bordeaux; elle avait pour thème les techniques de la reproduction humaine.

    Ils sont tellement éveillés que la philosophe connue pour ses engagements contre la PMA pour toutes et contre la GPA a été traitée d ‘homophobe, transphobe. Ils sont vraiment très sensibles, très woke, au point de porter atteinte à la liberté de s ‘exprimer d’une personne qui, en fait, n ‘a tout simplement pas le même avis qu ‘eux. De plus il convient de remarquer qu ‘ils insufflent une telle peur que l ‘Université a annulé cette conférence, s ‘est couchée devant eux.

    Ces minorités soit disant éveillée sont en fait des pervers-narcissiques qui utilisent la culpabilisation ( vous êtes homophobe, transphobe, ceci cela… )pour vous manipuler, manipuler les autorités et finalement imposer leur loi : vous n ‘avez pas le droit de réfléchir, d ‘intervenir sur certains sujets.

    source : https://www.google.com/amp/s/www.liberation.fr/checknews/2019/10/27/pma-pourquoi-la-conference-de-sylviane-agacinski-a-t-elle-ete-annulee-a-l-universite-de-bordeaux_1759987/%3foutputType=amp

  2. Je suis woke.
    J’ai compris que les moules-frites, c’est le résultat d’une construction mentale associant le mythe phallique du patriarcat oppresseur, à la faiblesse de la vulve conchilycole conquise à marée basse.

  3. Le wokisme, ou la revanche des ratés, des nuls, infichus de créer quoi que ce soit de beau, d’intéressant. Les wokes sont ceux dont le seul moyen d’être connus est de détruire par tous les moyens, y compris les plus stupides et les plus insensés, l’œuvre des plus doués qu’eux.

  4. Le wokisme est aussi obscurantiste que les délires des Talibans ou des platistes. Et il est fondamentalement raciste et révisionniste.

    Or notre ministre de l’EN est wokiste.
    Nos médias dominants nauséabonds sont wokistes.
    Le monde du spectacle est aujourd’hui majoritairement wokiste.
    De même que le milieu éditorial.
    De même que nos universités, temples suprêmes de l’ignorance.
    De même que notre système judiciaire (l’affaire Sarah Halimi, par exemple, est du wokisme judiciaire)

    Or ce comble de l’ignorance (et de la haine) concerne principalement l’Amérique du Nord et l’Europe de l’ouest :
    Voilà ce que certains appellent le “monde libre”,le camp du bien” etc Voilà ce pour quoi votent les électeurs de Macron et Biden.
    Voilà ce que défendent les sectateurs de l’UE et de l’OTAN…

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