Edith Ochs. Sarah Halimi, un enterrement de première classe ( 1 )

Si le caractère antisémite n’avait pas été retenu dans le meurtre de Sarah Halimi, l’auteur du crime aurait-il été jugé ? La nature du crime aurait-elle paru différente ? L’assassin aurait-il alors été considéré comme responsable de ses actes, bouffée délirante ou pas ? Cannabis ou pas, y aurait-il eu enquête et procès ?

Imaginons :  Si Sarah Halimi n’avait pas été juive…

Dans une nuit d’avril, un homme de 27 ans dont les parents habitent une barre d’immeubles enjambe la rambarde d’un balcon voisin, pénètre dans la chambre d’une femme endormie, la saisit, la frappe avec sauvagerie au milieu des hurlements qui réveillent le quartier, lequel donne l’alerte aux policiers qui accourent, puis l’homme crie : « Attention, une femme va sauter du balcon », et il la pousse dans le vide.

La femme n’est pas juive. Simplement une femme. Une femme endormie chez elle, dans sa chambre…

Imaginons.

Autrement dit, on se prend à penser que le caractère antisémite aurait pu dénaturer le crime, le faisant apparaître comme « différent », échappant en somme à notre perception normale et universelle de la justice. Si Sarah Halimi s’était appelée X, Y ou Z, l’absence de procès aurait-elle paru naturelle, la société serait-elle restée aussi indifférente à sa mort horrible qui restera impunie ?

Impunie pour une raison qui nous paraît insaisissable, peut-être en raison même de l’absence de procès. Un procès aurait permis d’instruire l’affaire et d’affirmer au vu et au su de tous, devant la société et au nom de celle-ci, qu’il n’est pas supportable qu’on tue, qu’on fasse irruption chez vous, en pleine nuit, et qu’on vous massacre. Au nom de cette femme, pas Sarah mais Sophie ou Sonia, que sais-je, l’avocat général aurait sans doute plaidé que notre société ne pouvait tolérer de telles atrocités.

Il n’est pas même sûr que les voisins de cette femme, qui ont entendu ces cris horribles, aient dormi paisiblement dans les temps qui ont suivi, sans aller vérifier dix fois que leurs fenêtres étaient solidement fermées. Ils avaient alerté la police, et n’ont pas eu l’air de comprendre qu’elle n’intervienne pas. Le brigadier jure ne pas s’être rendu compte qu’il était en possession du trousseau de clés de l’appartement, révèle Sarah Cattan dans un article de Tribune Juive qui tient nos consciences en éveil.

Si le caractère antisémite n’avait pas été retenu, l’affaire aurait-elle connu le même développement ? Cette question n’obsède-t-elle personne ?

Une affaire française

Les Juifs sont des Français comme les autres, mais il aura fallu que ce soit Meyer Habib, le député des Français de l’étranger, qui obtienne cette commission d’enquête pour une affaire qui concerne une Française vivant à Paris. Depuis 5 mois, la commission fait son travail, et saura-t-on un jour ce qui s’est vraiment passé, pourquoi la main de la police a été retenue ? 

Sarah Halimi habitait depuis des années un modeste HLM de la rue Vaucouleurs. En avril 2017, quelques jours avant les élections présidentielles, elle fut massacrée à coups de poing au milieu des sourates du Coran pendant 40 minutes avant d’être jetée dans le vide. L’assassin, Kobili Traoré, 27 ans, un voisin de longue date, ne supportait pas qu’une femme juive discrète et sobrement vêtue habite à l’étage inférieur dans l’immeuble jouxtant celui de ses parents.

Enterrement de première classe

Le 14 avril dernier, quand la Cour de Cassation a confirmé l’Arrêt de la Cour d’Appel de Paris, on a pu avoir l’impression que celui-ci était attendu. Me Dupond-Moretti a déclaré qu’elle ne pouvait que confirmer la décision de la Cour d’Appel puisque « en France, on ne juge pas les fous ».

« Fou » ? De l’aveu de tous, l’assassin de Sarah Halimi n’est pas un « fou ». Il était sous l’emprise momentanée d’une substance, mais il ne semble pas que les innombrables expertises médicales l’aient déclaré fou, dément, ou aliéné, voire malade mental. Comme il l’a dit lui-même, il avait un peu forcé sur le cannabis.

Un « rassemblement » avait réuni 26000 personnes – (toutes villes confondues) – le 25 avril dernier, après la décision de la Cassation. Au Trocadéro, il y eut un défilé de personnalités de premier plan, dignes représentants de la communauté juive organisée et de la communauté nationale, tous outrés, indignés, populaires, admirés, admirables…

On a promis au « public » qu’une Place de Paris recevrait le nom de Sarah Halimi et que la loi serait modifiée… sans effet rétroactif, bien sûr, conformément au droit français.

Certains ont applaudi.

Malgré l’émotion soulevée par la fin de non-recevoir prononcée par la Cour de Cassation, la demande d’une Commission d’enquête ne fut guère soutenue par les « amis » sur lesquels le député Habib croyait pouvoir compter. Loin des caméras, ses collègues perdirent de leur superbe et disons-le clairement, ils disparurent dans la nature.

Comme s’en fait l’écho l’article de Sarah Cattan, la Commission a vu défiler une cohorte de témoins sourds et muets, lâches et amnésiques, qui ont multiplié, sous serment, des récits fantaisistes. Le mot « cynisme » vous prend à la gorge.

Quand le doigt montre la lune…

Ce qui est en cause ici, ce ne sont pas les policiers, mais les ordres qui leur ont été donnés par leur hiérarchie. Leur mutisme est, si l’on peut dire, éloquent.

Alors, Secret d’Etat? Affaire d’Etat? Arrivera-t-on à vraiment savoir ce qui s’est passé, ou faudra-t-il attendre 30 ou 50 ans, que le dossier soit déclassé ?

Si Sarah Halimi n’avait pas été juive…

L’analyse des événements nous permet de réduire le monde pour le ramener à des proportions acceptables. Ainsi nous paraîtra insupportable l’embrasement de Notre-Dame, fleuron de Paris disparu, tant que nous ne connaîtrons pas l’enchaînement des faits qui ont entraîné sa destruction.

De même le silence embarrassé des notables craignant d’avoir « aidé » le FN (et nous avec) si celui-ci était présent au second tour des élections de 2017, le caractère antisémite du crime contesté malgré l’évidence, l’inaction de la police…

Pour l’affaire Sarah Halimi, ce fut un enterrement de première classe.

 © Edith Ochs

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Edith-Image-3-ConvertImage-1564326678-200x200-1-1.jpg.

Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) “Les Falasha, la tribu retrouvée” ( Payot, et en Poche) et “Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan” (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.

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2 Comments

  1. C’est une tache indélébile sur la justice et une plaie à vif pour les français de confession juive et pour tout francais en général soucieux de justice tant que l’assassin ne sera pas jugé cela marquera la faillite de nos institutions!

  2. Évidemment dès le début on a mis l’affaire sous le tapis pour élire Macron. La belle affaire. J’ai été scandalisée d’apprendre cet assassinat aussi tardivement et même s’il était fou la loi doit aussi les condamner. Un fou est un homme comme les autres. William Attal fait un travail formidable et sans relâche. Une allée, une rue, c’est bien peu pour que la justice se dédommage..

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