Kamel Daoud. Le suicide (des médias) français

Kamel Daoud écrivain et journaliste algérien d’expression française.

La presse, méprisante et agressive avec Zemmour, a, à l’inverse du candidat, bien mal retenu la leçon Trump.

Même deux semaines après, le moment Zemmour à Villepinte reste fascinant: on y découvre que, si le candidat a bien appris la leçon du trumpisme, en face, les médias traditionnels ainsi que les clercs français restent bien en deçà, figés dans un dédain non négociable, confortablement paralysés par les certitudes des castes.

Listons les arguments bien appris chez Trump par le reconquérant : Zemmour a utilisé, comme attendu, ce fameux « nous » pour évoquer la France qu’il a déjà séduite, mais aussi sa personne devenue archétypale, rime riche d’une cause prétendument commune. Une sorte de « je » hypertrophié, immense, plaidant un temps nouveau mais aussi un messianisme rétroactif, propre aux         populistes depuis toujours. En second, on y retrouve les topiques classiques du trumpisme : le mépris – « S’ils me méprisent, c’est parce qu’ils vous méprisent » – avec son effet d’appel attendu sur les exclus, mais aussi le complot, la haine des médias, le procès du fameux « politiquement correct », alias le poids des castes médiatiques. Du Trump en force, bien ordonné par la passion du dis- cours, intelligemment recyclé. Du bel art, quoi qu’on veuille en penser.

Mais où est donc le problème? Il est dans ce que l’ex-président Nicolas Sarkozy a fini par dénoncer, exaspéré par tant de maladresses contre-productives : « L’agressivité de certains journalistes va finir par rendre Éric Zemmour sympathique.»

Survivant des lynchages et vétéran des fusillades médiatiques à l’aube contre un mur virtuel, il est à même de déchiffrer ce qu’il y a d’idiot, de suicidaire, dans le traitement médiatique du cas Zemmour. Car, au final, vu de loin par l’auteur de cette chronique, il est étonnant de voir comment le zemmourisme a bien appris de Trump et comment les médias français ont si peu retenu de la débâcle des médias américains et de leurs erreurs face à l’ex-grand populiste de la Maison-Blanche. Ils retombent, justement méprisants et peu intelligents, dans les mêmes travers: dédain pour le poids « démographique » réel du populiste juste parce qu’on ne fréquente pas le même monde; peu de vues en coupe verticale sur la réalité du pays et ses électeurs ; mépris (et insultes) pour le « personnage » et, surtout (grande erreur), positionnement en vis-à-vis du candidat, en endossant, par inconscience et vanité, le rôle de l’adversaire, donc du coupable, donc du média du parti pris. Cédant sur la neutralité, on cède en légitimité et donc en honnêteté pour l’électeur anonyme. On devient acteur de la concurrence politique – au lieu d’en être témoin –, et on renfloue, de facto, les rangs de l’adversaire.

Souvenons-nous : on a tellement moqué Trump, sa coupe de cheveux, sa grossièreté de langage, ses méthodes politiques barbares et si peu proches des bonnes manières, on l’a tourné en ridicule, et on a fini par jouer son jeu, malgré soi, par convaincre les plus tièdes quant à la vérité de ses théories du complot des castes. On a fini par le faire élire en confirmant ses hallucinations sur le « mépris », le « nous » qu’il veut commun entre lui et son adorateur, et qui est pourtant inconcevable entre un chômeur de NewHeaven et un milliardaire de New York. C’est aux premiers jours de la victoire du populiste que la presse américaine avait découvert sa bulle, ses erreurs et l’absolu cloisonnement qui l’ont réduite à un punching-ball pour Trump et à une caste qui s’est nourrie trop longtemps aux sondages sédentaires et à l’entre-soi hyperurbain.

Aujourd’hui, chose incroyable, c’est la France médiatique qui rejoue le suicide (des médias) français, là où il fallait écouter, rapporter, ne pas engager un front perdant et illégitime, ni juger ou s’impliquer. Le populiste? L’auteur croit à la sagesse des mythes grecs : face à Antée qui se relevait de chaque mort après que ses adversaires l’avaient jeté à terre (sa mère, Gaïa), il fallait la lumineuse ruse d’Héraclès pour comprendre les erreurs des vaincus : Antée, il fallait le porter sur son dos pour pouvoir le vaincre. Le lecteur excusera le pédantisme de la leçon finale : il est à la mesure de la naïveté et de la suffisance dénoncées.

Dédain pour le poids « démographique » réel du populiste juste parce qu’on ne fréquente pas le même monde.

© Kamel Daoud

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