Israël : les Orientaux, les Ashkénazes, ma mère et moi

Iris Leal avec sa mère, originaire du Maroc Photo courtesy of the Leal family

Une romancière israélienne livre l’histoire de sa mère, juive marocaine qui a émigré en Israël, où elle a épousé un Ashkénaze. Un récit autobiographique, publié dans Ha’Aretz, qui met en avant le clivage tenace entre Juifs orientaux et occidentaux dans ce pays et les injustices subies par les Mizrahim et autres Juifs considérés comme “d’Orient”.

De Téhéran à Casablanca en passant par Mascate, Bagdad, Alger et d’autres villes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, les communautés juives à travers cette partie du monde, berceau historique du judaïsme, ont évolué au gré de l’évolution des relations entre leurs pays et l’État hébreu, des flux migratoires, des mouvements d’indépendance ou encore des conflits internes et des accords de paix. Courrier International revient sur cette histoire mouvementée des “”Juifs d’Orient” dans une série en huit épisodes, voici le premier.

“Certains disent que plus noire est la baie, plus sucré est le jus. Je dis que plus sombre est la chair, plus profondes sont les racines.” – [Le rappeur américain] Tupac Shakur.

Sur un siège de l’hôpital Ichilov de Tel-Aviv, mon regard est attiré par le journal. Je le ramasse et l’ouvre à la page 2. “Regarde”, dis-je à ma mère. Elle plisse les yeux, ne comprenant pas tout de suite. “Ah !” s’écrie-t-elle, étonnée, avant de répéter mon nom avec inquiétude, comme si sa parution dans un journal le lui rendait étranger et qu’elle essayait de ne pas mal le prononcer. Elle a l’air contente, mais cela ne nous rapproche pas davantage. Au contraire. La distance creusée entre nous par une foule de détails biographiques n’en est que plus concrète.

Je la félicite pour ses cheveux qui commencent à repousser. Depuis qu’elle est tombée malade un an auparavant et qu’elle les a perdus, elle s’est mise à porter des bonnets de laine, ressemblant ainsi à son père, lequel ne retirait jamais son chapeau de laine, même lors des fêtes. Peut-être mon grand-père préférait-il ce couvre-chef à la kippa ? Peut-être était-ce une habitude qu’il avait emportée de son village des montagnes de l’Atlas [marocain], et à laquelle il s’était accroché à Hatzor Haglilit, la ville juive de Galilée [fondée en 1953 près de Safed, au nord du lac de Tibériade] où il s’était installé et où il est désormais enterré ?

Fraises à la crème

Ses yeux se tournent vers mon bras qui est presque collé au sien. “Tu es noire, tu vas souvent à la plage ?” Elle ouvre le haut de son chemisier pour me montrer qu’elle aussi prend des couleurs, ajoutant non sans plaisir que nous avons en commun un beau teint. Lorsqu’elle me portait dans son ventre, ma grand-mère Chawa, la belle-mère de mon père ashkénaze, lui donnait de grands bols de fraises à la crème.

Ma mère, une adolescente de 17 ans, mangeait sagement. Chawa était originaire d’Europe et portait des écharpes en fourrure de renard. Sa maison était garnie de miniatures en cristal, ainsi que d’un lustre en cristal poli, ce qui fascinait ma mère.

Quand elle avait fini la préparation sucrée, jusqu’à la dernière goutte, elle courait vomir et quand elle revenait, en larmes et à bout de souffle, ma grand-mère lui tapotait le dos : “Ce n’est pas grave, l’important, c’est que quelque chose soit entré.” Ma mère ne savait pas alors que, dans son dos, ma grand-mère se vantait de noyer ses fraises de crème pour que je ne sorte pas de son ventre aussi noire qu’elle.

“Une immigrante du Maroc”

Ma mère supporte patiemment ma compagnie dans les salles d’attente de l’enfer, s’assied sagement dans le cabinet du médecin et laisse sa fille poser les questions. Jamais ma mère ne pourrait imaginer que, la nuit précédente, sa fille si assurée n’a pas trouvé le sommeil, se tournant et se retournant dans son lit, et que, dans la salle d’attente, ses tripes se tordent d’une terreur qu’elle s’efforce de ne pas trahir. “De quoi as-tu peur ?” lui demandais-je, alors que ses genoux s’agitaient.

Avant notre premier rendez-vous à l’hôpital Ichilov, je lui ai dit que le médecin est éthiopien. Elle a réagi par un “ah” neutre, avant d’ajouter : “Je ne sais pas quoi dire.” Cela veut dire que, jusqu’à ce qu’elle connaisse mon sentiment et, donc, ce qu’on attend d’elle, elle préfère garder le silence. Ce qui est une nette amélioration par rapport à la réaction de ma grand-mère paternelle, lorsque mon père “lui a ramené une immigrante du Maroc“.

Comment résumer l’histoire familiale ? Mon père est né à Krasnobród, une bourgade [majoritairement juive] de la province de Lublin, dans le sud-est de la Pologne actuelle. Lorsque, au début de la Seconde Guerre mondiale, le 23 septembre 1939, la Gestapo a investi la ville, assassiné ses habitants juifs et pillé leurs biens, il est parvenu à fuir vers l’est avec ses parents et sa sœur, jusqu’en Sibérie.

Après trois années d’errance et la mort de sa femme de la fièvre typhoïde, mon grand-père a mis mon père et sa sœur sur un bateau rempli d’autres enfants

© Iris Leal

אמי בצעירותה. התודעה שלה התעצבה מזיכרונות, אך לא פחות מכך משכחהצילום: אלבום משפחתי


איריס לעאל
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31 במרץ 2021


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Iris Leal
Iris Leal est née au kibboutz Ashdot Yaakov, en Israël, en 1959, et a grandi dans la maison ultra-orthodoxe de ses grands-parents. Elle a ensuite vécu au kibboutz Kefar Menachem jusqu’en 1980, date à laquelle elle est partie pour Paris. Leal a ensuite étudié le travail social et le cinéma à Londres, retournant à Tel-Aviv en 1991. Elle enseigne maintenant l’écriture créative à la Camera Obscura School of Art, traduit de la poésie et écrit des critiques littéraires pour les quotidiens nationaux Haaretz et Maariv . Leal a reçu le prix du Premier ministre (1994) et le prix Bernstein de la critique littéraire (1995).
Livres publiés en hébreu:
Le lieu de guérison (romain) , Keter, 1993 [Havat Marpeh]Bonheur accidentel (romain) , Keter, 1999 [Osher Pitomi]La famille (romain), Keter, 2001 [Ha-Mishpacha]Apprivoiser le feu (romain), Zmora-Bitan, 2008 [Esh Ba-Bait]Lost Depts (romain), Keter, 2013 [Chovot Avudim]
Livres en traduction
Le roman de Yaniv Iczkovits « La fille de l’abatteur » a reçu le prix littéraire Wingate 2021, le prix du meilleur livre de la communauté juive britannique.




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