Algérie, ennemie pour la vie ?

Algérie, ennemie pour la vie ?

Par Gilles FALAVIGNA

La Toussaint marque, doit-on le rappeler, l’anniversaire de la guerre d’indépendance du FLN algérien. Les Arabes déploient, le 1er novembre 1954, 70 attentats meurtriers. Ce jour a été choisi par le FLN en raison de sa symbolique chrétienne.

L’Algérie indépendante fait de cette date un jour de fête nationale.

Les premières victimes de la guerre d’Algérie sont Guy Monnerot et son épouse Jeannine. Ils viennent juste de se marier et ces jeunes instituteurs étaient volontaires pour venir enseigner en Algérie. Ils sont abattus au bord de la route.
Guy Monnerot avait 22 ans. Jeannine Monnerot survivra à ses blessures par balles.

Qu’est-ce qui a changé arrivés en 2021 ? L’Algérie connaît des tensions particulières, avec le Maroc pour des questions politiques traditionnelles et identitaires, avec des populations sous déterminant amazigh (*) dans les montagnes de Kabylie, avec le Hirak pour des revendications économiques et sociales, et les islamistes qui reviennent en force comme une hydre.

En parallèle et en conséquence, les relations avec la France ne peuvent que s’aggraver, passant de mauvaises à très mauvaises. Cela est-il passager ou doit-il être interprété comme une inéluctabilité de l’affrontement ?

2022 marquera le soixantième anniversaire des accords d’Evian, de l’Indépendance algérienne et accessoirement sera marquée par l’élection présidentielle française. Mais quel en est le sens de ces tensions particulières avivées par des événements amplifiés?

Depuis la guerre des sables, l’entente n’est jamais revenue entre le Maroc et son voisin du Maghreb. L’origine en est la revendication territoriale, de part et d’autre, depuis l’indépendance.

Un an après celle-ci, en 1963, l’Algérie entre en guerre contre son voisin et frère, le Maroc.

Les deux pays, aujourd’hui se voient en ennemis potentiels. Les frontières sont fermées depuis des années.

L’intégrité du territoire est un des principes fondateurs de l’indépendance algérienne dans son combat anticolonialiste. La présence française, derrière le Maroc lors de ce conflit, maintiendra également durablement l’animosité envers la France plus encore que contre le Maroc.

Trois camionneurs algériens auraient été tués par des frappes marocaines en Mauritanie. La presse algérienne invite à la guerre contre l’entité makhzen, formule très péjorative pour parler d’un frère, et à soutenir les autorités algériennes.

La presse algérienne est particulièrement un relai du pouvoir. L’ensemble des acteurs de la société civile algérienne s’accordent à le dire. La société algérienne apparaît néanmoins divisée. La question des territoires marocains peut-elle être un vecteur d’unité pour des gens qui peinent à se reconnaître par ce problème? Nous pouvons le voir en France. Il n’y a pas de problème intercommunautaire algérien-marocain. C’est donc que l’identité algérienne ne dépend pas de cette terre.

Depuis cet été, les relations diplomatiques entre Algérie et Maroc sont rompues. L’Algérie mettait en cause son voisin marocain pour les incendies qui ont ravagé le pays. La goutte d’huile sur le feu aura été la normalisation des relations marocaines avec Israël. L’état hébreu bénéficie d’un statut d’observateur auprès de l’Union Africaine, et la diplomatie algérienne n’a de cesse de tout faire pour casser ce statut. Pour l’Algérie, c’était un double outrage.

Pourtant, la normalisation des relations entre le Maroc et Israël serait presque du pain béni pour Alger. Samir Benlardi, chef de file du mouvement social contestataire du Hirak, appelle à soutenir le gouvernement algérien pour l’occasion. L’unité nationale s’acquiert à peu de frais grâce à Israël.

La haine d’Israël est profondément ancrée en Algérie. Israël décrit, d’ailleurs, l’Algérie comme le pays le plus dangereux pour ses ressortissants.

Nous en étions à la posture « ni guerre ni paix » entre le Maroc et l’Algérie. La situation peut-elle évoluer ? L’Algérie et le Maroc sont en quasi guerre.

Un des griefs algériens contre le Maroc est également le soutien affiché de Rabat aux Amazighs.

De toute évidence, la question identitaire est fondamentale à la politique algérienne. La puissance coloniale française arrive à point nommé pour rassembler, par un ennemi désigné. Il sera notable que la France se range aux côtés du Maroc, encore une fois. Construire l’identité algérienne sur le dos du Maroc peine à trouver sa substance au sein du peuple algérien. La démarche lui est naturelle avec l’ennemi français.

Cette semaine, le parlement algérien, l’Assemblée Nationale Populaire, organise un avant-projet de loi visant à criminaliser le colonialisme. Un tribunal d’affaires criminelles spéciales devrait être créé pour juger tout individu sans considérer ni la fonction occupée par l’accusé, ni sa nationalité. En ce jour de fête nationale du 1er novembre, c’est légitimer le meurtre de Guy Monnerot et son épouse Jeannine, laissée pour morte au bord de la route, simples instituteurs présents dans une démarche de soutien aux populations. Ainsi, repentance et indemnisation demeurent nécessaires mais s’avèrent insuffisantes.

Le fondement de l’Algérie, territoire inexistant jusqu’à l’arrivée des Français, est sa terre. Le colonialisme lui est indissociable. Parmi les différentes mesures visant à unifier l’Algérie, la criminalisation du colonialisme est une valeur sûre.

Nous noterons que le crime de colonialisme prévu par l’Assemblée Nationale algérienne court à partir de 1830, date de l’intervention française contre Alger, à l’époque territoire ottoman.

Quelles conséquences doit-on attendre si une telle loi voyait le jour ? Sans doute pas grand-chose dans un premier temps. Mais là n’est pas l’objectif visé. Il s’agit plus d’une mesure comme celles que pratiquaient les politiques de la Rome antique, la méthode fabienne. Par lassitude, tout le monde finit par céder à ce qui semble grotesque. Petit à petit, le grotesque devient us et coutume et un ordre des choses dans une société sous abrutissement.

Ne base-t-on pas parfois la légitimité de mesures sur l’argument que certains pays les pratiquent ?

L’Algérie est un pays en souffrance d’identité. L’Algérie en tant que Nation n’a jamais existé avant 1962. Il n’y avait pas de peuple algérien. Avant la période française, les villes étaient occupées par les Ottomans et contrôlées par les Janissaires. Les Amazighs occupent les montagnes depuis toujours et les Arabes vivaient dans les campagnes jusqu’à la réforme urbaine et de remembrement de la IVe République qui envoya les Arabes dans les villes pour les assimiler à la société française. Le discours anticolonialiste et son corollaire moral doit servir de ciment à la création d’une identité algérienne. Pour mémoire, Ben Bella, lors de la conférence de Tripoli l’avait énoncé : « Qui sommes-nous ? Nous sommes Arabes, nous sommes Arabes, nous sommes Arabes ! » Il ajouta : «  c’est l’Islam qui se débarrassera du colonialisme ». Soixante-dix ans plus tard, l’identité algérienne n’a pas atteint l’âge adulte. Elle reste à construire en engeance de ses deux parents, l’arabité et l’Islam.

L’islamologue algérien Saïd Djabelkhir a été condamné à 3 ans de prison pour avoir expliqué que le rituel du sacrifice du mouton et celui du pèlerinage existaient avant l’Islam.

Porter un regard négatif sur le cadre juridique en Islam, qui l’emporterait sur les droits de l’homme, détournerait le problème. Celui-ci est fondamentalement que les postulats empêchent toute confrontation d’idée. Le problème n’est pas tant celui de la dictature que celui de l’abrutissement auquel elle soumet les individus. Le parallèle avec les mouvements « cancel culture » et « woke » est flagrant. L’autre n’est accepté que s’il se tait en soumission à la doxa. Ainsi, le Gauchisme et l’Islamisme peuvent former l’islamo-gauchisme.

La construction de cette identité algérienne est le résultat d’un discours idéologique, un peu à la manière d’un apprenti-sorcier. Le diagnostic se pose au constat de symptômes en itération à un modèle. L’équivalence avec la cause palestinienne justifie pleinement la pleine adhésion de l’Algérie à celle-ci.

La radicalisation des relations avec la France est une arme à double tranchant comme l’est toute utilisation de l’Islam. La France n’est pas vraiment désengagée de la bande sahélo-saharienne. Non seulement l’Algérie vient d’interdire le survol de son territoire aux avions de l’armée française, mais fournissant, en grande partie, les besoins en carburant de l’armée française au Mali, elle créée la dépendance et fait perdre le pouvoir décisionnel français.

Là encore, l’Algérie alimente l’appétit islamiste. Là encore, lui donner ne fait que lui faire réclamer plus encore.

Autre satisfecit musulman, l’arabisation de la société algérienne s’opère par la langue. Celle-ci sous-entend l’abandon de la langue française et son interdiction.

Si la formation professionnelle et le sport doivent à compter du 1er novembre 2021 n’utiliser que l’arabe, pour cette question rien de vraiment nouveau depuis 1962. Cela flatte toujours la fierté des populations jeunes portées par un puissant sentiment anti-français.

Il y a quelques années, l’enseignement supérieur algérien avait choisit de remplacer la langue française par la langue anglaise. Cela n’avait pas été un franc succès, même si les jeunes Algériens associent one two three avec viva l’Algérie, leur maîtrise de la langue de Shakespeare peine à aller au-delà.

Le sentiment universitaire venait renforcer la difficulté de remplacement du français par l’anglais : la langue française peut y être considérée comme un butin de guerre, au risque de jouer le cheval de Troie, avance un article de Slate, signé Mussa Acher.

Pour des raisons opposées, les universitaires algériens n’ont pas accompagné cette réforme structurelle profonde.

L’arabisation de l’enseignement avait dès le début, sous Ben Bella, été un échec, les capitales arabes n’envoyant pas d’enseignants en Algérie. La coopération française fut un choix par défaut mais un choix nécessaire.

Puis Boumédiène tenta une coopération avec les Etats d’Europe soviétique et la langue fut une barrière majeure à la propagation socialiste.

A partir de 1974, le Président mit en place un programme fort d’arabisation. Mais les besoins de progrès dans tous les domaines exigeaient de pouvoir communiquer avec l’étranger.

L’arabisation générale aurait de plus, à l’époque, favorisé les islamistes du FIS.

Le contexte est aujourd’hui différent et on peut croire que le mouvement aille à son terme.

De plus si les idéologies se perdent en démesures, les fuites en avant ne font que les renforcer.

Ce matin, un ressortissant algérien attaquait au couteau un équipage de police à Cannes. N’y a-t-il vraiment aucun rapport entre les attaques terroristes et un discours haineux contre la France et les Français, les présentant coupables des malheurs algériens ?

De la même manière, en France, les discours idéologiques de repentance inciteront irrémédiablement les apprentis intellectuels en mal de réussite à se convertir au terrorisme.

La question identitaire dans l’élection française de 2022 sera forte sous couvert de sécurité et d’immigration, même si elle n’est pas posée avec ce mot tabou. Il est trop tentant pour l’Algérie d’utiliser le vecteur français pour assurer le minimum de cohésion de son peuple, pour s’en dispenser. La posture ne coûtera pas cher.

A l’inverse, la posture défensive de la France de Macron, de Le Pen, de Zemmour ou de tout autre sera également un justificatif de politique intérieure à moindre frais.

Tout cela pourrait ressembler à une théâtralisation des relations. Mais la vie est un roman et le personnage joué peut prendre la place de la vraie vie quand on joue à exister.

*Le nom traditionnel d’amazigh, langue d’origine phénicienne, est traduit par « berbère » qui signifie barbare à l’époque latine de la conquête romaine. Le nom kabyle prend le sens de « tribu » en arabe lors de la conquête arabo-musulmane.

Les colonisations se suivent et se ressemblent.

Par Gilles FALAVIGNA

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1 Comment

  1. La problématique algérienne et ses causes remonte à la surface par la simple comparaison entre l’Algérie et, disons par exemple, la Corée du Sud.

    Cette dernière est sortie, au milieu des années 1950, d’une guerre fratricide et destructrice, sans ressources naturelle sauf l’énergie et le travail de sa population.

    Elle est actuellement un pays riche, une puissance industrielle et technologique à l’échelle planétaire ET indubitablement une démocratie.

    L’Algérie, en revanche, ayant obtenu l’indépendance en 1962, disposant d’une infrastructure d’origine française et de ressources pétrolières et gazières considérables.
    Est actuellement un pays en ruine, systématiquement secoué par des contestations populaires, délaissé par sa jeunesse, miné par une corruption systémique et gouverné par une kleptocrate militaro-pétrolière qui se réfugie dans le ressentiment à l’égard d’autrui, la France en particulier.

    Cherchez les différences culturelles entre l’Algérie et la Corée du Sud et vous saurez pourquoi.

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