Charles Baccouche. La Tsedaka. La Porte du Ciel

La Tsédaka est pratiquée dans le monde juif avec plus ou moins de bonheur, mais elle est, que l’on s’en éloigne ou qu’on l’exerce assidument, connue de tous et personne ne peut sérieusement prétendre qu’il n’en a pas entendu parler.

Il pourrait sembler à des esprits simples ou simplement imprégnés de philosophie

christiano-latine qu’il s’agit de charité, souvent associée d’ailleurs à la notion de charité chrétienne : on sait que les religions du Christ se fondent sur la bonté et l’amour.

Que l’Histoire n’en ait pas retenu grand-chose est une autre … histoire

Cependant, dans le judaïsme, il y a aussi de cela mais pas que cela:

On sait que nous ne devons pas laisser les pauvres, la veuve et l’orphelin dans le dénuement, qu’il est indigne de les abandonner à leur noire misère alors que nous nous gavons sans vergogne dans nos bonheurs matériels, cherchant sans fin à les accroitre, même aux dépens d’autrui.

Il suffirait d’accorder aux miséreux quelque obole de temps à autre pour assurer le salut de nos âmes si précieuses. Mais au fait, en quoi consiste le salut de l’âme ? Bien malin qui peut aborder cette question s’en s’embourber dans des explications oiseuses.

Mais revenons au sujet principal: Il serait trop facile de se satisfaire du don aléatoire de quelques pièces lâchées à quelques gueux et ribaudes pour épuiser le sens et la portée de la Tsédaka.

Les Juifs puisent le secret de survie dans ce Livre discuté et disputé à Israël par les Nations soucieuses de s’accaparer son identité.

Pourtant les vicissitudes de l’histoire sanglante des hommes n’ont pas réussi l’outrage suprême qui visait à séparer Jacob de son héritage.

Le plus grand des prophètes enseigna les pages écrites là-haut à ce peuple qui campe seul, ce peuple « segoula », (ainsi chacun pourra traduire selon sa sensibilité), la Thora, mal traduite par Loi. On s’attendrait à ce que la Tsédaka dût surgir au cœur du Livre sans égal.

Eh bien non : pas une seule fois ce mot n’apparait au fil des versets de la Thora.

Nous voilà encore dans l’écheveau inextricable de la pensée juive. Certes, on trouve des expressions censées décrire cette vocation : « Ouvre, ta main » (Deutéronome 15,11), mais de Tsédaka, point, pourtant elle est sœur du Tsedek.

Nous allons trop vite, revenons à l’essentiel : La Justice est l’étoile lointaine qui est la vocation juive :  «צדק צדק תירדף Tsedek tsedek tirdof » enseigne la bible.

Le Monde, en effet, disent nos anciens, n’aurait pas pu émerger, ni l’homme naître au sixième jour si la Justice seule s’était penchée sur leurs naissance.

La Justice c’est Isaac (Gvoura) le patriarche de la Rigueur, de la Puissance, de la fermeture, de la Justice.

La générosité c’est Abraham (Hessed), le patriarche de la bienveillance, de l’ouverture, de la bonté.

Pour que le monde tienne, il fallait que la Gvoura, la pure Justice, soit « ligotée » pour permettre au Hessed de s’insérer dans le processus de la Création. Isaac a été ligoté par son père et ne fut pas sacrifié car le monde a besoin de Justice pour croître, comme le champ a besoin d’eau pour fleurir.

Voici une lecture midrashique de la « Aquedat Isaac » עקדת יצחק :

Un monde fondé sur la générosité absolue se détruirait par trop de licence,

Un Monde fondé sur la Justice absolue ne subsisterait pas un seul instant.

Le cas de Job est éclairant. Il réclame Justice, mais que réclame-t-il au juste ? La fin des maux qui l’accablent, certainement, mais on comprend aussi qu’il va au-delà de cette demande.

Il ne renie pas Dieu, et alors qu’on lui annonce sa ruine, Job reste intègre. « En tout cela, Job ne pécha point et n’attribua rien d’injuste à Dieu » 

Job a été entendu, enfin, il sait qu’il a un Partenaire et que « son œil l’a vu ». Qu’a-t-il vu ?

Il a vu la voix comme les hébreux au mont Sinaï ont « vu les voix ».

Job a vu la parole déferlante de l’invisible présence se précipiter vers lui : Il en a été consolé.

Il convient de lire entre les lignes que Job sait que derrière la rigueur de la Justice se profile la bonté divine, et la Tsédaka est son ombre portée.

Il faut une Justice imprégnée de sympathie pour l’Homme si grand et si petit à la fois, pour que «peut-être », dit André Neher, ce monde tienne.

Voyons de plus près : Le Tsedek צדק plus un s’écrit צדקה Tsédaka. Le Hé ajouté en fin de mot est une lettre légère, aérienne, qui introduit dans la mâle rudesse des choses une note féminine,  tout comme le Ish viril et impétueux trouva une compagne adoucissant sa force brute dans Isha, la femme, la compagne.

Ensemble, ils inaugurent le couple, fondateur de la Cité humaine (Voir les travaux d’Eliane Amado Levy Valensi sur la nécessité du couple du dialogue entre les contraires).

On comprend dès lors que la Tsédaka est la Justice à hauteur d’homme qui, en la pratiquant, devient sur la Terre le partenaire justifié du Maître du Monde.

La Bible regorge de Citations telles : “Soutiens-le, fût-il étranger et nouveau venu, et qu’il vive avec toi” “Que ton frère vive avec toi” (Lévitique 25,35 – 25,36)

La Tsédaka est une obligation, pas une faveur, pas un gage du salut, ou une promesse d’éternité. Elle s’impose à tout Juif moyen, chacun de nous doit donner sans condition de retour une part de ses revenus aux miséreux, aux abandonnés au bord du chemin, à la veuve, à l’orphelin, en un mot à Israël adalimLe pauvre denotre peuple ne doit pas rester dans le dénuement et doit pouvoir se couvrir pour ne pas être nu et proie des intempéries, il recevra sa part de pain pour nourrir son corps et réchauffer son âme.

Dans la parasha Vayétsé (Berechit), Jacob le patriarche de la Vérité, sur le chemin de l’Exil vers Laban, s’exclame. « Si Hachem me donne de quoi me couvrir, du pain de quoi me nourrir, et qu’il me ramène au pays de mes pères, alors il sera mon Dieu ».

Il faut lire avec Rashi, le commentateur idéal, que Dieu lui a fait ces trois promesses et que Jacob, avec une foi parfaite, comprend qu’on ne peut honorer l’Eternel lorsque l’on a faim et que l’on a froid. 

Admettre la pauvreté dans la Cité juive est une injure faite à la face de du créateur. Il sera ramené alors au pays de ses pères sain et sauf, c’est-à-dire sans avoir été atteint par l’idolâtrie des peuples étrangers, parce que l’on ne rentre pas d’idoles en Israël.

Notre rejet de l’idolâtrie et nos Téchouva, notre prétention à faire le Bien par la Tsédaka ne nous épargnent pas de retomber dans les pièges tendus par la banalité des jours et des épreuves qui nous assaillent, nous récusons en silence nos meilleures intentions.

Cependant, les proverbes nous rappellent que celui qui donne doit oublier et celui qui reçoit doit se souvenir, pour qu’à son tour, il soutienne plus pauvre que lui.

Le Lévitique édicte que le créancier ne doit pas traiter son débiteur avec dureté, il lui laissera des délais. Le gage pris par le créancier devra être restitué au débiteur avant la tombée du jour car  «  Il ne pourrait plus se couvrir la nuit » 

La Tsédaka rejoint la juste justice

Le Miché Torah de Maïmonide donne une grande place à la Tsédaka. Il établit une hiérarchie dans ses modes d’exécution et demande, au degré le plus élevé, de donner sans conditions.

Qui fait un don doit rester dans l’anonymat, sinon son geste n’aurait pas de valeur.

Heureux celui qui se livre à la Tsédaka car il est dit que c’est comme s’il avait accompli toutes les mitzvot et qu’il est parvenu au niveau de Moshé Rabbinou lui-même.

Nos sages excipent de l’enseignement de la Thora des principes qui engagent l’Homme sur des voies singulières mais qui le mènent vers des énergies insoupçonnées et au-delà des cieux incandescents.

Trois mitzvot déterminent ce chemin escarpé mais accessible.

La Téchouva, La Tsédaka, la Téfila sont en affinité avec trois comportements de l’Homme nécessaires à son perfectionnement moral :

-La Téchouva correspond au comportement de l’Homme avec lui-même : Adam lé Atsmo.

-La Tsédaka correspond au comportement de l’Homme avec autrui : Adam lé Havéro.

-La Téfila correspond au comportement de l’Homme avec son Dieu : Adam La Maqom.

Par ce geste gratuit et anonyme, il assume la double mission de propager le bien de sa collectivité et de promouvoir son élévation vers la Hassidout, le troisième niveau de sainteté, car tel est le Hassid : il répand le Hessed, soit la générosité et la bonté, au sein de ses frères et par son expansion, en fait bénéficier l’Humanité toute entière.

Le Juif soutenant et aidant son prochain, rappelle que l’âme qui nous habite est un don gracieux du Créateur du Ciel et de la Terre et que par la Tsédaka, le Juif fait connaître au Monde le Nom du Saint qui siège dans les Hauteurs et qui protège son peuple.

Voyez comme est grande la Tsédaka qui rapproche le Tout Puissant de son peuple et qui dévoile aux Nations les lumières éternelles dont jouissent les saints, qui éclairent les poètes, qui inspirent les prophètes et qui sanctifient les Simples (Tamim).

© Charles Baccouche

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