Le pont ouzbek de la Soie, ou l’art de l’équilibre subtil entre Israël, Iran et Talibans

Les Juifs vivent dans ce pays d’Asie Centrale depuis l’époque de la Bible, le Prophète Daniel y est probablement enterré et les diplomates ouzbeks s’entretiennent autant avec l’Iran, les talibans qu’Israël.

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Tachkent en appelle aux entreprises juives et israéliennes pour irriguer ses zones désertiques (le Kyzyl-Kum s’étend sur 80% du territoire)…

 On en sait plus grâce aux comptes-rendus de journalistes de la presse israélienne invitée la semaine dernière sur ces terres mal connues comme un îlot de coexistence pacifiée dans ce monde de brutes radicales.

Le complexe de la mosquée-cathédrale Khazrati Imam à Tachkent, dans le complexe où se trouve l’une des plus anciennes copies du Coran. (Crédit photo : TOVAH LAZAROFF-Jerusalem Post)

Des Hébreux présents depuis les temps prophétiques et l’ère du Roi David

TACHKENT – Dans la capitale de l’Ouzbékistan, Tachkent, avec ses larges boulevards, ses mosquées et ses cafés modernes, la géopolitique classique est totalement sens dessus-dessous, lorsqu’il s’agit d’Israël.

Voici un pays, lié à l’Iran, qui négocie avec les Talibans de l’Afghanistan voisin. Pays musulman en grande partie laïc, il a reconnu la Palestine comme un État depuis 1994 (au moment des Accords d’Oslo), mais le sujet du boycott, du désinvestissement et des sanctions est absent de la conversation.

Cette nation d’Asie centrale de 35 millions d’habitants doit célébrer son 30e anniversaire de relations diplomatiques officielles avec Israël l’année prochaine, et possède une communauté juive qui, selon certains, existe depuis l’époque du roi David.

Dans le cadre de l’élan gouvernemental vers une démocratie à l’occidentale et dans le cadre de ses luttes contre la pénurie d’eau, l’Ouzbékistan souhaite renforcer ses liens avec l’État juif.

C’est une initiative que le président Shavkat Mirziyoyev a promue, alors qu’il vient d’obtenir cette semaine un second mandat.

Le président ouzbek Shavkat Mirziyoyev (réélu) vote dans un bureau de vote lors de l’élection présidentielle à Tachkent, en Ouzbékistan, le 24 octobre 2021. (Crédit : Uzbek Presidential Press Service/Handout via REUTERS)

S’agissant d’Israël, il existe une diplomatie “à cœur ouvert”, explique l’ancien ministre ouzbek des Affaires étrangères Sodiq Safoyev, qui est désormais le premier vice-président du Sénat.

De l’exil de Babylone jusqu’à la renaissance d’Israël

Il exprime ressentir un lien personnel et diplomatique fort avec Israël, un pays qu’il admire mais qu’il n’a jamais visité.

“Nous avons l’une des plus anciennes communautés juives qui remonte à plus de 2 000 ans”, et qui a apporté une contribution significative “au développement de cette région“, a déclaré Safoyev.

« Je ne peux pas imaginer la culture ouzbèke sans la contribution de la communauté juive d’Ouzbékistan », a-t-il expliqué.

On pense que la communauté juive d’Ouzbékistan remonte au moins à l’époque de l‘exil babylonien, sinon avant.

Historiquement, les Juifs étaient concentrés à Boukhara et à Samarkand, considérés comme l’un des lieux de sépulture des ossements du prophète biblique Daniel.

Un refuge pour certains Juifs de Pologne (39-45)

Ancien pays du bloc soviétique, l’Ouzbékistan des temps modernes a également accueilli des Juifs ashkénazes d’Europe de l’Est qui ont fui les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Juste retour sur les traces d’un passé enfoui, si l’on pense que les Ashkénazes proviendraient des confins de la Turquie et de l’Iran, à l’époque des premières routes commerciales?

Avant la chute de l’Union soviétique, la communauté juive était estimée à 250 000 âmes, mais la plupart de ses membres ont depuis immigré en Israël ou aux États-Unis, ne laissant que 10 000 Juifs dans le pays, principalement à Tachkent.

Pour Safoyev, ces Juifs ont joué un rôle important en aidant à cimenter les liens entre l’Ouzbékistan et Israël.

Tachkent, centre mondial et antidote à l’Islamisme

Son ouverture à l’État juif s’inscrit dans l’image de marque (si ce n’est l’ADN) du pays en tant que centre mondial de l’islam éclairé et libéral, à un moment où l’intégrisme islamique est en hausse ailleurs.

« L’Ouzbékistan est le centre de la civilisation islamique. Toutes les principales réalisations de la pensée islamique se sont créées ici », déclare fièrement Safoyev.

Pour cimenter la place historique du pays dans l’histoire musulmane, le gouvernement est en train de construire ce qui sera le plus grand centre de recherche islamique.

Ce nouveau Centre pour la civilisation islamique une fois achevé, englobera le complexe historique Hast-Imam qui comprend un musée abritant l’une des plus anciennes copies du Coran, écrite sur de la peau de daim et remontant peut-être au 7ème siècle.

President Rivlin receiving the diplomatic credentials of Ambassador Feruza Makmudova of Uzbekistan

President Rivlin receiving the diplomatic credentials of Ambassador Feruza Makmudova of Uzbekistan

Copyright: GPO/Amos Ben Gershom

Reuven Rivlin, alors président d’Israël, a envoyé une traduction hébraïque du Coran écrite par son père en Ouzbékistan, qui est exposée dans ce musée à seulement une pièce de distance de l’ancien Coran.

Pour Safoyev, la coexistence entre juifs et musulmans est primordiale pour l’Ouzbékistan.

« L’islam (d’Asie centrale) est enclin à la paix, à la coexistence et au respect des autres religions », a-t-il déclaré.

En Ouzbékistan, pays enclavé où équilibrer des intérêts géopolitiques rivaux est une nécessité diplomatique, la capacité de ses diplomates à maintenir des liens avec un large éventail de pays fait partie de sa philosophie nationale.

Bien avant que les accords d’Abraham de l’année dernière ne permettent la normalisation des relations entre Israël et ses voisins arabes, un certain nombre de pays musulmans, comme l’Ouzbékistan, avaient déjà une histoire de relations diplomatiques formelles avec Israël.

Un besoin d’expertise des entreprises juives et israéliennes

Dans le cadre de son engagement envers l’État juif, le gouvernement a amené un groupe de journalistes israéliens en Ouzbékistan le week-end dernier à ses propres frais afin qu’ils puissent en apprendre davantage sur le pays.

L’HISTOIRE N’EST pas le seul noyau fondamental de la cohabitation. L’économie joue également un rôle important dans l’intérêt de l’Ouzbékistan envers Israël.

“Nous voulons amener plus d’entreprises juives et israéliennes en Ouzbékistan, pour élargir le nombre d’opportunités d’investissement, en particulier l’irrigation goutte à goutte”, a déclaré Safoyev.

L’ambassadrice en Ouzbékistan Zehavit Ben Hillel a déclaré que “l’Ouzbékistan est un pays leader en Asie centrale, il est donc important de poursuivre les bonnes relations avec ce pays”.

Une même soif de faire fleurir le désert

La technologie a été un outil déterminant dans cette entreprise, a-t-elle déclaré.

La principale culture de l’Ouzbékistan était le coton, et il y avait un intérêt à remplacer l’ancienne méthode d’inondation des champs par l’irrigation goutte à goutte, comme celle dans laquelle Israël excelle.

Ikramov Adkham Ilkhamovich, qui préside la Chambre de commerce et d’industrie d’Ouzbékistan, a déclaré que la gestion de l’eau en Israël est l’une des meilleures au monde et que ses technologies d’économie d’eau présentent un grand intérêt pour son pays étant donnée sa lutte contre la sécheresse.

« En 2016, nous en savions peu sur l’irrigation goutte à goutte. Mais en l’espace de cinq ans, nous avons couvert 300 000 hectares avec l’irrigation goutte à goutte », a-t-il déclaré, ajoutant que ce mouvement avait également augmenté la productivité. 

Cela inclut toutes les cultures, a ajouté Ikramov.

De la soie et du cuir contre l’irrigation goutte-à-goutte

L’année prochaine, a-t-il dit, l’Ouzbékistan prévoit de couvrir 1,2 million d’hectares d’irrigation goutte à goutte.

Ikramov a déclaré qu’Israël avait multiplié par huit son rendement agricole grâce à l’irruption du goutte-à-goutte, et que son pays voulait lui emboîter le pas.

« Actuellement, nous en sommes au début de l’apprentissage de l’exportation de fruits frais et secs », et « nous sommes intéressés par l’expérience d’Israël dans ce domaine », a-t-il déclaré.

Israël, a déclaré Ikramov, peut bénéficier de la production de soie, de cuir et de cuivre de son pays. L’Ouzbekistan produit également des plastiques et de l’uranium.

Education, médecine et droit des femmes

Le commerce entre les deux pays s’élève à environ 40 à 45 millions de dollars, mais cela pourrait être considérablement étendu non seulement grâce à l’agriculture de haute technologie, mais aussi grâce au tourisme, à l’éducation et aux initiatives médicales.

« Israël, pour nous, a toujours été un pays très important », a déclaré Dilorom Fayzieva, qui préside la commission des affaires internationales de l‘Assemblée ouzbèke. La Knesset et le parlement cherchent également à améliorer leurs relations, a-t-elle déclaré.

En début d’année, l’ancien président de la Knesset Yariv Levin (Likoud) a tenu la première réunion formelle de quelqu’un au “perchoir” israélien avec la présidente du Sénat d’Ouzbékistan, Tanzila Norbaeva, lorsque les deux se sont exprimés sur Zoom.

 Deputy Prime minister of the Republic of Uzbekistan, Chair of Women’s committee of Uzbekistan Tanzila Norbaeva

Pour mieux comprendre l’équilibre que l’Ouzbékistan maintient dans ses relations étrangères, a déclaré Safoyev, il faut considérer le fait que le pays est enclavé et doit avoir de bonnes relations avec tous ses voisins, en particulier en matière de transport.

“Comme l’a dit Napoléon, ‘Si vous voulez comprendre la politique étrangère d’un pays, vous devriez étudier sa géographie“, a déclaré Safoyev.

Empêcher les tragédies afghanes à répétition

Le corridor afghan et celui qui traverse le Turkménistan et l’Iran lui offrent la meilleure route vers la mer.

L’Ouzbékistan entretient de bonnes relations avec Téhéran, a-t-il déclaré.

« L’Iran est une puissance régionale importante » et à travers sa gestion « il représente nos principales routes commerciales vers l’Europe et le Moyen-Orient », a-t-il ajouté.

De la même manière, a-t-il dit, son pays est en dialogue avec les talibans depuis leur prise de contrôle de l’Afghanistan au cours de l’été, même s’il n’a pas établi de liens formels avec son gouvernement.

Russian and Uzbek soldiers stand in formation while carrying out military exercises, on the ‘Termez’ Uzbek military training ground near Termez, Surkhandarya region, Uzbekistan, 06 August 2021. EPA/STRINGER (MaxPPP TagID: epalivefive678126.jpg) [Photo via MaxPPP]

“Le monde entier surveille de près ce qui se passe en Afghanistan”, a déclaré Safoyev.

Il n’y a pas de plan immédiat pour normaliser les relations, mais un dialogue soutenu est important, a-t-il ajouté.

Eviter de se tromper de cibles en punissant les Afghans

Safoyev a déclaré qu’il pensait que “l’ensemble de la communauté internationale apprécie le fait que l’Ouzbékistan est un canal de dialogue systématique avec les dirigeants actuels de l’Afghanistan”, a-t-il expliqué.

Ce couloir de communication permet à l’Ouzbékistan d’aider à prévenir une crise humanitaire dans ce pays, a déclaré Safoyev, ajoutant qu’il s’opposait aux sanctions contre les talibans qui nuiraient à la population afghane.

« Nous ne devrions pas punir le peuple (pour les errements de ses dirigeants). Ce seraient eux qui souffriraient de tout type de blocus ou de gel des avoirs », a déclaré Safoyev.

C’est une étape importante pour empêcher une vague de réfugiés d’Afghanistan et pour empêcher le pays de devenir un refuge pour les terroristes comme il l’était dans le passé avant l’arrivée des forces américaines dans le pays.

Noyauter la résurgence de l’Etat Islamique?

« Nous ne devons pas répéter les erreurs de l’ex-Union soviétique, qui s’est retirée d’Afghanistan et a oublié ce pays.

“La communauté internationale doit rester engagée dans le pays pour empêcher” qu’il ne devienne des bases d’al-Qaïda et de l’Etat islamique, a-t-il déclaré.

 WOMEN WITH their children try to get inside Hamid Karzai International Airport in Kabul on Monday. (photo credit: REUTERS)

WOMEN WITH their children try to get inside Hamid Karzai International Airport in Kabul.(photo credit: REUTERS)

« Les talibans sont la réalité. C’est un facteur de la vie politique en Afghanistan, et nous devons en tirer parti », a déclaré Safoyev. 

L’objectif devrait être de réformer l’approche des talibans afin qu’ils incluent les minorités et les femmes, a-t-il déclaré, ajoutant qu’on doit également empêcher le développement du terrorisme. 

Il est particulièrement important que les projets d’infrastructure dans ce pays se poursuivent.

Israël en Asie Centrale ou la carotte et le bâton face à l’Iran

Concernant le conflit israélo-palestinien, a déclaré Safoyev, il estime que son pays a un rôle important à jouer dans le maintien du dialogue avec les deux parties.

« Le dialogue vaut toujours mieux que le conflit » et contribue grandement à « remédier » à ce qu’il a appelé le déficit de confiance dans la diplomatie moderne, a déclaré Safoyev, ajoutant que cette idée était au cœur de la diplomatie de son pays.

“Chaque être humain mérite d’avoir une vie paisible, de bénéficier de la prospérité et de vivre ensemble dans ce monde”, a déclaré Safoyev.

Personne ne quitte cette planète pour une autre.

“Tous nos voisins sont des créatures de Dieu, et nous devons les apprécier à leur juste valeur”, a-t-il ajouté.

On l’a constaté récemment, dans les conflits frontaliers et menaces réciproques entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, Israël peut bénéficier d’un terrain d’observation et d’un potentiel “bâton” contre les manigances régionales du Téhéran des Mollahs. Mais, habilement et grâce à des nations pacifiées comme l’Ouzbekistan, Jérusalem a aussi accès à une politique diplomatique plus apaisée, inspirée par la soif de développement (politique dite de la “carotte”). Sur le plan géostratégique, il est important d’être présent et ce à plus d’un titre : pas uniquement à cause du danger iranien immédiat, mais aussi de la grande plaque tournante que constitue cette région, aux confins de ‘ex-empire soviétique, de la Chine et de L’Inde…

Marc Brzustowski (Grâce aux comptes-rendus de la presse israélienne et notamment Tovah Lazaroff du Jerusalem Post)

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