Le Billet d’Elham Buissière. Je dois à certains de ne pas désespérer

Elham Buissière

Autour de Z, sous prétexte de dénoncer sa haine, c’est la haine qui est alimentée. Haine contre haine, bêtise contre bêtise et surtout mal-information.

Je lisais hier un post de François Burgat qui s’assoie pépère sur un post de Bruno Mazure: “Si un Zemmour disait sur les Juifs le centième des abominations qu’il profère sur les musulmans, il passerait sa vie au tribunal”.

Outre le fait qu’un François Burgat n’est pas dans le souci d’un vivre-ensemble, Bruno Mazure fait preuve d’un manque total d’éthique journalistique: Z passe son temps dans les tribunaux et s’il insulte les Mohamed, il insulte également les Samuel avec ses contre-vérités sur le régime de Vichy. Il s’en prend à tout le monde, à lui-même y compris.

Marre de ces luttes vaines et stériles.

Z porte le chapeau du bon coupable, de l’homme-poubelle sur lequel chacun  jette ses tentations de l’extrême droite.
Serge Klarsfeld, dans sa lettre “Les juifs doivent se tenir à l’écart de l’extrême droite »,  à propos de la réhabilitation de Pétain par Zemmour” et de son négationnisme, parle à partir de sa judéité, au nom des Juifs pour les Juifs.

Si j’ai apprécié sa lettre, je regrette ce parti pris. Il a écrit “Zemmour transgresse aussi les valeurs juives selon lesquelles les Juifs doivent se souvenir qu’ils ont été eux-mêmes étrangers en Egypte. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas régler une immigration qui est devenue bien souvent incontrôlée. Mais cela signifie qu’il ne faut pas stigmatiser les étrangers dans leur généralité, comme il le fait trop souvent – ce qui lui a d’ailleurs valu des condamnations.” 

Ces propos peuvent être porte ouverte à des malentendus. Outre le fait qu’il n’associe pas lutte contre l’antisémitisme avec la lutte contre le racisme et celle contre les discriminations, – ce que tout homme du monde aurait fait,- Ne pas stigmatiser les étrangers dans leur généralité laisse penser que nous pourrions les stigmatiser dans le détail.

Du côté des musulmans, le vide est sidéral. Au nom d’un Mohamed blessé, ils ne défendent que le seul monde musulman au nom de la lutte contre le racisme et contre les discriminations. Personne ne s’offusque du négationnisme de Zemmour. Moi je m’en offusque.

Que dire de ces musulmans qui s’engouffrent dans une critique absurde de Zemmour mais oublient qu’ils ont soutenu un Tareq Ramadan lors de ses procès de cul: “On est contre les islamistes mais faut pas toucher au Tareq de la haine lorsqu’il est accusé en France”.

Non, on ne peut pas faire son marché comme on veut dans la lutte contre tout ce qui nie l’existence de l’autre, quel que soit cet autre.

Je me permets de rêver d’un écrit qui ne ferait pas son marché dans les luttes, elles devraient être indissociables, indivisibles comme les droits fondamentaux.

Ce qui passe à la trappe, c’est la formidable mixité de la France. Ce qui passe à la trappe, c’est que dans la réalité nos identités ne sont pas si figées, si construites autour de mythes et ni même  entièrement identifiables.

Alors me semble ironie de lutter contre un préjugé par un autre préjugé, de lutter contre un stéréotype par un autre stéréotype.

Je rêve d’un espace dans lequel Samuel et Fatima pourraient s’aimer ainsi que Sarah et Karim. Ils s’aiment déjà et c’est ce qui affole Zemmour.

Je rêve d’un espace ouvert où au lieu de ces luttes parcellaires, fragmentaires, qui se loupent, se ratent et se manquent, nous aurions le simple respect l’un de l’autre pour seul moteur d’un vivre-ensemble.

Ce n’est pas un rêve. Je rectifie, c’est une vie, c’est ma vie. Ça n’est pas un principe, c’est un fait. Avec les amis de Levant et de Raja Tika, je vis l’écoute, l’attention, le dialogue et les règles de l’hospitalité qui jamais ne font défaut. Nous échangeons autour de la littérature, des arts, du cinéma, de la musique.

Je suis tout autant ébranlée par la poésie d’un Yehuda Amichaï que d’un Adonis. Ici même, à partir de mes publications, la poésie de Yehuda Amichaï est traduite en arabe. Je n’oublie pas un moment majeur, un musulman qui découvrait un poème d’Adonis à partir d’une traduction en hébreu.

Marre de trouver ici des hommes si seuls ou qui s’imaginent seuls. Marre de l’absence de respect.

Je commence une série de publications par des textes écrits par des hommes et des femmes que j’admire. J’allais ajouter profondément. L’admiration n’est jamais de surface, de pire ou pure forme, sinon ce serait de la posture et de l’imposture.

Des textes d’hommes et de femmes que je côtoie, que j’ai rencontrés, que je respire. Ils sont là près de moi et je leur dois de ne pas désespérer.

Je commence par un texte de mon ami Michel Elial Eckhard, et demain , je continuerai avec un texte de mon ami Chérif Ferjani. L’un des Directeur des fameux Cahiers de l’Espace méditerranéens, Amis de Levant, poète et traducteur. L’autre, islamologue dans une perspective a-religieuse et père formidable de l’association Raja Tikva auprès de laquelle j’ai tant appris.
Avec eux, la poésie et la pensée ouverte force l’histoire.
Sans leur autorisation.



« Même si elle ne permet pas une transformation effective de l’Histoire, la poésie est une victoire sur l’absence et l’exil du sens. En face des logiques et des crises d’un langage conçu comme marchandise et spectacle, elle érige la fulgurance et la nécessité de l’utopie, où le langage, attendu et attentif, signe la liberté et le désir d’un monde à venir et à habiter. Nous tenons que notre Méditerranée porte, dans son devenir humain et poétique, cette « politique des poètes » (1).
Poétique et politique participent à la même exigence de donner un espace réel  et habitable à la parole et à la vie. La méditerranée, pour peu qu’elle se dégage des mythologies et assume le dialogue de ses différences, a un avenir exemplaire. Il ne s’agit pas aujourd’hui de rêver sur un vague sentiment d’identité bien réel mais tellement contradictoire au vu des conflits et des préjugés, encore moins de fantasmer sur un modèle de dialogue caduc, mais de rendre « cette demande de Méditerranée » opératoire. À condition de repenser la notion même de dialogue. Or notre histoire privilégie peut-être l’urgence de cette réflexion : tout indique, ici même à l’origine de son avènement, que le riche et lourd héritage de l’humanisme européen a vécu et que sur le terrain désormais vacant campent d’humaines barbaries. Aussi importe-t-il de s’imposer l’initiative de la démarche critique et peut-être aussi le pari de l’affrontement. Ce débat n’est plus relégable à de familières périphéries de la pensée et de la géopolitique ; il est entre nos murs et engage une responsabilité immédiate et planétaire. À cet égard aussi, et c’est aujourd’hui le moins négligeable, la Méditerranée qui a toujours su regarder l’inhumanité en face et transformer les conflits pourrait bien, par un juste retour des choses, faire surgir une nouvelle définition du dialogue et du courage intellectuel. (2)
Michel Eckhard Elial, directeur de la publication, traducteur et poète.

(1) : Quatrième de couverture du numéro 10 de la revue LEVANT (2008)

(2) : D’une poétique de l’espace à une politique du dialogue, Pour Tahar Djaout (1954-1993), page 9 de la revue LEVANT numéro 6 (1993)

© Elham Buissière

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