Marceline Loridan-Ivens. La permanence du camp en nous

J’ai quatre vingt six ans et le double de ton âge quand tu es mort. Je suis une vieille dame aujourd’hui. Je n’ai pas peur de mourir, je ne panique pas. Je ne crois pas en Dieu, ni à quoi que ce soit après la mort. Je suis l’une des 160 qui vivent encore sur les 2500 qui sont revenus. Nous étions 76500 juifs de France partis pour Auschwitz-Birkenau. Six millions et demi sont morts dans les camps. Je dîne une fois par mois avec des amis survivants, nous savons rire ensemble et même du camp à notre façon. Et je retrouve aussi Simone. Je l’ai vue prendre des petites cuillères dans les cafés et les restaurants, les glisser dans son sac, elle a été ministre, une femme importante en France, une grande figure, mais elle stocke encore les petites cuillères sans valeur pour ne pas avoir à laper la mauvaise soupe de Birkenau. S’ils savaient, tous autant qu’ils sont, la permanence du camp en nous. Nous l’avons tous dans la tête et ce jusqu’à la mort.

[…]

Tu aurais dû revenir. J’ai toujours pensé qu’il eût mieux valu que ce soit toi plutôt que moi…

[…]

Je me sens l’héritière trompée de tes illusions, un prolongement de toi, l’enfant née de ta fuite. Tu révais d’Amérique, eh bien la première fois que je suis allée à New-York, la ville m’aspirait, je ne voulais plus la quitter, et j’ai compris que je poursuivais ton exil …

© Marceline Loridan-Ivens
Et tu n’es pas revenu. Judith Perrignon et Marceline Loridan-Ivens. Grasset. 2015

Via Marc Lanteri-minet

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*