La Chronique de Michèle Chabelski. Décrocher DU téléphone et décrocher LE téléphone…

Bon

 Mardi

   Z’avez 18000€?

         Oui?

     Tant mieux, car c’est la modique somme qu’il vous faudra sortir pour suivre la nouvelle cure de désintoxication 2.0.

    Désintoxication de quoi?

      Bah, des écrans, pardi!

        On soigne les accros, les drogués du portable, les nomophobes( no  mobile phone phobia)… ce sont des gens qui transpirent à grosses gouttes à l’idée d’être sortis de chez eux sans leur portable et qui cherchent de l’oxygène en imaginant qu’ils seraient provisoirement injoignables…

  Vous savez…

    Le mec qui tâte névrotiquement sa poche et la femme qui fourrage nerveusement dans son sac à la recherche de la caresse bienfaisante du plastique sur la paume de la main…

  Merde! Mon téléphone!!

    Et qui avalent les escaliers sans respirer jusqu’à la table ou le lit où git l’objet du désir …

   Et ceux qui dégainent à la moindre question, unis à la vie à la mort avec Google et Safari, qui tapotent leur clavier en apnée pour connaître le nombre de pétales d’une marguerite, la capitale de la Mongolie, ou la raison de la chute d’Ann Boleyn…

  Et ne reprennent leur respiration qu’après avoir triomphalement hurlé la réponse à la question que tout le monde a déjà oubliée…

  Et quand je parle de dégainer, j’exagère bien sûr…

 Car ils ne sortent pas à la hâte leur mobile de leur poche ou de leur sac, puisqu’ils ne l’y ont jamais entré…

  L’appareil reste à portée de vue et de main , telle la terre aux yeux du moussaillon accroché au mât de misaine du bateau en perdition…

  D’ailleurs certains sont accrochés à leur appareil par un lien qui pend autour de leur cou, tel un indissoluble cordon ombilical sécurisant…

  Et puis il y a ceux qui entendent une sonnerie et se jettent sur leur appareil et constatent piteusement que l’appel ne leur était pas destiné…

  Et ceux qui à l’heure de l’apéro entendent leur sonnerie, regardent le nom de l’appelant, déclarent avec bravoure non -ce n’est rien -je ne prends pas, puis se reprennent, l’œil voilé de l’ombre du regret, disent désolé, décrochent finalement , murmurent, chui occupé là, ch’te rappelle… ouf!

Ça soulage…

  Et ceux qui décrochent en braillant avec un grand sourire, mais non Président, vous ne me dérangez jamais et roulent des billes exaspérées à l’entourage en ouvrant une paume impuissante je- ne – peux- pas – faire- autrement, c’est ch…

   Les conversations couvrent l’appel et le fâcheux s’éloigne, déçu…

  Ou les mots meurent sur les lèvres des invités et le rustre aligne des chiffres faramineux qui font bâiller tout le monde…

    Et ceux qui reçoivent un urgent texto d’une maîtresse en nuisette de soie qui s’impatiente et qui tapotent discrètement leur clavier, la main sur le genou de leur épouse bien-aimée…

  Et…

  Et moi qui appelle affolée pour savoir si Victor vient déjeuner seul aujourd’hui vu que la semaine dernière on m’a indûment filé le petit frère par mégarde…

   Petite bavure de la maîtresse…

      Et bien évidemment personne ne répond et si les téléphones sont si chers c’est pour qu’un reste de discernement nous évite de les fracasser sur l’autel de l’exaspération …

    Mais que proposent-ils pour 18 000€?

      Des conférences, des livres et des balades en forêt pour renouer avec la nature, le beau, le vrai…

   Moi je pourrais emmener des junkies au bois de Boulogne pour moitié prix et proposer des livres de Guillaume Musso comme ersatz de dope téléphonique pour enrayer l’angoisse métaphysique des accros du téléphone ou de la tablette…

    Ou monter une assoce et obliger les adhérents à rester en ligne avec ma copine Eusébie dont la rigueur mentale décolore un peu l’intérêt de la conversation…

  Attends

C’était en 2005 je crois…

   Non, Gaétan n’était pas encore né…

    En 2004 , alors…

J’étais enceinte…

    Mais non, qu’est-ce que je raconte…

     C’était bien en 2 005 puisque Clodomir venait d’arriver…

   Mais non, je déraille…

    Ça ne pouvait pas être Clodomir.  C’était… Attends…

   On n’était pas encore à Paris… c’etait ptet en 2004 alors…

   Le malade crie grâce, il est en bonne voie de guérison , le portable lui donne des nausées, c’est presque gagné, Eusébie est une puissante méthadone, même moi je rêve de messages de fumée traversant l’Afrique équatoriale…

   18000 € quand même !

   C’est peut-être 18000$ finalement…

     Attendez…

C’est peut-être pas 18000…

   Attention à ne pas confondre: décrocher DU téléphone et décrocher LE téléphone…

    Que cette avant-veille de Kippour vous soit douce et paisible où bisous et câlins remplacent si délicieusement les portables…

    Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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