Valérie Toranian. Être Juif en France. 24/11/2017

C’est à désespérer: parfois l’on se surprend à relire des billets et autres analyses, brûlants d’actualité au point qu’on les croirait inédits, tout frais publiés. Certes Il y va alors du grand talent des auteurs. Mais encore de la persistance et terrifiante lourdeur de l’éctualité, lorsqu’elle regarde … l’éternel “sujet”: Israël et nous, Juifs d’où que nous fussions. Ici, après Jacques Tarnero, Valérie Toranian, Directrice de La Revue des deux Mondes.

«Le démocrate a fort à faire : il s’occupe du juif quand il en a le loisir ; l’antisémite n’a qu’un seul ennemi, il peut y penser tout le temps ; c’est lui qui donne le ton», écrit Jean-Paul Sartre dans Réflexions sur la question juive en 1946.

Les démocrates avaient fort à faire en ce mois d’avril 2017, tou t occupés par l’élection présidentielle et l’incroyable hold-up du candidat Macronsur la droite et la gauche. Ils n’ont pas réagi au calvaire de Sarah Halimi, 65 ans, tabassée à mort par son voisin Kobili Traoré aux cris d’« Allah Akbar, j’ai tué le sheitan [le diable] », avant d’être défenestrée depuis le troisième étage de son HLM de Belleville à Paris.

« Ces cinq dernières années, les actes antisémites ont représenté, selon le ministère de l’Intérieur, 40 % des actes racistes recensés en France, alors que les juifs comptent moins de 1 % de la population. »

Si les sites communautaires juifs ont aussitôt relayé et dénoncé le crime antisémite, la presse a globalement fait preuve d’un silence religieux. Elle s’en remettait sans doute à la position du parquet de Paris qui, dans un acte de déni troublant, n’a pas reconnu le caractère antisémite du crime et mettait en avant les « bouffées délirantes » de l’assassin.

Il aura fallu attendre début juin et la tribune publiée par 17 intellectuels français, dont Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Jacques Julliard, Élisabeth Badinter et Marcel Gauchet, pour que la France, sa justice et ses médias se réveillent de leur étrange torpeur.

Le 16 juillet, dans son discours d’hommage aux victimes de la rafle du Vél’ d’Hiv, le président de la République, Emmanuel Macron, demandait que « toute la lumière soit faite sur la mort de Sarah Halimi ».

Ces cinq dernières années, les actes antisémites ont représenté, selon le ministère de l’Intérieur, 40 % des actes racistes recensés en France, alors que les juifs comptent moins de 1 % de la population. Et si l’on s’en tient aux violences – hors injures, menaces et graffitis – en 2014, 60 % avaient ciblé des victimes juives.

« Les juifs furent souvent parmi les plus vaillants défenseurs de la patrie et de la République. »

« En 1886, Édouard Drumont dénonçait une “France juive” qui n’existait que dans ses fantasmes », écrit Pierre-André Taguieff, qui ajoute, « la France n’est pas devenue ou redevenue antijuive, mais il y a une France antijuive dans la France contemporaine » : son noyau dur idéologique est un « antisionisme radical […] dont la finalité est de légitimer la destruction d’Israël ». « Une grande partie de la classe intellectuelle, poursuit-il, s’est longtemps refusée à reconnaître que la récente vague antijuive était le produit des interférences de trois types de mobilisation : l’antisionisme radical d’extrême gauche, le propalestinisme mystique et l’islamisme, et que ses principaux acteurs étaient issus d’une immigration de culture musulmane, s’identifiant aux Palestiniens en lutte contre les “sionistes”. »

Les juifs en France ont acquis l’égalité civile et politique de façon symbolique à la Révolution mais il faudra des années pour que cette égalité devienne réelle dans les faits, rappelle l’historienne Béatrice Philippe. Les juifs furent souvent parmi les plus vaillants défenseurs de la patrie et de la République, alors « pourquoi restons-nous dans l’inconscient collectif et même chez les plus fidèles de nos amis des “juifs de France” ? », demande François Heilbronn, vice-président du Mémorial de la Shoah.

« Même s’ils sont, à juste titre, inquiets et vigilants face au nouvel antisémitisme, peu de juifs français considèrent l’alya, le départ pour Israël, comme une véritable alternative. »

« Je suis ce qu’on appelle un “juif assimilé”, écrivait Raymond Aron en 1967. Enfant, j’ai pleuré aux malheurs de la France à Waterloo ou à Sedan, non en écoutant le récit de la destruction du Temple. Aucun autre drapeau que le tricolore, aucun autre hymne que la Marseillaise ne mouillera jamais mes yeux. Hitler […] m’a révélé mon judaïsme. »

Même s’ils sont, à juste titre, inquiets et vigilants face au nouvel antisémitisme, peu de juifs français considèrent l’alya, le départ pour Israël, comme une véritable alternative. Le rabbin Delphine Horvilleur constate une plus forte fréquentation de la synagogue, « un réflexe de solidarité de groupe » : « on se replie sur la zone de confiance ». Mais, ajoute-t-elle, « le rite a une puissance sociologique, il stimule la réflexion ». Delphine Horvilleur déplore le fondamentalisme, « cette tentation idolâtre d’un Dieu hyperprésent » dans un monde rempli « de brisures, de manque et de vide ». « La vraie fidélité à une tradition est bien souvent, comme le disait Jacques Derrida, une infidélité. […] La clé d’une tradition religieuse vivante, c’est que le texte continue de parler. »

Être juif en France, juste après la Shoah, c’était souvent préférer le silence à l’indicible, comme le raconte l’écrivain Marc Weitzmann. « Après la guerre, le Parti communiste s’est auto-institué “parti des fusillés”, donc des martyrs, et cette étiquette a permis à beaucoup de juifs de considérer le communisme comme une sorte de commu- nauté de substitution. Être communiste revenait à mettre en scène une spécificité non dite. Une figure telle que celle de Jean Ferrat par exemple, que mes parents adoraient, est typique de cette évolution. Personne ne parlait de la Shoah, mais tout le monde chantait Nuit et brouillard ».

« Miser sur l’avenir et sur une France républicaine et laïque à la hauteur de ses principes, c’est ce qu’attendent aujourd’hui tous les Français, juifs ou non-juifs. »

Issue d’une famille de la moyenne bourgeoisie originaire de Lorraine puis établie à Nice, Simone Veil  ne fréquentait pas la synagogue : la tradition familiale était laïque et républicaine. Dans les camps elle trouve en la personne de Marceline Loridan-Ivens, adolescente comme elle, une amie chère : « Simone, sa mère, sa sœur, étaient des israélites, symbolisant la France cultivée et intelligente. Moi j’étais une Polack ! Simone, je l’avais remarquée tout de suite parce qu’elle était belle ! », s’amuse Marceline Loridan-Ivens dans un entretien où elle évoque, avec la sociologue Dominique Schnapper, qui siégea avec Simone Veil au Conseil constitutionnel, le judaïsme et le destin de la première présidente du Parlement européen. « Revenir des camps et avoir comme ligne politique la réconciliation avec l’Allemagne est admirable, dit Dominique Schnapper. Elle aurait pu passer toute sa vie dans le souvenir, le malheur, le ressentiment. Elle a voulu au contraire transcender son expérience, pourtant extrême, et miser sur l’avenir. »

Miser sur l’avenir et sur une France républicaine et laïque à la hauteur de ses principes, c’est ce qu’attendent aujourd’hui tous les Français, juifs ou non-juifs.

PS. Arte diffusera en janvier les Quatre sœurs, film documentaire de Claude Lanzmann. Quatre bouleversants portraits de femmes juives face à l’extermination, provenant des témoignages collectés durant le tournage de Shoah. À voir aussi en DVD.

© Valérie Toranian

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*