La Nouvelle de Jean-Claude Lonka 2/7. “L’Arche de Noé et la naissance du chat”

Samedi: Part 2

LE DÉLUGE

            Le tonnerre gronda, le ciel s’obscurcit, les éclairs remplirent l’espace par des zigzags, des feux follets, des arcs électriques et des jets bleutés, le vent en chuintements, sifflement, bruissements, ronflements et grondements assomma les hommes et les animaux et s’engouffra dans tous les creux et aspérités sur le végétal, sur le minéral comme sur l’animal.

En peu de temps les cavités oculaires humaines se laissèrent infiltrés par des rafales d’airs aigues, même les sourds qui n’en demandaient pas tant entendirent la divine colère et soudainement les feuilles s’envolèrent, les arbres s’inclinèrent, les branches tombèrent, le roseau plia, le saule pleura, le pin se résigna et le cèdre céda.

Ceux qui voyaient habituellement les oiseaux accoutumés à voler le bec en avant en signe de beau temps furent surpris de les voir voler à l’envers, retournés le croupion entre les pattes. Les animaux domestiques attachés n’étant pas du voyage, de panique rompirent leurs traits, cassèrent leurs enclos et s’enfuirent.

Les bœufs pourtant habitués à leurs jougs, se révoltèrent, roux, sots compris et beuglèrent tant qu’ils purent, les vaches difficiles à distraire meuglèrent en vain et leur lait tourna en leurs pis en 3,14 centièmes de secondes puis elles ne pensèrent plus et les taureaux puissants devinrent stériles en un instant qu’on aurait pu les prendre par leurs cornes, mais personne n’en n’eut l’occasion. Dans les basses-cours les coqs même montés sur leurs ergots devinrent moins fiers, les poules mouillés ne sentirent aucune différence, les canes, les canards, les oies se dandinèrent sans diner dans divers endroits comme perdus, puis les chiens aboyèrent alors que nulle caravane ne passait, enfin les moutons et les brebis bêlèrent en mêlant leur haleine, les boucs et les chèvres en émissaires de sévices patinèrent sur place chevrotant dans leur bouc alors la peur s’infiltra, s’immisça pour se lover dans les cœurs puis dans les esprits de chaque être vivant, elle commença à saper les artères, les nerfs et enfin les vaisseaux.

La tranquillité fut un mot gommé du langage et les eaux de chaque ru, celles des torrents et des mares se confondirent avec celles des étangs, eux-mêmes fusionnant avec les ondes des lacs et comme un enfant enhardit par ses exploits, les lacs s’amalgamèrent aux grands flots, les rivières envahirent les fleuves en mugissant brusquement dans les mers et les mers se fusionnèrent avec les océans. La terre ne fut plus qu’un aquarium gigantesque.

Pourtant D… ne se réjouit pas ce jour-là

Pourtant D… ne se réjouit pas ce jour-là.

La première semaine à bord de l’Arche s’écoula et l’eau aussi.

……..

Noé dans sa chambre la tête à l’extérieur par un fenestron parla à sa femme Naamah

  • Alors ça fait 7 jours qu’il flotte maintenant et ça n’améliore pas mes rhumatismes, nom de moi, et courir après ces flopés de rongeurs ça me tue (coup de tonnerre).

…….

Sem à Dési (son épouse)

  • Mais chérie n’ai aucune crainte il y a de la nourriture pour tout le monde, l’eau elle tombe sur nous mais au moins voit le bon côté des choses nous ne mourrons pas de soif et on peut se laver tout le temps, ce n’est pas comme dans le désert. Les rongeurs… ? On trouvera une solution, nou ! Si une souris rentre je la chasse.

Sem intérieurement : elle commence à me gonfler (une lame de fond de la hauteur de l’arche vient s’aplatir sur l’un de ses cotés, faisant pencher le bâtiment et des souris sortirent de dessous le lit).

…….

Cham à Barista (son épouse)

  • Désolé chérie mais je ne supporte pas l’inactivité, donner à manger aux bêtes, nettoyer les stalles, les cages et les nids, m’occuper des animaux qui se blessent alors qu’ils n’ont rien d’autre à faire que de patienter comme cette andouille d’éléphante qui a paniqué en apercevant une souris. J’te dis pas, les dorloter, courir après les rongeurs, moi j’ai besoin de compenser par de la gymnastique et de la musculation, comment… ? Non ça ce n’est pas de la gymnastique, je te remercie de me dire d’aller me faire voir par une souris !

Un éclair profita de l’ouverture d’une lucarne pour entrer et carboniser un couple de rat en plein coït.

…….

Japhet à Icha (son épouse)

  • Je m’en doutais, elles n’en font qu’à leur tête et avec autre chose aussi. Les souris pullulent, les rats prolifèrent, les mulots grouillent, les surmulots abondent, les musaraignes foisonnent, les lérots se multiplient, ils sont petits, mais ça fait des dégâts, papa a 600 ans cette semaine et j’ai autre chose à faire que de courir avec lui et mes frères après des rongeurs. Aucun animal n’arrive à les attraper, ils n’ont pas de prédateur et même les serpents, il bouffe un rat et hop, ils roupillent une semaine par animal chopé, que veux-tu que j’y fasse, on jette le plus de rongeurs à la flotte, mais le temps qu’on les attrapes, les femelles ont déjà fait de nouvelles portés, les lapins passent pour des fainéants. Moi je suis crevé. J’en ai ras la kipa de cette flotte et de bouffer des œufs et du poisson tous les jours.

Soudain par un œil-de-bœuf malencontreusement resté ouvert, une rafale de vent s’engouffra violement et apporta avec elle de l’air, de l’eau et un espadon qui de son rostre transperça la gandoura de Japhet qui à ce moment-là levai les bras en l’air et comme un incident n’arrive jamais seul, une deuxième rafale de vent laissa passer de l’air, de l’eau et un requin marteau en tombant sur le parquet écrasa un couple de mulots qui avec culot ne boycottait pas les échanges amoureux et ne pratiquait pas le coïtus interruptus.

Icha

  • Si quelque chose d’autre passe par cette ouverture que tu dois arranger, je hurle…!

Elle hurla.

Pendant ce temps dans les méandres de l’arche, les animaux n’avaient aucun souci à se faire.

Les cases étaient spacieuses, chaudes pour les uns et fraîches pour les autres, aérées, bien entretenues, alimentés en produits propres à chaque espèce, la décoration était sommaire mais adaptée à ses occupants. Les singes avaient des mini arbres pour se balancer et des bananes pour se nourrir, les tapirs et les tamanoirs cohabitaient avec la fourmilière, les paresseux et les koalas s’enivraient d’eucalyptus, les kangourous se rendaient d’un bond chez les opossums qui allaient visiter les kangourous parce que leur case ressemblait à un mouchoir de poche, les wombats et les musaraignes amusaient la galerie dès qu’ils quittaient leur succédané de terrier, les lamas, les vigognes, les alpagas étaient heureux de se repos forcé car leur peau suscitait les convoitises, donc plus besoin de se cacher, ni de cracher, les autruches, les nandous, les émeus, les dodos, les casoars disposaient de trous dans le plancher pour cacher leur trac, les zébus, les yacks, les buffles, les bisons, les aurochs, les taureaux, les vaches, les bœufs, tous les bovins dormaient sur des litières de pailles et ne bousaient plus, les ovins tricotaient de leurs pattes, les girafes et les okapis faisaient bon ménage, les hyènes pouvaient aller dans chaque cale sans trouver de cadavres et les chacals pouvaient aller partout sans s’attirer la haine des autres, le sanglier grognait des lais à sa laie, le porc s’occupait de sa truie et pas d’autrui, les phacochères mangeaient pour pas cher, les pécaris trouvaient tout impec à rire, les babiroussas badinaient et aucun goret ne s’égarait à se la jouer cochon, les éléphants à petites ou grandes oreilles, les pachydermes, les mastodontes et les mammouths semblaient placides mais ils ne trompaient personne, les hippopotames et les rhinocéros avaient fraternisé pour partager le sauna de boue et les fauves avaient pour la circonstance rentrés leurs griffes et les rapaces leurs serres. La ménagerie flottante avait des odeurs de cirque ambulant et les mammifères marins, les tortues, les cétacés, les sauriens, les iguanes, les varans, les dragons qui sont ceux de Komodo, les poissons et les pinnipèdes mais aussi les escargots, tous les céphalopodes et les crustacés s’accrochaient à la coque ou bien ils entouraient le majestueux esquif sans être incommodés tout en restant dans leur élément naturel.

© Jean-Claude Lonka

Jean-Claude Lonka intervient souvent dans Yiddish Pour Tous, Le blog de l’Association des Amis de Yiddish pour Tous.

Jean-Claude Lonka

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