La Chronique de Michèle Chabelski. “Lettre de Château”

Bon

Jeudi

  On envoyait autrefois une lettre de château à l’hôtesse qui vous avait offert l’hospitalité en sa demeure.

  Il s’agissait d’une missive où l’on rendait grâce à l’hospitalité et la générosité de la maîtresse de maison.

 On a remplacé aujourd’hui la lettre par un appel ou un texto.

 Peu importe.

   L’essentiel étant la chaleur qu’on infuse à son texte.

  Moi j’ai envie d’adresser une lettre de château à celle qui a hébergé mon immigré de père arrivé avec un passeport d’apatride et naturalisé quelques années plus tard, fier d’exhiber son passeport français quand il le présentait aux douaniers.

  Merci donc à la France.

   Merci Madame d’avoir accueilli sur vos terres ce rescapé de la Shoah venu embrasser sa sœur déjà installée en France , alors qu’il était en partance pour Israel.

  Cette sœur, Reizel, lui avait conseillé de se refaire une santé ici avant d’appareiller pour le pays du lait et du miel qui allait devoir attendre encore deux ans pour devenir Israel.

 Merci Madame de lui avoir permis de trouver un micro logement rue Petion où il s’installa provisoirement le temps de refermer des plaies qui ne cicatriseraient complètement jamais.

  Merci de lui avoir permis de trouver du travail comme mécanicien dans un atelier où il travaillait jusqu’à la limite de ses forces pour économiser de l’argent pour sa future installation …

 Merci ( ou pas?) de lui avoir dépêché la chatren( marieuse) qui eut rapidement connaissance de l’arrivée d’un homme valide en terre gauloise à une époque où les hommes juifs étaient rares, pour les raisons que vous connaissez, 6 millions d’âmes étant parties en fumée dans les camps nazis.

  Un homme juif, vaillant valide, célibataire, en âge de se marier, la chatren se lécha les babines en anticipant la commission qui ne manquerait pas de choir dans son escarcelle.

Las!

 Le juif vaillant valide agita son index de droite à gauche, non merci, je ne suis qu’en transit pour embrasser mein schwester, et rien ne peut me retenir ici…

 Mais elle a les yeux bleus, elle est française, très menue, elle travaille dur, elle est orpheline de père, et ne rêve que d’une chose: rendre un homme heureux.

  Non merci répéta-t-il placidement.

 La marieuse ne s’avouait pas vaincue et grimpait régulièrement les 4 étages qui la menaient chez Reizel, sa sœur ,où Jacob passait ses soirées en évoquant son avenir sur la terre qui assurerait la survie des juifs …

  Reizel, lassée des visites intempestives de la marieuse qui officiait en atelier pour un salaire de misère et bouclait ses fins de mois grâce aux commissions de son activité parallèle, encouragea Jacob à rendre une visite de courtoisie à la semi orpheline aux yeux bleus, pour museler le verbiage de la chatren qui décrivait avec passion ce chef d’œuvre de la nature qui signait à lui tout seul la main du Très Haut.

La main du Très Haut , Jacob se demandait pourquoi elle s’était faite si discrète à Auschwitz, mais il ne voulait pas froisser sa sœur et il capitula. Accepta un rendez-vous chez la veuve et sa fille célibataire si belle, si travailleuse, si économe, si douce, si…

  Muni de l’adresse il prit le métro, se trompa , eut du mal à expliquer où il voulait aller, il prononçait Vineceness pour Vincennes et le prolo parisien n’était pas toujours très patient…

Bref.

  Il sonne.

   La veuve ouvre, le sourire aux lèvres, la promise fait la gueule, elle ne se lève même pas pour accueillir le prétendant, un Polak qui ne parle pas le français, tout déchiré de l’intérieur, tailleur, pfft, généreux a dit la marieuse, généreux avec quoi, gentil, doux, travailleur,  bof, qui parle parfaitement le russe , leur langue commune, car elle ne parle pas yiddish et il ne saisit pas grand-chose de l’idiome de Voltaire, mais il arrive précédé d’un beau bouquet de fleurs.

Et il a de surcroît claqué une grande partie de son salaire pour s’offrir une belle paire de pompes.

  La mère de la belle, Eva, joue les hôtesses, elle a rempli un compotier de cerises, préparé un lekher encore tiède, fait bouillir de l’eau pour le thé, va , vient, s’agite avec grâce comme si elle était l’enjeu de cette rencontre.

  Sa fille montre son désintérêt total pour cette réunion, elle bouffe les cerises en crachant les noyaux au creux de sa main avant de les déposer au bord de l’assiette comme une rikhtike Française bien éduquée.

Il en est tout retourné.

  Quelles jolies manières!!!

 Elle répond aux questions du bout des lèvres, sous le regard sévère de sa mère qui voit s’envoler ses espoirs de caser sa fille de 26 printemps.

  Le compotier vide, il est cuit.

   Amoureux comme personne et sûr de son pouvoir de persuasion pour

qu’elle l’accompagne en Israel.

  Où elle n’ira jamais bien sûr…

Ça les fera rire avec tendresse pendant leurs 62 années de vie commune.

  Merci Madame la France d’avoir apparié ces deux-là , de leur avoir permis grâce à leurs efforts conjugués et au travail colossal qu’ils abattirent sans compter leur peine d’avoir construit une famille, une lignée, et de m’avoir permis d’enraciner mon amour dans la culture française , son histoire, ses accidents, son glorieux passé, ses ténèbres parfois, sa patine, sa langue, sa cuisine, merci Madame de votre hospitalité …

   Cette lettre de remerciement écrite il y a un an se trouble aujourd’hui d’une buée méphitique, soufflée par le vent mauvais d’une poignée d’antisémites qui traquent le bouc- émissaire…

  Des croix gammées ont souillé une stèle de Simone Veil, sans doute largement responsable de la Covid et de l’obligation de pass sanitaire…

  N’empêche…

    Je n’aimerais pas vivre ailleurs…

       Je vous embrasse

   Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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