Ypsilantis. Mon intérêt pour les choses juives. 2/5

Pierre Lurçat : Vous définiriez-vous comme un ami d’Israël, comme philosémite ou comme un défenseur d’Israël, ou autrement ?

Olivier Ypsilantis : Je n’aime pas l’appellation « philosémite » pour une raison très simple. Aujourd’hui, à l’heure où la langue grecque, latine et les humanités sont de moins en moins enseignées, à l’heure où la culture générale de type classique est de plus en plus négligée, on voit se multiplier les mots à tonalité savante, dans le genre « homophobe », « islamophobe » et j’en passe. Donc, je préfère m’écarter de ces mots à consonance grecque qui traînent dans la bouche d’incultes qui cherchent à se passer un vernis savant avec des mots à caractère « scientifique », des mots dont la puissance de choc leur semble irrésistible.

Me présenter comme un défenseur d’Israël serait prétentieux. Je ne suis pas David Ben Gourion, je ne suis pas Moshé Dayan, je ne suis pas un combattant de la Guerre d’Indépendance ou de la guerre des Six Jours, je n’appartiens pas au Shayeret Matkal ou au Mossad. Pourtant, en 2014, au moment de la guerre à Gaza, je me suis engagé comme volontaire chez Tsahal, dans une immense base du Néguev. J’y ai travaillé durant trois semaines, dans la chaleur et la poussière, un travail très intense qui m’a enivré, je dois le dire. Je ne faisais que de la logistique arrière, j’étais en quelque sorte un homme de ménage, mais je savais que j’étais là où je devais être – et j’étais simplement heureux de porter l’uniforme de Tsahal.

La base où j’ai travaillé est très importante. C’est une base où convergent en cas d’alerte de très nombreux soldats pour s’y équiper avant de partir éventuellement au combat. Nous étions responsables des casques, des paquetages, de l’armement, des trousses de secours, bref de tout ce qui est nécessaire au combat. Tout en travaillant dans ces hangars, nous savions qu’il y avait un fort lien entre les potentiels combattants et nous. Je m’éprouve donc comme un défenseur d’Israël, ce qui est très prétentieux, un tout petit défenseur, au plus bas échelon. Mais dans une échelle, tous les échelons tiennent aux mêmes montants…

L’emblème de Tsahal

J’ai effectué un deuxième séjour chez Tsahal, en Galilée, près de la frontière libanaise, et je compte en faire un troisième, avec ma femme. Le travail y était beaucoup moins rude, soutenu mais moins rude. J’étais affecté à l’entretien de pièces de Merkava II (l’histoire de ce blindé et sa conception sont passionnantes) et à celui de casques de tankistes dans un vaste local technique avec ses compartiments. J’avais mon coin, avec mes brosses, mes pinceaux métalliques, mes tournevis, mes pinces, ma ponceuse-visseuse-perceuse, mon papier de verre, mes pots de peinture, mes pinceaux et je dois en oublier. Une fois encore, j’étais là où je devais être, tout simplement. L’air conditionné n’était pas désagréable et aidait, je dois le dire. Je faisais du petit entretien qui ne demandait aucune compétence technique particulière, rien qu’une certaine minutie. Mais j’ai très vite compris que le travail que j’accomplissais devait être bien fait afin de pouvoir être poursuivi par des personnes plus qualifiées ; je l’ai compris lorsqu’une pièce m’a été renvoyée parce que je n’avais pas fait correctement ce qui m’avait été demandé, par distraction probablement. Une fois encore, j’accomplissais un modeste travail mais qui s’insérait dans une chaîne somme toute assez complexe dans laquelle j’avais ma part.

J’en reviens à votre question. Je refuse le terme philosémite (même si je le suis) pour la raison que je viens de vous exposer. Je préfère ami d’Israël ou défenseur d’Israël, même si ce dernier titre me semble bien lourd à porter. Mais attention ! En tant que non-Juif et issu d’une famille chrétienne, j’apporte une précision. Je tiens à me démarquer d’un certain sionisme chrétien, du christianisme évangélique selon lequel la renaissance de l’État d’Israël (1948) en accord avec les prophéties bibliques prépare le retour de Jésus en Christ de gloire de l’Apocalypse. Je respecte toutes celles et tous ceux qui aident Israël, d’une manière ou d’une autre, je respecte donc le christianisme évangélique, très efficace dans son aide. Mais je ne vais pas en Israël pour préparer Son retour et déjà parce que je me méfie de saint Paul et que je ne parviens pas à établir le lien entre Jésus et le Christ, entre un rabbin juif parmi tant d’autres et le plus imposant des êtres théologiques de l’histoire de l’humanité.

Car je crois au Messie mais dans le sens juif, soit un Messie à venir, pas un Messie qui est venu et qui reviendra, ce qui est une manière de boucher l’histoire humaine. Me comprendra-t-on ? Une fois encore, je respecte infiniment Jésus le Juif, ce que j’en perçois ; mais le Christ, cet être théologique, me pose problème. Tant qu’à faire, je préfère me promener du côté des créatures hybrides de la mythologie grecque. Au moins ne font-elles pas de prosélytisme et elles sont franchement esthétiques et amusantes, avec leur côté BD.

Défenseur d’Israël… Je m’efforce de défendre Israël par l’écrit, avec des articles à caractère polémique dans lesquels je dis ce que je pense des antisémites et des antisionistes, pour ne citer qu’eux ; mais ce sont les articles à caractère historique et culturel qui dominent dans ce que j’écris, sur le présent blog tout au moins. Je me méfie de l’actualité, des actualités. Leur tintamarre occulte. Je préfère prendre appui sur l’histoire et la culture qui dans le cas des Juifs sont des aires immenses. Il y a même eu des Juifs en Chine ; je les évoque sur ce blog. Je ne suis pas coupé des actualités. Je les lis presque quotidiennement dans quatre langues, ce qui est peu ; tant de langues me restent inconnues. Je préfère cependant envisager la profondeur historique, ce que je fais par exemple avec le sionisme, un mot qui suffit à donner de l’urticaire à des citoyens de diverses obédiences. Le problème de l’antisioniste, c’est qu’il n’a le plus souvent aucune connaissance du sionisme, de son histoire dense et complexe. Remarquez, il n’a pas à s’en faire : en tant qu’antisioniste il considère qu’il appartient au camp du Bien – on ne cesse de le conforter dans ce sens. Il peut donc s’épargner la connaissance, ce chemin qui n’en finit pas, splendide, mais où la fatigue et le découragement vous saisissent parfois. Beaucoup préfèrent s’affaler dans leur canapé et avaler ce qui leur est servi, soit la tambouille antisioniste. Je pourrais aller plus loin : il y a quelque chose de scatologique chez les antisémites et les antisionistes. J’y reviendrai mais pas dans le cadre de ces questions.

Etiam si omnes, ego non est un cri de guerre et de ralliement. Je ne vais pas entrer dans l’histoire de cette devise qui est aussi celle de la famille de Clermont-Tonnerre, devise qui a à voir avec saint Pierre au jardin de Gethsémani, devise qui a été reprise par Philipp von Boeselager en signe de résistance au nazisme, une figure que j’ai évoquée sur ce blog. Pour ma part, cette devise signifie mon engagement auprès d’Israël en tant qu’État. Je ne vous cache pas qu’être sioniste n’est pas une sinécure. On est sans cesse sommé de s’expliquer tandis que les antisionistes se prélassent dans leurs canapés, hamacs, chaises-longues et balancelles ; et on ne se fait pas beaucoup de potes. Mais ne pratiquant que très peu le canapé et la chaise-longue, jamais le hamac et la balancelle, et détestant le genre pote, je ne vais pas me plaindre.

D’où me vient cet attachement au judaïsme, au peuple juif et à Israël ? J’ai donné des éléments de réponse mais la question reste. Je fais avec ce mystère qui m’occupe souvent. J’ai pensé consulter un psychanalyste, un psychiatre même, juif ou goy, qu’importe !

J’en reviens à Jésus. Pour David Flusser, spécialiste israélien de l’histoire des origines du christianisme, comme pour Shmuel Safraï, spécialiste de l’histoire du second Temple, Jésus appartenait au monde des rabbins ; il était donc proche des Pharisiens, et les indices à ce sujet ne manquent pas. Je me suis souvent demandé pourquoi l’Église s’est tant acharnée contre ces derniers. Pourquoi ne s’en est-elle pas prise plus durement aux Sadducéens, ces collaborateurs des Romains soucieux de leurs seuls privilèges ? Cet acharnement m’a très vite mis mal à l’aise ; et je n’ai pas tarder à comprendre que ce sont les Pharisiens qui ont porté le judaïsme, que c’est par cette branche que le judaïsme est venu jusqu’à nous et bien vivant. Or, en l’attaquant, l’Église affirmait plus encore sa prétention à être le « Nouvel Israël ». Non, ce n’est pas un hasard si l’Église s’en est prise et s’en prend encore et de diverses manières aux Pharisiens. La dénonciation des Pharisiens figure explicitement dans les textes fondateurs du christianisme. Vatican II a fait ce qu’il a pu, mais on ne peut s’en prendre aux textes fondateurs.

Le mouvement pharisien était une arborescence dans laquelle figurait depuis le Ier siècle av. J.-C. un courant dit hassidique, ancêtre du hassidisme du XVIIIe siècle bien que sensiblement différent. Selon Shmuel Safraï, Jésus aurait été un hassid et à ce sujet son argumentation est captivante. Et si Jésus n’a pas été un hassid, les éléments d’identification ne manquent pas entre les relations que Jésus entretenait avec les Pharisiens et celles que les hassidim entretenaient avec les rabbins. En fait, tout ce que je lis sur Jésus et qui me retient a été écrit par des Juifs, et des Juifs religieux et pratiquants.

Et le christianisme dans toute cette immense affaire ? J’ai souvent le sentiment que le christianisme tel qu’il est venu à nous est du judaïsme « infecté » par le monde grec et romain, ce qui a donné une chose étrange et énorme dans laquelle j’erre, à la fois émerveillé (voir l’immensité de la production artistique activée par les Églises chrétiennes) mais un peu perdu. L’étude du judaïsme m’aide à reprendre mes esprits, je crois pouvoir dire les choses ainsi.

Je vais vous dire quelque chose qui vous paraîtra peut-être étrange – et une fois encore, je respecte a priori toutes les croyances religieuses. J’aimerais que les Chrétiens et les Musulmans (re)deviennent d’authentiques juifs. Bon, ce que je dis n’est pas très trendy, mais le meilleur moyen de survivre aux modes est de ne pas y succomber et de les regarder passer avec amusement ou indifférence.

(à suivre)

© Olivier Ypsilantis

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