Maxime Tandonnet. Réponse à M. Michel Barnier concernant sa proposition de “moratoire” sur l’immigration



Dans une tribune publiée par Le Figaro le 29 juillet 2021, M. Michel Barnier propose aux Français “un moratoire sur l’immigration.” Cette déclaration de l’ancien ministre des Affaires étrangères et commissaire européen, candidat possible à l’élection présidentielle de 2022, est digne du plus grand intérêt.

Elle manifeste une évolution de sa vision de ce sujet, à en juger par des prises de position plus anciennes de sa part : “Nous devons nous préparer à la possibilité d’un afflux plus massif encore   […] La réponse n’est sûrement pas dans la fermeture de nos frontières nationales, dans le recroquevillement ou l’attitude de se barricader, elle est dans davantage d’Europe. ”  (9 octobre 2013).

Elle reflète ainsi une prise de conscience évidente, parmi les hommes politiques de droite, de la sensibilité croissante de l’opinion aux enjeux de la maîtrise de l’immigration. Manifester une position de fermeté sur ce sujet – trop longtemps délaissé au Front (puis Rassemblement) national –, s’impose comme une condition sine qua non à droite de toute ambition élyséenne.

En effet, les statistiques officielles font état d’une nette augmentation des flux vers la France : 277 000 premiers titres de séjour accordés en 2019 et 178 000 demandes d’asile (contre respectivement, 125 000 et 20 000 en 1995). Comment une telle hausse des entrées à des fins d’immigration, dans un pays qui compte 4 à 6 millions de personnes privées d’emploi, 10 millions de pauvres, un déficit public de 9% de PIB, pourrait-elle ne pas aggraver les phénomènes d’exclusion et de tensions identitaires et urbaines qui rongent la société française ? 60% des Français sont de l’avis que l’immigration est trop importante (CEVIPOF, février 2021). Aucun candidat de droite ne peut désormais se permettre d’ignorer ou de sous-estimer ce sujet.

Pour autant les mots ont un sens. Que signifie celui de moratoire ? “Accord sur la suspension d’une activité”, selon le Petit Robert.

M. Michel Barnier suggère ainsi de suspendre ou d’interrompre l’immigration pendant une période de 3 à 5 ans. Un tel discours semble renouer partiellement avec le principe d’immigration zéro – adapté à une période limitée – qui caractérisait le discours le plus courant à droite jusqu’au milieu des années 1980, récupéré ensuite par le front national. Dans son article, l’ancien commissaire européen précise que la formule ne se limite pas à un simple slogan politique, mais à une véritable ambition. D’où une interrogation évidente qui s’impose à l’esprit : un moratoire sur l’immigration – une suspension de ce phénomène – est-il réellement possible ?

De fait, interrompre totalement ou presque l’immigration pendant 3 à 5 ans – c’est-à-dire appliquer un moratoire – semble difficilement envisageable. La France doit-elle, même pendant cette période limitée, être le seul pays de l’OCDE à refuser tout accueil des étudiants étrangers (80 000 en 2019) y compris des étudiants brillants ou motivés ?

Envisage-t-elle de suspendre les mariages mixtes qui représentent, de loin, l’essentiel de l’immigration familiale (50 000/90 000) ? Et comment ?

Peut-elle se passer de toute forme d’immigration de travail, notamment dans le bâtiment, les travaux publics ou l’informatique qui emploient des travailleurs étrangers (30 à 40 000 entrées à ce titre) en l’absence de candidats ou de compétences sur le marché national?

Doit-elle renoncer à sa tradition d’accueil des (authentiques) réfugiés (environ 30 000 reconnus comme tels chaque année) ?

En tout cas, la notion de moratoire sur l’immigration le laisse – faussement – entendre.

Par ailleurs, les contraintes juridiques sont considérables. Le principe du regroupement familial (l’étranger qui fait venir sa famille, soit 25 à 30 000/an) est protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, par le préambule constitutionnel de 1946 et par une directive européenne de 2003. Ces textes interdisent de le suspendre entièrement (même s’ils permettent de le restreindre par voie législative).

Pour contourner cet obstacle, M. Michel Barnier s’engage dans une voie révolutionnaire en proposant l’adoption par référendum d’un “bouclier constitutionnel » garantissant « que les dispositions prises durant ce moratoire ne pourront être écartées par une juridiction française au motif des engagements internationaux de la France […]”.

Or, cette proposition se heurte frontalement à l’un des fondements de l’Union européenne qui est la suprématie du droit européen sur le droit national y compris constitutionnel, forgé par la jurisprudence et confirmé par la déclaration 17 annexée au Traité de Lisbonne : “Les traités et le droit adopté par l’Union […] priment sur le droit des Etats membres”.

Elle rompt de manière radicale avec l’orthodoxie bruxelloise.  M. Barnier est-il, compte tenu de son parcours et de ses engagements pro-européens de toujours, le plus crédible pour la présenter ?

De fait, au prix d’une ferme volonté politique, de la constance dans l’effort et d’une détermination sans faille, le politique peut reprendre le contrôle de l’immigration pour l’adapter aux capacités d’accueil de la France contemporaine : une lutte inflexible, mobilisant tous les moyens nécessaires, y compris militaires, contre les filières esclavagistes qui ensanglantent la Méditerranée, une fermeté inflexible envers l’immigration clandestine en violation du droit international et national, une profonde refonte du droit d’asile et de l’immigration familiale dans le sens d’une maîtrise accrue et une relance de la politique de co-développement qui rattache l’aide au développement à la politique migratoire.

Pour autant, à l’heure où 80% des Français ont perdu toute confiance en la parole politique (CEVIPOF février 2021), les responsables politiques ont tout intérêt à ne pas s’engager sur des promesses irréalistes où des formules transgressives, séductrices mais illusoires à l’image du “moratoire sur l’immigration”.

Gagner les élections est une chose. Exercer le pouvoir dans la dignité et le respect des électeurs en est une autre, à l’expérience beaucoup plus difficile.

© Maxime Tandonnet

Source: Figaro Vox

Haut fonctionnaire français, ancien conseiller à la Présidence de la République sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur, Maxime Tandonnet, contributeur régulier du FigaroVox, a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019).

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2 Comments

  1. Barnier qui arrete l invasion organisée par les financiers de l UE et leurs potes de l OCI ? Autant nommer un pyromane a la tete des pompiers 🧐

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