Charles Rojzman. Antisionisme ou antisémitisme

Comment expliquer la virulence d’un antisionisme radical qui touche à la fois aujourd’hui une partie importante de l’intelligentsia de gauche d’Europe, des Etats-Unis, de l’Amérique latine et l’ensemble du monde arabo-musulman?

L’expliquer par la conduite des gouvernements successifs de l’Etat d’Israël revient à dire que les actions menées par cet Etat sont singulières et monstrueuses dans un environnement mondial où les atteintes aux droits de l’homme, les guerres et les conflits ethniques et religieux sont innombrables et encore plus importants.

L’antisémite traditionnel a toujours affirmé, lui aussi, que l’antisémitisme était provoqué par les agissements des juifs.

L’antisioniste à l’instar de l’antisémite traditionnel est saisi par une passion. En tant que « passionné », il n’est pas sensible à l’argumentation rationnelle et refuse la controverse sur les faits eux-mêmes.

Bien entendu, je vise ici l’antisioniste et non la personne qui critique la politique du gouvernement israélien. Comme me le disait récemment une amie universitaire, donc en principe éduquée et habituée à exercer son esprit critique sur les événements sociaux et politiques : « Je ne veux pas discuter avec toi du conflit israélo-arabe, car tu connais le sujet mieux que moi. » Sa critique globale d’Israël n’était pas fondée sur une connaissance approfondie de l’histoire de ce conflit mais sur une affirmation de principe, inébranlable, confortée par la propagande de son milieu et de ses lectures orientées dans un sens unique. Pour elle, définitivement, Israël, c’était le méchant et le palestinien la victime.

Diaboliser, c’est manquer d’empathie

La diabolisation d’Israël dans une partie importante de l’opinion publique occidentale a des caractéristiques semblables à la diabolisation d’une personne. Diaboliser une personne consiste à exagérer ses défauts, ses faiblesses et la violence de ses comportements. C’est manquer d’empathie pour les causes qui l’ont amenée à avoir de tels comportements. C’est oublier, volontairement ou pas, certaines parties d’elle-même, certaines caractéristiques qui méritent louange et approbation. C’est enfin donner raison sans discernement à ses ennemis et justifier les comportements hostiles à l’égard de la personne concernée.

Diaboliser. En fait, ce mot révèle qu’il s’agit bien là d’une tendance constante dans la psyché, individuelle et collective : cela consiste à voir dans les affaires humaines qui nous paraissent trop complexes l’œuvre du démon. Le Moyen-Age n’est pas loin, où l’on croyait que le diable ne se contentait pas d’attendre passivement les âmes des pêcheurs mais intervenait activement sur la terre pour pervertir et semer le trouble dans l’œuvre divine.

L’antisémitisme renaît dans les époques où sévit la croyance aux complots, où les populations perdent confiance dans leurs dirigeants qui ne les protègent plus des aléas de la vie, où l’avenir se montre incertain et menaçant et où il n’y a plus de compréhension des événements. En effet, la théorie du complot répond à un besoin d’explication et de certitude. Dans l’histoire de l’Europe chrétienne, les Juifs ont joué ce rôle de bouc émissaire. Au Moyen-Âge, leurs actions malveillantes étaient censées expliquer toutes les grandes tragédies de l’époque, comme la peste.Ce rapprochement entre le diable et les juifs est très ancien. Il appartient à une tradition chrétienne qui va des apôtres Jean et Marc à Luther et qui était une vision populaire très banale dans l’Europe chrétienne.

Cet antisémitisme se retrouve dans le Coran et dans les hadiths. Il est très remarquable qu’on ne le retrouve absolument pas dans les religions de l’Asie, bouddhisme ou hindouisme.

Tous les musulmans n’ont pas une haine consciente et déclarée des Juifs mais très peu de musulmans ont une vision réaliste et objective de la question palestinienne. La théorie du complot universel ourdi par les « sionistes » remplace trop souvent la réflexion sur les enjeux politiques et territoriaux du conflit. On retrouve ici cette symbolique de la diabolisation.

Inconscient collectif musulman

Comme le dit le penseur égyptien-allemand Hamad Abdel Samad dans une conférence mise en ligne le 21 mars 2016 : « Notre haine des Juifs nous a empoisonnés. On n’a pas de problème avec les juifs, il ne s’agit que du conflit israélo-arabe. »

Le conflit israélo-arabe serait la cause de toutes ces crises ? Le prophète Mahomet a promis que le jour du jugement ne viendra pas à moins que les musulmans combattent les Juifs.

Imaginez qu’Israël dise aujourd’hui : « Prends Jérusalem, prends Haïfa et Tel-Aviv aussi. » Serait-ce la fin de notre inimitié avec eux ? Dans ce cas, nous n’aurions pas droit au jour du Jugement. Notre Dieu établissait un lien entre le jour du Jugement et notre conflit avec les Juifs. L’histoire ne parle pas de terres, d’occupation et de droit. La source de la crise est que nous ne considérons pas ces gens comme des êtres humains. »

Ce rejet des Juifs dans la parole même de Dieu reste gravé dans l’inconscient collectif musulman. Les Juifs n’ont pas accepté la religion parfaite que leur proposait le messager de Dieu. Cet antisémitisme musulman réveillé par les humiliations de la colonisation occidentale, du sionisme et des victoires israéliennes, a contaminé dans l’histoire récente par la force des propagandes une partie de l’Occident de culture chrétienne. Un occident chrétien qui avait également dans son inconscient collectif et ses traditions gardé le souvenir de ces Juifs perfides qui avaient crucifié le Christ et refusé sa révélation.

Les textes sacrés des musulmans et des chrétiens s’accordent donc sur ce point : le véritable Israël, le « Verus Israël », c’est nous ! Nous, chrétiens dont le nouveau testament doit remplacer l’ancien. Nous, musulmans, dont le message reprend les paroles des prophètes Moïse, Joseph, et même Adam, tous musulmans avant l’heure. Or, il est de fait que l’existence juive dans sa continuité et sa vitalité à travers les siècles et encore plus aujourd’hui, depuis leur émancipation, représente à la fois une accusation et une menace pour les deux autres religions monothéistes. Croyants et incroyants peuvent hériter des préjugés et des peurs du passé et les transposer dans un langage plus moderne.

Des élites pétries de mauvaise conscience

Ainsi, les élites occidentales progressistes, héritières à la fois du christianisme et du marxisme, pétries de remords et de culpabilité, rendues coupables à la fois de la Shoah, de l’esclavage et des colonisations, hantées par un antisémitisme séculaire, resté gravé dans l’inconscient collectif, se libèrent de leur sentiment de culpabilité en accusant Israël de colonialisme et d’apartheid à l’encontre de la population palestinienne. « Par la grâce des « vertus chrétiennes devenues folles », selon la forte expression de G.K Chesterton, d’un néo-marxisme dévoyé et d’un islamisme conquérant, le monde voit désormais dans le palestinien, le peuple prolétaire, le pauvre, l’opprimé qui fait face à la force brutale et expansionniste de l’israélien colonisateur.

La diabolisation d’Israël, désormais universelle, y compris dans des instances internationales, se manifeste par des mensonges, des exagérations, un déni de réalités historiques pourtant bien connues. Un monstre diabolique est ainsi créé. On reproche à Israël ce dont on a toujours accusé les Juifs : les meurtres d’enfants innocents, la haine de l’humanité et la volonté de domination, en premier lieu au Moyen-Orient, du Nil à L’Euphrate, ensuite pourquoi pas jusqu’à Tombouctou et enfin dans le monde entier.

Un bel exemple de projection, au sens psychanalytique du terme, de la part de ceux qui, en Orient, veulent accomplir leur propre rêve de domination universelle, comme de ceux qui ressassent en permanence, en Occident, leur culpabilité névrotique.

© Charles Rojzman

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