Roland Assaraf. L’affaire Sarah Halimi: un problème de texte de loi ou une crise de légitimité institutionnelle?

Le 19 avril 2021 [1] Marianne publie un entretien avec un représentant des experts psychiatres qui ont conclu à l’irresponsabilité pénale de Traoré Kobili, l’assassin et tortionnaire de Sarah Halimi.  J’analyse ici la rhétorique de l’expertise et son inscription dans un dispositif argumentatif médiatique et judiciaire plus large, dont la seule fonction est de faire accepter à l’opinion publique une procédure qui trahit sa mission d’enquête impartiale de vérité et de justice.

Cette affaire n’est pas un problème de textes de loi qu’il faudrait modifier, comme on voudrait nous le faire croire, mais une affaire d’interprètes, d’êtres humains. C’est une affaire de faillite institutionnelle ouverte, mais couverte par des discours manipulateurs juridiques et politiques.

Dans une procédure normale, l’enquête exhaustive et impartiale mène au procès, et le procès mène au jugement (peine ou absence de peine). Ici tout le dispositif rhétorique est bâti sur un des arguments d’experts psychiatres qui relève de l’imposture (je vais le démontrer). Le juge  évite alors tout ce qui pourrait contrevenir aux expertises: enquête impartiale et débat contradictoire (le procès).

Dispositif rhétorique judiciaire

Si nous suivons le juge d’instruction conforté par la Cour de cassation, une décision de justice peut être fondée seulement sur une expertise psychiatrique (selon laquelle le meurtrier était fou au moment des faits). Il s’agirait alors de faire une « application stricte » de l’article 122-1 [2] « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychiatrique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

Ainsi l’abolition du discernement de Traoré serait une vérité, mais surtout une vérité incontestable, du point de vue de la Justice puisque les représentants de cette dernière ont refusé toute possibilité de contestation au tribunal. Pour rappel, l’irresponsabilité pénale de Traoré a été décidée par le juge d’instruction sans débat contradictoire, c’est à dire sans procès, mais aussi avec une enquête volontairement bâclée: rejet des éléments à charge, refus de l’instruction de reconstituer la scène du crime, refus d’enquêter sur les fréquentations de l’assassin et sur ses conversations téléphoniques [3].

Un jugement sans procès est moralement un abus de pouvoir, car il suppose la toute-puissance du juge qui fonderait ici sa décision sur la seule expertise des psychiatres. L’expertise psychiatrique est un argument ici pour éviter une enquête sérieuse. Une fois l’expertise rendue, nul besoin que l’avocat des parties civiles interroge les experts, les paroles d’expert qui sont ici les paroles de l’expert apparaissent comme paroles d’évangile. C’est considérer que les psychiatres et les juges  ne sont pas des hommes faillibles, c’est prendre pour l’argent comptant qu’ils n’ont que des compétences, qu’ils n’ont aucun biais cognitif, aucune faille psychologique morale et intellectuelle. A ce titre, leur parole est « divine », nul besoin d’être interrogés à la barre, ils sont l’incarnation de la Vérité et de la morale.

Ainsi « L’application stricte  de l’article 122-1 » [2] confirmée par la cour de cassation est un subterfuge rhétorique destiné à intimider le public par l’autorité qui possède la connaissance du droit. Avant d’être un avis juridique c’est ici un avis de clercs qui semblent vouer un culte à une divinité: l’expertise psychiatrique qui semble être le seul élément décisionnel. Or ce culte n’est pas inscrit dans l’article 122-1 du code pénal.

Ce culte semble nouveau, l’article de la chaîne LCI du 22 Avril 2021 [3] relate une expertise concluant également à l’absence de discernement d’un prévenu violent. Dans ce cas précis   ces expertises n’ont pas empêché la justice de faire une enquête intègre, de faire un procès et de conclure contre l’avis des psychiatres [4].

Sarah Halimi n’est pas morte uniquement à cause d’un supposé toxicomane ayant une « bouffée délirante », elle est morte probablement d’un autre délit, celui de non-assistance à personne en danger (article 223-6), dont les acteurs ne sont pas des toxicomanes mais la Police dépêchée en renforts. Le choix de ne pas enquêter sur les fautes de cette institution n’est pas non plus contenu dans l’article 122-1. Si le refus d’un procès et d’une reconstitution de la scène du crime (comme dans une procédure normale) vise à épargner à la Police une confrontation critique à ses manques, c’est une faute grave. Car en niant le problème de l’inaction des forces de l’ordre face à un meurtrier qui crie « Allahu Akbar », on normalise cet état de faits, on normalise l’impuissance des policiers face à des terroristes, c’est à dire qu’on les présente comme des cibles faciles. Est-ce le prix qu’il faut payer pour couvrir le responsable de la chaîne de commandement, le Préfet ?

Puisque le juge d’instruction appuyé par la Cour de cassation réduit le facteur décisionnel à une simple expertise psychiatrique présentée comme une vérité absolue, nous allons donc analyser l’argumentation de Paul Bensussan, l’expert psychiatre qui répond aux questions du journal Marianne [1].

N’étant pas psychiatre, mais un physicien -mathématicien, je présenterai seulement une analyse des incohérences éventuelles logiques et des méthodes rhétoriques. Le sens commun et la logique sont des paramètres universels en sciences. Lorsque, par exemple, un spécialiste affirme avec force que 2+2=5 pour étayer un raisonnement, la crédibilité des conclusions est toujours en cause. Ceci est vrai quel que soit le domaine scientifique, des mathématiques jusqu’à l’art ou la pratique médicale dont fait partie la psychiatrie.

L’imposture scientifique du psychiatre

Voici les points principaux de l’argumentation de l’expert psychiatre.

« La problématique était ici le rôle possiblement déclencheur du cannabis… mais les taux sanguins de THC retrouvés chez lui étaient faibles à modérés (peu compatibles avec une consommation massive récente) et les idées délirantes ont persisté longtemps après l’arrêt de l’intoxication ».

Bref, le cannabis est pour le psychiatre, possiblement déclencheur d’une bouffée délirante, bien que Traoré n’ait pas eu « une consommation massive récente ». Dans ce contexte « possiblement » signifie « très peu probablement ». Ce discours contredit les propos des juristes dans les médias qui imputent la bouffée délirante à la consommation massive de cannabis. Du point de vue du psychiatre, elle ne concerne pas le moment du meurtre.

L’expert psychiatre avance que le crime est une « bouffée délirante » qui « survient typiquement chez un patient exempt de tout trouble psychiatrique (on parle de « coup de tonnerre dans un ciel serein »).

Un patient exempt de tout trouble psychiatrique sujet à des « coups de tonerre dans un ciel serein » est un énoncé qui signifie qu’à n’importe quel moment la probabilité que Traoré soit lucide est la plus grande. Or le psychiatre n’était pas présent au moment de l’acte meurtrier, la conclusion c’est que la probabilité que Traoré soit lucide est la plus grande pendant l’acte meurtrier.

En admettant qu’un comportement soit un symptôme de « folie », il ne peut discriminer une « folie » réelle d’une « folie » simulée si la simulation de la folie et dans l’intérêt d’un individu. Car pour un individu conscient, simuler la folie face à un psychiatre après un meurtre est un moyen évident d’échapper à ses responsabilités.

Mettre en avant un facteur improbable sans envisager les autres facteurs plus probables est la définition d’un biais dans le discours scientifique (ou supposé tel). Par pure coïncidence, ce biais va dans le sens de la partialité du juge. Pour rappel la partialité est un biais volontaire (le juge refuse de regarder les éléments à charge et en particulier d’écouter les parties civiles lors d’un procès).

Enfin ce qui est présenté comme l’argument principal pour justifier l’irresponsabilité pénale est le suivant. « Enfin et surtout, croyant trouver l’apaisement dans le fait de fumer, comme il le faisait régulièrement depuis l’âge de 15 ans, il a sans doute précipité l’évolution d’un trouble dont le cannabis n’a été, selon moi, qu’un co-facteur et non la cause  suivi de la conclusion en forme d’argument d’autorité: «  Nous avons donc conclu à l’irresponsabilité pénale, tout simplement parce qu’elle s’imposait techniquement ! ».

Cette conclusion est présentée comme certaine, en contradiction avec la faiblesse de l’argumentation présentée comme incertaine. Mieux, cette conclusion par son caractère péremptoire est aussi en contradiction avec la propre analyse du psychiatre donnée lors de la commission parlementaire après l’affaire d’Outreau [5]. Pour rappel, l’affaire d’Outreau est une affaire d’agressions sexuelles sur mineurs entre 1997 et 2000 dans laquelle les juges avaient commis la même erreur/faute : de croire aux expertises [5].

Je cite Paul Bensussan « Ne nous racontons pas d’histoires de ce qui est fait de nos expertises: sur le pouvoir excessif qu’elles ont. Paroles d’enfants, paroles d’experts : l’affaire Outreau a eu le mérite de montrer que l’une comme l’autre, étaient faillibles…».[5].

Je cite encore Paul Bensussan « Gageons que le niveau des expertises va commencer à monter dès lors que chaque expert saura qu’il pourra être lu, contredit et éventuellement critiqué à la barre. » C’est une parole de bon sens qui explique probablement la fragilité et l’incohérence de son argumentation dans l’affaire Sarah Halimi. En effet la justice ne lui a pas donné la possibilité d’être « contredit et critiqué à la barre ». Ces incohérences sont-elles une bouffée délirante ou une absence d’intégrité de sa part ? En somme, le même genre de question se pose pour l’expert que pour l’expertisé.

Dans l’affaire Sarah Halimi, le fait que la Justice prétende fonder le refus de faire son devoir (enquête sérieuse et procès) sur des arguments d’experts incohérents devrait pouvoir être critiqué. Elle se réfugie, comme le psychiatre, derrière un faux argument « technique », dans le cas de la Justice un texte de loi. Or il n’y a pas de technique sans éthique, un outil peut être utilisé pour soigner ou pour tuer. Le code pénal est aussi un outil qui peut être utilisé pour protéger les victimes ou protéger les criminels il peut être utilisé pour prévenir ou pour inciter au passage à l’acte. Interpréter le code pénal comme une dérogation à la recherche impartiale de la vérité pose un problème logique, la réalité n’est pas dans le code pénal. Le code pénal ne peut être appliqué que dans la réalité. Cette application est donc conditionnée par une recherche de la vérité qui ne peut passer que par une enquête complète impartiale et un procès, et ce quelle que soit la peine finale. Cette interprétation exceptionnelle du texte pose aussi un problème éthique, car en refusant de rechercher la vérité de manière impartiale la Justice trahit ouvertement la mission qui lui a été confiée. La cour de cassation n’a pas validé « l’application » du droit ce qui ne veut rien dire au sens strict mais une interprétation particulière du droit contraire à la mission de la Justice, sur la forme et sur le fonds.

Focaliser l’attention sur le code pénal et les stupéfiants est manipulateur. Le facteur causal de l’irresponsabilité pénale n’est pas le cannabis peu consommé au moment des faits suivant le psychiatre, mais le délire de persécution par les Juifs. Pour la Justice, l’antisémitisme est la folie qui disculpe le meurtrier. Le changement de loi est un slogan qui s’inscrit dans un dispositif qui vise à faire porter la responsabilité d’une faute à un outil et pas à son porteur. C’est une manœuvre de diversion du vrai problème la corruption, et le refus de d’appliquer la peine aux terroristes islamistes que les médias, inspirés par l’AFP, présentent comme des victimes.

La rhétorique suivant laquelle l’absence de peine implique l’absence de procès est un sophisme construit sur une inversion logique. C’est l’absence de procès qui implique l’absence de peine (on ne peut donner une peine sans procès, et pas l’inverse). Ce sophisme a pour fonction dans l’argumentation de justifier l’absence d’enquête impartiale en amont. Ce refus n’est pas juridique (il en trahit même la fonction), il est politique. Cela ne peut être que parce que la Justice doit bâcler l’enquête qu’elle ne peut faire de procès et ne pas accorder de peine au meurtrier. Il est alors aisé de comprendre la fonction rhétorique de l’« expertise psychiatrique »  un mauvais prétexte pour éviter une enquête impartiale.

[1] https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/lun-des-experts-psy-de-laffaire-sarah-halimi-se-defend-lirresponsabilite-penale-simposait

[2] https://www.village-justice.com/articles/affaire-halimi-traore-pas-distinction-possible-selon-origine-trouble-psychique,38890.html.

[3] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/affaire-halimi-la-cour-de-cassation-rejette-les-pourvois-20210414

[4] https://www.lci.fr/justice-faits-divers/meurtre-de-sarah-halimi-l-autre-affaire-ou-la-justice-a-condamne-un-homme-juge-fou-par-la-majorite-des-experts-2184182.html

[5] https://affairesfamiliales.wordpress.com/tag/paul-bensussan/

[6] https://www.youtube.com/watch?v=lGnqnoPU1T4

[7] https://lphinfo.com/jaffa-le-lourd-passe-des-agresseurs-du-rav-mali/

 © Roland Assaraf

Source: Perditions idéologiques. Discussions sur la propagation des idéologies dangereuses

Le Blog Perditions idéologiques est dirigé par Georges-Elia Sarfati, linguiste, Créateur de l’Université populaire de Jérusalem, Yana Grinshpun, linguiste et Maître de Conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris III, Co-dirigeante de l’axe “Nouvelles radicalités” au sein du Réseau de Recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme, Roland Assaraf, physicien et chercheur en Analyse du Discours, Jean Szlamowicz, professeur des universités, Linguiste, traducteur et Critique de jazz.

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