Yves Charnet. “La génération présente est perdue”. Chateaubriand. “Le monde va finir”. Baudelaire. C’est un drôle de moment. Pour devenir orphelin de mère

Toulouse, 30 mars 2021 

Plus rien ne semble à sa place. Dans notre monde détraqué. Le baromètre affiche une température de début mai-fin mars. Dans cette fin d’hiver une chaleur de début d’été. Tout va de traviole. Le temps qu’il fait, nos jours déboussolés. Plus d’un an après le début de cette fichue pandémie nous piétinons toujours dans la même case-prison. Cruelle mise à nu de l’impuissance française. L’arrogance criminelle de Macron est en train de tuer des malades dans nos hôpitaux. La burlesque incompétence de ses Guignols de la Gestion. Les Shadoks de mon enfance sont, chaque jeudi à 18 heures, de retour sur nos écrans. Macabres conférences de presse sans l’élégante loufoquerie de Claude Piéplu.

Pendant ce mauvais feuilleton l’Allemagne ferme ses frontières. Situation trop mauvaise de notre côté du Rhin.

On change en catimini le nom d’un vaccin suspect. Autorisé, non autorisé, autorisé de nouveau.

Les écoles sont devenues des garderies. Des garages à élèves sans programme. Tu n’y retrouverais plus tes petits. Dans ce stupéfiant tumulte.

Les éléphants ont perdu leurs dernières défenses en Afrique. Et moi mes dernières illusions sur le peu de révolution. Je parlerai, demain, aux élèves de cette étrange agencement entre le vague des passions dans Génie du christianisme et le spleen dans Les fleurs du mal. Tentatives d’identification du mal du siècle. Habitant avec un cœur plein un monde vide, René, cherchant partout quelque chose pour remplir l’abîme de son existence, souffrait d’une forme toute laïque de l’acedia. Comme le mauvais moine de Baudelaire, incapable de faire du spectacle vivant de /s/a triste misère le travail de /s/es mains et l’amour de /s/es yeux. Le poète des Fleurs comme le prosateur des Mémoires ont tous deux diagnostiqué, sur nouveaux frais, l’origine du Mal. Ce nouveau péché originel propre à l’expérience moderne du deuil & de la mélancolie. Si tout lasse Chateaubriand qui remorque avec peine /s/on ennui avec /s/es jours, et va partout bâillant /s/a vie, Baudelaire oblige son lecteur à reconnaître, d’entrée de jeu, dans l’Ennui le vice le plus immonde, celui qui, dans un baîllement avalerait le monde.

Une même hantise de l’angoisse comme gouffre. L’écriture devient un art d’entretenir les blessures secrètes. D’aggraver les douleurs incurables. La génération présente est perdue. Chateaubriand. Le monde va finir. Baudelaire. Nous en sommes là. Dans une nouvelle débâcle.

C’est un drôle de moment. Pour devenir orphelin de mère. Mes fiches d’histoire, tu te souviens. Mes classeurs d’éternel écolier. J’aimais te réciter mes leçons. Maman. J’aimais t’expliquer comment ça se tramait. La littérature moderne de Chateaubriand à Proust en passant par Baudelaire. Sans oublier Nerval & Rousseau. Encore ce soir j’ai envie de te reparler de ça. De venir m’asseoir dans ta chambre, sur le lit, pour te raconter mes dernières lectures. Nocturnes élucubrations. Nous n’avons peut-être jamais été plus heureux que dans ces moments-là. Plus fabuleusement complices. Non, tu ne me déranges pas. Mon grand. Et je te disais qu’il fallait, pour comprendre quelque chose au romantisme français, regarder longtemps ce tableau exposé par Géricault au Salon de 1814. Le Cuirassier blessé quittant le feu

Le Cuirassier blessé quittant le feu. Géricault. 1814. Musée du Louvre

© Yves Charnet

Au début des années 2010, Yves Charnet, spécialiste de Baudelaire, Michel Deguy ou Antoine Emaz,  décide de se consacrer exclusivement aux nouveaux chapitres de l’autofiction sans fin que constitue, aux marges de la prose et de la poésie, son travail d’écrivain. Les livres publiés depuis le titre inaugural de « Proses du fils » font partie d’un même ensemble poétique, véritable self-portrait in progress, dont l’impossible somme peut s’intituler « Récits d’Yves » ou « Tentatyves »

Dernier livre paru: Chutes. Tarabuste Editeur. 2020

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