Kamel Abderrahmani. La sacro-sainte Inquisition islamique : l’affaire de l’islamologue et chercheur en soufisme algérien Saïd Djabelkhir

Kamel Abderrahmani

Il y a une année, j’ai écrit un article intitulé « L’inquisition des temps modernes »[1], paru le 27/01/2020 dans les pages de Asianews, journal dans lequel je dénonçais la pression que subissent les intellectuels, les penseurs et les citoyens qui osent s’insurger contre la vision majoritaire de l’islam et de l’islamisme, ou qui osent offrir un regard différent, indépendamment du discours dominant : La liberté d’expression, disons-le sans détour, est mourante dans le monde musulman. Nul ne peut s’exprimer librement, chacun est assigné implicitement ou explicitement à ne pas déborder du cadre de la pensée unique, et comme cette pensée est majoritaire, se rebeller revient à prêcher dans un désert, ou, plus grave, à s’attirer les foudres des inquisiteurs. Lorsqu’il s’agit de la religion, les pressions se multiplient, s’accentuent et le débat devient sinon impossible, du moins faussé d’avance – phagocyté par la pensée religieuse et les services étatiques qui lui ont fait allégeance. Autrement dit, museler la voix de la pensée critique à l’égard de la religion est une action qui relève du « djihad judiciaire ». C’est-à-dire, ester en justice une personne dont les dires, les idées et les opinions critiquent, démasquent et démystifient la nature violente des adeptes d’une religion qui se veut malgré tout religion de paix, et qui vise à museler, à réduire au silence, et à faire taire les critiques.

« Djihad judiciaire », êtes-vous étonnés de connaître son existence ?Cette forme de « djihad » non seulement existe réellement, mais aussi autorisée par plusieurs – pour ne pas dire tous – les États musulmans, dont l’Algérie. Cette dernière via sa Constitution et des lois liberticides institutionnalisées[2], sert sur un plateau d’argent les « fous d’Allah » et leur donne la possibilité de faire taire par la voie de la justice des intellectuels, des penseurs et des islamologues qui introduisent des sciences humaines et sociales dans l’interprétation du Texte coranique, afin de moderniser l’islam et libérer les esprits du dogme favorisé par les traditionalismes et par l’islamisme comme idéologie.

Saïd Djabelkhir

 « Les fous d’Allah » sont les adeptes de la lecture littérale des textes religieux et de la pratique sectaire et rigoriste de l’islam. Ils ne sont pas forcément des islamistes, mais des traditionalistes, puisque leur projet c’est d’islamiser la société en instrumentalisant la religion, en l’utilisant notamment comme un rempart contre la modernité en marche, ou comme une digue et contre-courant de l’épanouissement inhérent au progrès potentiel de la société algérienne, et ceci par la propagation de la « peur d’Allah », une crainte à même de tétaniser les esprits et d’annihiler tout désir d’émancipation, et de manipuler ainsi la société non seulement pour qu’elle soit conforme avec ce qu’ils appellent « la loi d’Allah »,mais aussi pour les soumettre au gouverneur : « Le messager d’Allah nous a appelés puis nous lui avons donné l’allégeance. Il a pris notre serment, qui mentionnait qu’on devait écouter et obéir, dans ce que nous aimons comme dans ce qui nous déplaît ; dans la difficulté comme dans l’aisance et même si on se donne des privilèges dans cette vie à notre détriment et de ne pas disputer le commandement à celui qui le détient. […] « Excepté si vous voyez un Koufr (signes clairs de mécréance), au sujet duquel vous possédez une preuve venant d’Allah ».[3]

Le pouvoir algérien joue la carte d’un islam modéré, mais hybride – tolérant et intolérant à la fois – depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999. Afin d’affaiblir les partisans du « djihad militaire », particulièrement les sanguinaires du Front Islamique du Salut. Pour ce faire, l’État a favorisé deux versions contradictoires de l’islam, notamment le wahhabisme – du salafisme et du soufisme – courant ascétique et mystique de l’islam, qui vise au pur amour de Dieu. Toutefois, les deux courants sont unanimes en ce qui concerne la violence, les deux la bannissent. Donc les deux ont constitué un frein devant la mouvance islamiste – les Frères Musulmans et le FIS qui ont un projet politique très bien connu – partisans du militantisme armé. Cependant, l’État avait un autre objectif, assurer sa pérennité par le biais du dogme pro-pouvoir du Wahhabisme et un certain soufisme « politisé » qui par leur discours garderont le citoyen dans la torpeur et l’engourdissement intellectuel. Dans le but de donner plus de crédibilité ainsi qu’une force officielle à ses forces obscurantistes, l’État institutionnalise une loi liberticide, le fameux article 144 bis 2 – « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de cinquante mille (50.000) DA à cent mille (100.000) DA, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen » contradictoire avec la charte internationale des droits de l’Homme.

Parallèlement, la dissolution du FIS au début des années quatre-vingt-dix a permis au pouvoir de contrecarrer l’ascension de la mouvance islamiste, ou proprement dite, de l’islam politique en marginalisant tous les partis islamistes créés après le FIS tel que le MSP. La plupart des salafistes quiétistes occupant la scène interne, y compris les imams, demeurent très loin du politique. Leur seul objectif est de maintenir un certain conservatisme social sur les mœurs et non pas sur les institutions politiques, sans toutefois tomber dans l’extrémisme religieux à l’image de la décennie noire ayant coûté la vie à près de 500 000 Algériens. Peut-on conclure de ce fait que les décideurs algériens préféreraient détourner l’emprise religieuse sur la vie politique au profit de la vie sociale, dans le souci de contenir leur pouvoir durablement, quitte à cautionner cette stratégie par des textes légaux contraires à la volonté ‘’d’émancipation et d’ouverture’’ promue par Bouteflika depuis 1999 ?

Si l’islamisme est maudit par l’État, le conservatisme est plus que promu. Il jouit d’un cadre officiel et institutionnel, il est protégé et répandu par les imams de la République, par les programmes scolaires agréés et les discours religieux télévisés. Il est mis en œuvre par les représentants de l’autorité publique, les médias, les différents ministères et par l’appareil judiciaire. Autrement dit, nous avons affaire à l’islam officiel, comme le stipule l’article 2 de la Constitution Algérienne « L’Islam est la religion de l’État »[4] et non à « l’islamo-djihadisme », puisque ce dernier est banni officiellement. Donc, l’honnêteté intellectuelle et l’envie de voir l’Algérie, ainsi que le monde musulman dans un état meilleur que celui d’aujourd’hui m’exige de nommer le mal par son nom – loin de la peur d’être un jour l’objet d’une fatwa –, il s’agit bel et bien de l’inquisition islamique et non de l’inquisition islamiste.

Afin de justifier l’appellation « inquisition islamiste », des intellectuels, des journalistes accusent Ibn Taymiya et Mohamed Ibn Abdelwahhab d’être la source du terrorisme islamiste. Cependant, je me demande si ces accusations sont-elles fondées par la non-maîtrise du sujet ou par envie de dédouaner l’islam et d’en faire une religion immaculée ? L’inquisition islamique a existé depuis la naissance de l’islam et a été toujours pratiquée à l’égard de ceux qui tiennent des thèses différentes de celles dominantes. Il est primordial et urgent de déconstruire le mythe d’une religion « rationnelle et pacifique » et c’est la tâche que des intellectuels contemporains se sont donnée, tels que Mohamed Abdou, Mohamed Arkoun, Sayyed Al-Qimni, Hassan Farhan al-Maliki, Mohamed Shahrour, qui eux-mêmes étaient l’objet de cette inquisition. L’une des premières de ses formes a vu le jour pendant les guerres de Ridda[5] menées par le premier Calife[6]. Même ceux qui sont considérés comme les plus « rationnels et pacifiques », en l’occurrence les mu’tazilites, pendant leur confrontation avec l’orthodoxie sunnite entre 833 et 848 ont voulu imposer leurs thèses par la force sous le règne du calife Al Ma’mun et ont persécuté des savants sunnites[7]. Ils ont fini à leur tour d’être persécutés et tués !

L’histoire musulmane est cyclique, elle se répète sans cesse. Au XXIe siècle, des intellectuels, des islamologues, des penseurs, des militants laïcs se font poursuivre en justice pour atteinte à l’islam. Certains ont été emprisonnés, comme Islam Bouhayri en Égypte et Hassane Ferhane Al Maliki en Arabie Saoudite, d’autres pourchassés et exilés, comme Hamed Abdel-Samad et ce que fut Mohammed Arkoun. Leurs œuvres sont interdites – comme il a été le cas pour celles de Mohammed Shahrour. Des savants qui ont été relégués au statut « d’innovateurs » pendant que des charlatans jouissaient du statut de « savants ». À savoir, l’obscurantisme et tout ce qui nourrit l’esprit extrémiste et encourage l’ignorance sacrée.

Tout intellectuel ayant un discours rationnel et critique envers la pensée religieuse unique et dominante – sunnite – se voit traduit en justice pour « atteinte à l’islam ». C’est ce que subit actuellement l’islamologue algérien Saïd Djabelkhir. Ce chercheur en soufisme algérien comparaîtra ce 25 février devant le tribunal Sidi M’hemed. Une plainte acceptée par ledit tribunal a été déposée contre lui par un certain professeur universitaire pour « outrage à l’islam, atteinte et moquerie aux hadiths authentiques de la Sunna du Prophète Muhammad, au pilier du Hadj (pèlerinage) et au sacrifice rituel du mouton de l’Aïd ». Il faut entendre par là que le plaignant ainsi que ses avocats lui reprochent sa volonté de soumettre l’islam à la « raison interrogative » et un questionnement constant et critique pour pouvoir sortir les musulmans, victimes du dogmatisme vers la lumière de la connaissance.

Toutefois, tant de questions peuvent être posées par rapport à ce procès. Par exemple, qui représentera « Allah » à l’audience ? Saïd Djabelkhir est-il vraiment contre « Allah » ou un adversaire de ceux qui répandent, par la force de la loi, la voie de l’école et de la mosquée une perception dangereuse d’Allah qui consiste à présenter toute personne différente comme son ennemi ? Comment un chercheur peut-il être traduit en justice par rapport aux résultats de ses recherches ? La recherche ne consiste-t-elle pas à apporter un plus, quelque chose de nouveau, d’inédit ? Autrement dit, lorsque les gardiens du temple se sentent menacés, ils s’autorisent toutes les formes du djihad.


[1] http://asianews.it/news-en/Freedom-of-expression-is-dying-under-the-blows-of-the-Islamist-Inquisition-49131.html

[2] Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de cinquante mille (50.000) DA à cent mille (100.000) DA, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen. »

[3] https://www.salafidemontreal.com/doc/Obeir_aux_dirigeants.pdf

[4] https://www.joradp.dz/hfr/consti.htm

[5] Guerres contre les apostats.

[6] https://www.islamweb.net/fr/article/144499/Les-guerres-d%E2%80%99apostasie-et-compilation-du-Coran

[7] Les 101 grands moments de l’Islam, Renaud K. édition Sarrazins.

© Kamel Abderrahmani

Kamel Abderrahmani, Diplômé en Sciences du langage, a quitté Béjaïa en 2015. Il enseigne la Littérature française en Île de France depuis 2017.

http://www.asianews.it/news-en/The-Islamic-%27holy-inquisition%27%3A-the-story-of-the-Algerian-scholar-Said-Djabelkhir-52374.html

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2 Comments

  1. Il y a 3 ans quand il a dis que le ramadan n est pas obligatoire des imbéciles ont demandés sa mort sur les réseaux sociaux ils ont mêmes donnés l,adresse de l,islamologue pour l,assasine. Heureusement que la plus grande partie de la société algérienne s,en fou de la religion
    C,est juste l’état islam religion d,état
    Est l l’école formes des croyants non des citoyens c,est fais exprès
    Ont dois sortir de cette malédiction de l,islam qui a été impose par l,epee
    Notre survie c est notre indépendance
    Le 20 avril 2021 référendum pour l,autodétermination de l indépendance de la kabylie.
    La kabylie auras des synagogues des églises la charte kabyle stipule la kabylie n’est pas antisémite. Kabylie laïque.

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