Maxime Tandonnet. Lecture: “Charles Martel”, de Georges Minois

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Ecrire une biographie de Charles Martel est un exercice compliqué. L’image de ce dernier a été complètement défigurée par les exploitations idéologiques qui en ont été faite, et finalement, bannie dans l’éducation nationale. En outre, fort peu d’informations à son sujet sont parvenues jusqu’à nous. L’ambition de l’auteur, historien du Moyen-âge, est d’écrire une biographie impartiale, débarrassée des oripeaux idéologiques et passionnels qui entourent cette figure clé de l’histoire, le créateur d’une dynastie. La réussite est totale et nous permet de disposer d’un ouvrage passionnant sur un homme et son époque.

Charles ne s’est jamais appelé “Martel” de son temps. Ce surnom évoquant le guerrier écrasant ses ennemis, lui a été affublé un siècle plus tard.  Il est le descendant des Pépinides, une grande famille de l’Austrasie, la branche orientale du royaume franc, couvrant le nord-est de la France, l’actuelle Belgique, les Pays-Bas et une partie de l’Allemagne. Son père, Pépin d’Herstal, maire du palais (ou Premier ministre) des rois Mérovingiens, régnait de fait sur l’Austrasie et la Neustrie, l’autre partie du royaume couvrant  le Nord de la France actuelle.

Charles – prénom jusqu’alors inexistant chez les francs – a pris la succession de son père à l’issue d’un concours de circonstances. Enfant “bâtard”, né de la seconde épouse de Pépin (plus ou moins officielle), en conflit aigu avec la première, il s’impose à la suite du décès de ses demi-frères. Personnage plutôt discret jusqu’à la trentaine, son prestige s’affirme à la suite d’une succession de brillants succès militaires destinés à maintenir l’unité du Royaume franc contre les Neustriens avides d’indépendance (victoire d’Amblève en 716), la soumission des entités vassales de ce Royaume, la Bourgogne, la Bavière, l’Aquitaine, ou à combattre les ennemis hors du Royaume qui le harcèlent (Frises, Saxons).

Charles est aussi un politique d’une grande habileté. Il pouvait, à tout moment renverser les derniers mérovingiens, totalement écartés du pouvoir et privés de toute influence, et se faire proclamer roi à leur place. Pour éviter de susciter les jalousie et la discorde chez les “grands” qui le soutiennent, il choisit de préserver la fiction d’un royaume mérovingien, sous la légitimité duquel il exerce les pleins pouvoirs. Ses rapports avec les Evêques sont ambigus: Charles se fait haïr par la confiscation des biens de l’Eglise mais il contribue à l’évangélisation à travers son soutien militaire aux moines chargés par le pape de porter la bonne parole (Saint Boniface).

Le siècle qui couvre les années 650 à 750, donc l’ensemble de son “règne de fait”  est l’un des plus obscurs de l’histoire européenne. La culture, la connaissance, toute trace de civilisation en ont disparu, même si elles survivent dans certains monastères qui ont le monopole de l’écriture et de la lecture. Aucune création littéraire ou musicale voire même architecturale de cette époque ne nous est parvenue. Charles qui parle une langue germanique, est lui-même probablement analphabète comme les nobles francs de son temps pour qui la seule valeur importante est l’art de la guerre. Les assassinats, les massacres, les anéantissements de population ou réduction à l’esclavage à la suite d’un siège font partie de la vie courante. La christianisation de ce temps,  n’est qu’en surface et l’Evangile n’a guère d’influence sur la barbarie des mœurs politiques ou guerriers.

L’auteur s’attarde sur le fait d’armes le plus connu de Charles (dit Martel): sa victoire contre les Sarrazins au Nord de Poitiers en 732. Son ennemi, Abd al-Rahman, était dans la logique, non pas de simple razzia, mais de poursuite de l’expansion de l’islam après la conquête de l’Afrique du Nord et de l’Espagne. Ses cavaliers, alliées ponctuels des Basques, semaient la terreur dans l’Aquitaine, dévastant cette province qui était l’une des plus opulente des territoires relevant en principe du royaume. L’affrontement eut lieu à 20 km au Nord de Poitiers. Il opposait sur la route de Tours une dizaine de milliers de fantassins francs, sous l’autorité de Charles, allié à l’aquitain Eude, jusqu’alors l’un de ses plus redoutables adversaire, aux redoutables cavaliers d’Abd al-Rahman. La bataille, fait exceptionnel en ce temps, dure plusieurs jours. C’est la mort au combat de ce dernier qui provoque la débandade des Sarrazins. Les chroniques des historiens musulmans parlent d’une victoire des Européens, un signe divin emblématique qui pour la première fois, marque les limites de la conquête islamique. En revanche Charles, les francs et les Aquitains, selon l’auteur, ne se plaçaient aucunement dans une optique de “guerre de civilisation” dont ils n’avaient guère conscience mais de résistance classique à un envahisseur qui menaçait le royaume.

Voici un livre passionnant, sur une des époques les plus troubles et les plus méconnues de notre histoire, sur un personnage lui aussi méconnu mais dont le rôle fut absolument crucial dans l’histoire européenne, père de la dynastie des Carolingiens (son fils Pépin, dix ans après sa mort en 741, se fit couronner roi des francs) et bien entendu, grand père de Charlemagne.

Charles Martel. Georges Minois. Perrin 2020

© Maxime Tandonnet

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