Catherine Gaillard. Je ne le savais pas, mais ça avait été de belles après-midi

Petit pote Christian sur la photo

Tu quittais ta tour toute neuve de Bobigny – celle dont l’architecture “audacieuse” avait fait la une de France-Soir – et tu venais nous voir à Neuilly-Plaisance avec ton superbe scooter couleur crème fouettée.

Plus tard tu aurais la petite Renault 4 cv de la liberté nouvelle.

Si je dis que Neuilly-Plaisance c’est le 93, la Seine-Saint-Denis, on ne peut pas imaginer les chemins creux aux coquelicots et aux bleuets, les groseilliers à maquereau, les cassis, les mûres, les cerises, les arbres remplis de quetsches et de reine-claude craquelées de sucre, les innombrables petits-gris et gros-gris, les mares à grenouilles pleines de tétards, les bords de Marne frétillants de goujons et d’ablettes… Peu encore avant les années 60 il restait quelques fermes, le matin, de loin en loin, on entendait les coqs chanter et se répondre. Les “plâtreries” exploitaient les grandes carrières de gypse et il y avait du travail pour tout-le-monde.

Tu quittais Bobigny et tu arrivais à Neuilly-Plaisance comme un jeune héros moderne, une gentille tête brûlée. Ton frère était déjà marié et père de famille et toi tu restais têtuement célibataire.

Dans la famille paternelle de grands blonds dolichocéphales myopes aux yeux bleus, tu étais très brun, toujours bien coiffé avec une abondante chevelure lustrée, des yeux café noir et sans aucunement besoin de lunettes. Une petite moustache fine à la Dario Moreno.

Je dirais que tu étais beau. (Ma grand-mère, couturière des cocottes, – la plus belle femme du Ve arrondissement selon ses amis bistrotiers – avait un “secret…” au sujet de ce dernier rejeton.)

Ma mère avait dû sortir un moment de sa gangue de neurasthénie, peut-être préparé un gateau de riz aux raisins et au rhum et sorti la bouteille de Guignolet Kirsch ou de Byrrh . On ne sortait pas, la campagne ce n’était “pas ton truc”.

L’après-midi passé, tu m’autorisais à te raccompagner un bout de chemin à l’arrière du scooter, tu piquais une pointe et c’était les premières fois que je ressentais l’ivresse et la joie de la vitesse, les cheveux giflant la figure, la bouche grande ouverte sur un rire silencieux.

Ensuite il fallait remonter la route à pied, c’était long, tout droit, je passais devant la boulangerie Cuhaut, l’épicerie Demailles qui sentait la poudre de réglisse et dont la porte faisait tinter un joli grelot, enfin la maison du charbonnier qui vivait seul avec ses deux filles – tout au moins n’avait-on jamais vu la mère -on disait “les filles Bronn” (Braun ?) -, dont une avait un pied-bot et qui ne fréquentaient personne, ne jouaient jamais avec personne. La cour noire, son camion noir. Et l’odeur bitumineuse caractéristique.
Je m’arrêtais ramasser les escargots (je leur cherchais une flaque et attendais de voir les “cornes” sortir), m’apitoyais sur un moineau raidi, goûtais en grimaçant quelques groseilles translucides.
Je ne le savais pas mais ça avait été de belles après-midi.

© Catherine Gaillard

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