Les attentats de janvier 2015 : Laurence Goldmann raconte à Sylvie Bensaid

Tribune Juive : Depuis le 2 septembre, vous avez couvert chaque jour, le procès des attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et Hyper Cacher, qui ont fait 17 victimes. Pouvez-vous nous faire un décryptage ?

Laurence Goldmann : Ça a été un procès très long, difficile, dur, parfois âpre, souvent bouleversant, émouvant, parfois technique et juridique. C’est un procès qui n’aura laissé personne indifférent parmi ceux qui y ont assisté ou participé :

200 parties civiles représentées par quelques 80 avocats, une centaine de journalistes accrédités, les familles et proches des victimes, les avocats de la Défense. Ce fut un procès hors norme, c’est la première fois qu’on jugeait des attentats de cette ampleur sur le territoire national.

Ce procès a permis également aux familles des victimes et aux survivants de ces terribles attentats, de prendre la parole pour témoigner de ce qu’ils ont réellement vécu . Ils ont raconté les minutes au cours desquelles leurs vies ont basculé. Aujourd’hui, près de 6 ans après les faits, aucun des survivants n’a pu reprendre une vie normale, ils portent à jamais dans leur chair les stigmates de ces attentats . Je pense aux familles des 4 victimes de l’Hypercacher, à celles des policiers Ahmed Merabet et de Clarissa Jean-Philippe, et des journalistes de Charlie Hebdo, qui à la barre ont tous fait preuve d’un courage et d’une dignité qui ont bouleversé mais également forcé le respect de tous ceux qui étaient dans la salle d’audience. Est-ce que ce procès aura été un procès historique? l’avenir nous le dira. Ce qui est essentiel c’est que le rôle de l’islamiste radical et de sa composante djihadiste ont été mis en lumière dans la vague terroriste qui sévit dans notre pays.

Tribune Juive : 14 personnes ont été jugées, 3 par défaut. Que pensez vous de ces condamnations ?

Laurence Goldmann : Les 14 accusés et les 3 autres qui étaient jugés par défaut ont pris part à des degrés divers à l’élaboration de ces attentats mortifères. Ils ont tous été condamnés, c’est ça qui est important. Mohamed Belhoucine, le mentor religieux des Kouachi et de Coubibaly considéré comme mort en Syrie, a été condamné par défaut à la perpétuité. L’ex-compagne de Coulibaly, réfugiée en Syrie et Ali Riza Polat présenté comme le bras droit du tueur de l’Hypercacher déclarés coupables de complicité ont écopé d’une peine très lourde, 30 ans de prison. Ce dernier a fait appel de sa condamnation. Trois autres accusés, ont été condamnés pour association de malfaiteurs terroristes. Ils faisaient partie du premier cercle des très proches de Coulibaly. Faute de preuves suffisantes, la qualification terroriste a été écartée pour les autres accusés condamnés pour association de malfaiteurs. La Justice est passée. La force de notre état de droit est de réussir à combattre la barbarie avec les armes de la démocratie.

Tribune Juive : Que s’est-il réellement passé à Montrouge ? Y voit on plus clair ?

Laurence Goldman : On sait maintenant avec certitude que Coulibaly avait l’intention d’attaquer l’école Juive et le centre communautaire de Montrouge Yaguel Yaacov. Il avait d’ailleurs été aperçu la veille au soir par un témoin, rôdant aux abords de l’école. Son mode opératoire tel qu’il l’avait prévu ressemble très fortement à celui de Merah à Toulouse : une moto dont il avait fait enlever le traceur, les mêmes horaire : 8 heures du matin. Un accident fortuit de la circulation l’a empêché d’aller au bout de son projet terroriste et l’a conduit à tuer, de deux balles dans le dos, la jeune policière Clarissa Jean-Philippe. L’avocat du père de Clarissa, Victor Zagury a consacré sa remarquable plaidoirie à reconstituer ce qui s’est passé à Montrouge ce matin du 8 janvier 2015. Une histoire relayée par les autres avocats de la famille qui ont évoqué une héroïne qui a payé de sa vie pour que des enfants juifs aient été épargnés.

Sur les murs de l’école Yeguel Yaacov des dessins d’enfants sont affichés pour rendre hommage à Clarissa Jean-Philippe.

Tribune Juive : Le Président de la Cour d’Assises a abordé le caractère antisémite lors de l’attaque de l’hypercacher. Est-ce aussi dans ce procès la reconnaissance des intentions antisémites du terroriste ?

Laurence Goldmann : Pour des raisons purement juridiques, la circonstance aggravante d’antisémitisme n’a pas pu être retenue pour les anciens otages mais cela a été clairement énoncé dans les motivations du verdict. Il ne fait aucun doute aujourd’hui que les clients de l’hypercacher ont été visés uniquement et seulement parce qu’ils étaient juifs et se trouvaient dans une supérette cacher à quelques heures de l’entrée du shabbat. On a d’ailleurs retrouvé dans l’ordinateur de Coulibaly des recherches sur plusieurs restaurants et commerces cachers. Coulibaly était fortement radicalisé, férocement antisémite, les frères kouachi également. Michel Catalano, l’imprimeur héroïque de Dammartin-en-Goële otage des frères Kouachi a raconté à la barre que l’un des terroristes lui avait demandé s’il était juif. « Si j’avais répondu oui, je ne serais pas là aujourd’hui » a-t-il-dit. Cette reconnaissance de l’antisémitisme comme composante fondamentale de l’idéologie djihadiste, on la doit à la pugnacité des avocats des parties civiles de l’hypercacher tels que Patrick klugman, Elie korchia, Laurence Cechman, et tant d’autres qui, chaque jour, se sont battus bec et ongles pour que cette dimension antisémite soit reconnue. On doit également beaucoup à Richard Malka, l’avocat de Charlie qui a inclus cette thématique dans sa plaidoirie.

Tribune Juive : A peine ce procès fini, l’élection de miss France a été le déclenchement de tweets antisémites contre April Benayoum miss Provence ? Qu’en pensez-vous ?

Laurence Goldmann : Twitter est une caisse de résonance de toutes les haines. N’importe qui à l’abri derrière un pseudo, peut déverser sa haine de l’autre. Une fois encore l’antisionisme sert de couverture à un antisémitisme abject, dont cette jeune fille a été victime sur les réseaux sociaux. Le combat est bien loin d’être terminé. Ce procès des attentats de janvier 2015 aura permis, je l’espère, d’affronter en face une réalité, celle de la haine antijuive issue de l’islamisme radical. Désormais on nomme les choses mais on doit aussi les juger. Plusieurs associations, dont la Licra, ont annoncé leur intention de porter plainte contre les auteurs de ces tweets ignobles.

Sylvie Bensaid

 

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