Michèle Chabelski. Souvenirs Souvenirs ( XIII)

Bon

   Mardi

  Résumé des épisodes précédents

    L’effervescence des préparatifs du mariage pirate le quotidien.

   On a acheté les alliances, dont une carré qui préfigurait peut-être un triangle à venir, et on organisait les noces en grandes pompes et moi dans mes petits souliers.

   Papa avait diplomatiquement obtenu le certificat ouvrant les portes de la synagogue, j’ai nommé la validation du mikve, bain rituel purificateur qui avait sans doute purifié au passage la trésorerie paternelle.

   Belle-Maman s’était engagée à offrir le henné qui suivrait l’union administrative à la mairie.

   Je cherchais partout des informations concernant ledit henné, petite fête importée dans les valises marocaines.

   La suite

    Ce henné inconnu parasitait le plaisir des préparatifs.

   Ma belle-mère finit par expliquer qu’on ne nagerait pas dans le faste et l’opulence de certains hennés qui ressemblent à l’union d’un maharadjah et d’une princesse, mais qu’il s’agirait d’un dîner qui respecte la coutume.

   Mes filles adoreront le syndrome maharadjah …

  C’est quoi la coutume ?

   On applique un peu de henné sur la paume des mariés qu’on entoure d’un ruban rouge en faisant une prière.

  Et on offre en même temps une pièce d’or.

   Et le henné, il reste ?

   Oui. Il reste une marque pendant quelques jours.

     Je ne veux pas être marquée. Je ne suis pas une vache qu’on marque avant l’abattoir.

   Je m’ouvris à papa.

      Je ne veux pas y aller.

  Papa usait de toute sa force de persuasion et d’une patience qui eût été fort utile à certains plénipotentiaires envoyés en mission diplomatique.

    J’irai pas.

     Je sentais poindre le syndrome d’Iphigénie…

  Maman, un rien moins empathique, fit valoir qu’elle était bien occupée pour ne pas dire surmenée et que le moment était mal choisi pour lui imposer des emmerdements supplémentaires.

   Pardon pour la trivialité du vocabulaire, mais je me suis engagée, par contrat tacite et pourquoi pas reconductible, à ne rien vous cacher des joies et des drames qui ont émaillé cette confrontation de deux communautés unies en l’occurrence par l’amour de deux de ses enfants.

 Enfin.  Unies…

     Trois semaines avant le mariage, après un week-end un peu orageux, nous étions dans la voiture à discuter de va savoir quoi quand le ton monta et monta encore, et prit toute l’allure d’une dispute.

    Pas une petite dispute d’amoureux sous-tendue par le plaisir anticipé d’une réconciliation tendre dans des draps de soie.  Ou de tergal, on s’en fout…

 Non non.

Une véritable engueulade sous-tendue par une colère rouge qui déchira le rideau de la vérité devant nos quatre yeux atterrés : nous n’étions pas faits l’un pour l’autre.

   Cette évidence frappa la partie méditerranéenne au sang chaud, débordée par un bouillonnement de fureur, qui dans un élan d’égarement gara l’automobile, m’enjoignit de disparaître dans les meilleurs délais, ouvrit le coffre, en sortit mon sac, et repartit dans un fracas chtonien (cherchez dans le dictionnaire) …

   Et me laissa sur le bord du trottoir, comme un paquet déposé par un livreur d’Amazon un jour de confinement.

   Le souffle coupé, je pris un taxi pour rentrer chez moi, à la fois ulcérée et soulagée.

   Il était heureux que cette mésaventure prît fin avant l’officialisation religieuse et administrative.

  Papa !!!!

 Papa !!!!!!

    Je dus m’y reprendre à plusieurs fois pour expliquer la situation.

   Rupture

   Terminé

    Pas de mariage

   Papa me dévisagea.

   Et laissa tomber un

   Pas de ça Lisette

    Pas chez moi.

   Pas la veille du mariage.

    C’est pas la veille !!!!

    Presque…

     Tu ne vas pas me déshonorer de tes caprices débridés quand tout est prêt, que les invitations sont envoyées et que…

   C’est trop tard, je refuse d’être sali   par tes tocades, ce mariage aura lieu, vous vous aimez et…

    Je l’aime plus.

 Tu le re-aimeras…

  Et sinon tu prendras une décision après le mariage…

   Même son de cloche dans l’autre équipe…

   Je ne veux plus me marier, trop différents, trop jeune, écervelée.

    Même réponse

    Fallait y penser avant.

    Belle Maman voyait gambader le spectre de la non juive, dévoreuse de bons garçons juifs, et ne laisserait pas parasiter son œuvre par une dispute irresponsable.

  Les parents enfilèrent une aiguille, du fil, et dans une reprise approximative et moyennement solide recousirent les morceaux effilochés.

   Le mariage aurait lieu.

     Il eut lieu.

  La mairie était solennelle, les copains étaient venus nombreux et je portais un pantalon jaune surmonté d’un haut multicolore constitué de fils métalliques… une sorte de cote de mailles…

 Un truc genre Paco Rabanne, pas vraiment la tenue protocolaire d’un mariage civil…

   Mais jolie quand même…

     Les parents exultaient, ouf, on a eu chaud.

    Retour à la maison avant …

     Vous suivez ou quoi ?

       Ben avant le dîner henné…

        Je me déshabillai et me mis au lit avec un bon bouquin…

     Hé ! Michèle !

T’es prête ?

    J’y vais pas.

      Maman déboula dans sa robe turquoise…

     Tu plaisantes ?

    Nan. J’y vais pas. Pas envie…

     Arrivée de Papa, ivre d’une colère blanche.

    Personne ne te demande ton avis, tu as trois minutes pour t’habiller.

     J’y vais pas.

  J’ai mal aux dents.

    Un meurtre fut évité de justesse ce soir-là.

   Maman téléphona en affirmant que l’émotion m’avait terrassée et infligé une fièvre de cheval.

 Vache, cheval, tous les animaux de la ferme y passèrent.

   Papa déclara les dents serrées que nous étions maintenant mariés, et qu’il faudrait un avocat pour répondre à la procédure que Paul n’allait pas manquer d’engager…

   Ah !

 Je me souviens maintenant de l’origine de la dispute :

   Le report de nos retrouvailles suivantes pour cause de travail, de voyage, de…

    La coupe aux alibis et aux ruades réactionnelles se remplissait vite.

   Mes parents firent front et se rendirent au dîner incriminé d’où ma mère revint la main enrubannée de rouge.

   La coutume interdit aux mariés de se voir entre la mairie et le mariage religieux pour éviter les tentations libidineuses, ce qui servit notre différend dans un silence prétendument rituel …

On se faisait la gueule, mais ça ressemblait à une soumission contractuelle…

     Voilà.

  Vous savez maintenant pour le mikve.

   Vous savez pour le henné.

      Je vous en mets un peu plus ?

Ça fera juste un kilo…

   C’est vous qui voyez …

  Que cette journée signe l’espérance qui colore la frustration de vert…

   On se surprend à des interrogations sémantiques : c’est quoi, essentiel ?

    Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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2 Comments

  1. Cohen (Albert): le retour sous le pseudo de Michèle Chabelski . La saison 1 ,hilarrante . Woody ou Roman vont-ils le produire pour être sur Netflix à Roch Hachana 5782 ? Barouch Hachem ! A mehayim …

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