Yves Lusson. Vers une écologie sans le peuple

Yves Lusson
Fervent défenseur d’une écologie démocratique et populaire – en tant que Coordonnateur de la Convergence citoyenne pour la transition énergétique en 2011 et intervenant en Thérapie sociale TST depuis 2015 – je crains que la Convention citoyenne pour le climat, adoubée par Emmanuel Macron fin juin 2020, ne soit au contraire qu’une illusion démocratique qui risque de détourner le peuple de l’espoir d’un renouveau politique. Une récente pétition sur la plateforme Avaaz vient confirmer mes doutes.

Ce dimanche matin 15 novembre 2020, je reçois un mail d’invitation à signer une pétition lancée par Cyril Dion, le militant écologiste à l’origine de la Convention citoyenne pour le Climat… sur la célèbre plateforme de pétitions Avaaz : « Pour la première fois de l’Histoire, un président français a accepté de faire confiance à 150 citoyens tirés au sort, représentatifs de toutes les réalités du pays, nous explique l’idéologue de l’écologisme rompu à la communication médiatique et politique. Ils ont travaillé pendant 9 mois pour proposer des solutions, acceptables par tous, afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030. Mais discrètement, le gouvernement est en train de détricoter et d’affaiblir bon nombre de leurs mesures avant de les soumettre au vote formel des députés ou des Français. Signons tous pour qu’Emmanuel Macron respecte sa parole et soumette “sans filtre” les propositions de la Convention citoyenne pour le Climat au referendum et au Parlement. »

Ainsi, Cyril Dion prendrait ses distances avec Emmanuel Macron. Personnellement, j’ai du mal à y croire : je pense plutôt à une manœuvre politique concertée – ou tacite – qui pourrait finir par bénéficier à terme au Président lui-même et à sa politique mondialiste. Rappelons que la plateforme Avaaz qui diffuse la pétition a été créée en 2006 avec les fonds du milliardaire George Soros, défenseur d’une « société ouverte et sans frontières », et dont Macron serait – selon divers observateurs souverainistes – l’une des « marionnettes » en Europe. Pour l’ancien ministre Philippe de Villiers, interviewé en janvier 2020 par Valeurs Actuelles, George Soros veut « faire advenir la société de l’individu total qui se croit plus libre que jamais en se soumettant à la propagande marchande. Il veut un monde débarrassé des communautés d’histoire et de destin – les peuples –  au profit d’un espace informe de droits purs peuplés d’individus abstraits ». Pour parvenir à ses fins, le milliardaire n’hésite pas à arroser, à l’aide de sa fondation Open Society, de nombreux organes de presse et des associations de gauche (en France, Le Collectif contre l’islamophobie par exemple), les institutions européennes (Parlement, Commission européenne des droits de l’homme…), quand il ne fait pas de l’ingérence politique pure et simple.  

Dion et Macron, même combat sorosien et mondialiste au détriment de la souveraineté du peuple français ?  « Il est temps de tenir les engagements », demande donc gentiment Cyril à Emmanuel. Le décor est planté. Les deux acteurs vont jouer leur duo. Et nous dans tout ça ?  

Car voilà. En ce 29 juin 2020, notre président-communicant venait d’enfourcher son nouveau cheval de bataille, celui de l’écologie. Dans les jardins de l’Elysée, en ce 29 juin 2020, il fallait le voir tout sourire après avoir « embarqué » (pour reprendre ses mots) les 150 citoyens « tirés au sort » (en réalité soigneusement « castés » par un grand institut de sondage) de la Convention citoyenne pour le climat. Ceux-là venaient honnêtement et sincèrement de plancher durant neuf mois pour tenter de comprendre « les enjeux du réchauffement climatique » et pour rédiger une batterie de mesures qu’un bataillon « d’experts » triés sur le volet leur avaient plus ou moins inspirées.

Présentée par le Président lui-même comme un grand moment démocratique, je me questionne à la lumière de ma propre expérience. Car la démocratie, ça me connait un peu. D’abord pour avoir coordonné, durant l’été 2011, une aventure démocratique et populaire forte – la Convergence citoyenne pour la transition énergétique, à Lézan dans le Gard, à l’initiative des Comité nationaux anti-gaz de schistes, et à l’issue de laquelle fut rédigée la Déclaration de Lézan -, et aussi en tant que journaliste scientifique et social, devenu en 2015 intervenant en Thérapie sociale TST à la suite d’une longue formation auprès de son inventeur Charles Rojzman, m’amenant aujourd’hui à animer des rencontres citoyennes avec cette approche très spécifique et innovante.

Il faut le vivre avec ses tripes pour pouvoir comprendre ce qu’est la véritable démocratie ; le pouvoir au peuple. Eprouver la liberté – et la responsabilité – du peuple qui décider de son propre destin, qui le prend en main, qui le transforme. Etre ému de l’opportunité donnée à tous et à chacun de partir de ses VRAIS besoins, de ses VRAIES motivations, de ses rêves jusqu’aux plus inavouables, de les voir les confronter à ceux des autres et à la réalité pour pouvoir en imaginer ensemble et pas à pas du commun.

Selon moi, la vraie démocratie part du peuple et de sa propre expérience : elle donne à celui-ci la possibilité d’aller au fond de lui-même, de chercher par lui-même comment transformer à la racine – économiquement, politiquement, philosophiquement, médiatiquement… – la société afin qu’elle puisse répondre au plus près à ses besoins les plus profonds. Aux besoins des Gilets jaunes dans leur désir de liens, de justice sociale et d’amour, à ceux des Décroissants dans leur désir d’humanité, à ceux des défenseurs de l’artisanat local, du beau, du faire-soi-même, du faire-ensemble, du créer-ensemble, ici et maintenant, à ceux des partisans d’une reprise en main personnelle et collective des usages au quotidien partout dans les territoires.

La démocratie est dans la possibilité offerte à TOUS de trouver son rôle et de prendre sa place dans la société, de construire sa souveraineté dans sa propre vie, partout dans les communes, les quartiers, les associations, les entreprises, les familles, dans tous ces lieux où, selon le philosophe Jean-Claude Michéa, vivent les « gens ordinaires » : l’usine, l’atelier, la ferme, le bureau, l’école, l’hôpital… « Parce que ce sont ces territoires premiers qui constituent le principal lieu d’initiation à la vie commune, écrit-il* – laquelle inclut, entre autres, l’habitude de discuter avec le voisin ou le collègue qui ne pense pas forcément comme nous (une habitude qui se perd facilement, en revanche, dès qu’on se retrouve enfermé dans l’entre-soi d’une secte religieuse ou politique). Et donc l’un des lieux d’apprentissage privilégiés du débat démocratique et du dépassement au quotidien des « contradictions au sein du peuple » (on peut se demander ce qui resterait, en France, de l’esprit frondeur – le vrai – sans l’existence des cafés de quartier ou de village) ».

Prise d’otage ?

Ce qui m’inquiète avec la Convention citoyenne pour le climat, c’est la façon dont le peuple et la démocratie semblent avoir été pris en otage. Car le Président, dans son discours, a été clair : pas question de remettre en question le paradigme de la croissance économique et du productivisme – pourtant de plus en plus décrié aujourd’hui – transformant d’un coup les 150 citoyens représentatifs de la population française en représentants du système en place « à l’insu de leur plein gré » (comme dirait un célèbre cycliste populaire). Est-il honnête de draper de vertu démocratique une intention de repeindre en vert une offre politico-économique qui, pour de plus en plus de citoyens, est l’une des principales sources de leurs souffrances ? Pire, en nous présentant ce projet comme la plus belle des innovations démocratiques, en nous faisant croire que la démocratie, ça consisterait à caster 150 citoyens qui n’ont rien demandé, à les faire bûcher sur des sujets qu’ils ne connaissaient pas au départ (car plus ou moins éloignés de leur vie quotidienne), puis à convoquer, pour remédier à leurs méconnaissances, un ballet d’experts savamment choisis pour les amener à « bien penser », ne risque-t-on pas de susciter au sein du peuple un fort sentiment de dépossession, de trahison et d’abandon ?

Même les 150 citoyens, sont-ils heureux, au fond, d’avoir été embarqués quasi de force dans le projet d’une écologie qui continue à rapporter gros aux actionnaires tout en freinant l’imagination et la créativité populaires dans la vie quotidienne : une écologie de consommation, mondialisée, super industrielle, super technologique, non-maîtrisable, aliénante, liberticide ? Une écologie qui par exemple incite encore et toujours à la production et à la consommation de masse de voitures électriques dites « propres » (ça, d’ailleurs, ça reste à prouver) au lieu de donner aux gens la possibilité de réinventer ensemble, en intelligence collective et à partir de leurs propres réalités, de leurs propres valeurs, identités culturelle et historique, une société qui se libérerait peu à peu de l’idéologie consumériste, voire addictive, de la voiture ?

Qu’est-ce qu’une démocratie revivifiée si elle ne nous donne pas à mieux accueillir la réalité, la liberté, l’incertitude, l’inquiétude, le sensible, la responsabilité de soi, de l’autre, de son prochain, et de la nature ? Pour moi elle se vit là où un cadre est installé et un travail est fait** qui permet d’installer une vraie confiance entre les protagonistes, de faire circuler l’information, de croiser les points de vue et les expériences personnels, de faire vivre en sécurité des conflits créatifs et constructifs sur une multitude de sujets de la vie de la cité. C’est ainsi qu’elle nous permet, surtout, de partir librement de soi, de nous, de la réalité, de nos expériences individuelles et collectives, de ce qui nous anime au plus profond de nous-mêmes, pour pouvoir oeuvrer ensemble à des transformations en profondeur, en nous, autour de nous, dans nos relations, nos cadres de vie, non pas en appliquant des modèles préconçus ou prétendument supérieurs, mais en en inventant de nouveaux ensemble.

© Yves Lusson

*Jean-Claude Michéa, Notre ennemi le capital, Ed. Champs Essais Flammarion

**C’est le cas du travail proposé dans les interventions en Thérapie sociale TST

Yves Lusson est journaliste et intervenant en Thérapie sociale TST

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