François Morel. Quand le quotidien d’hier devient … nos rêves d’aujourd’hui

François Morel

 Je me souviens, le premier confinement, je ne l’avais pas mal pris. Il avait fait beau, on mangeait dehors. Je dinais à heure fixe, ça me changeait. Je réussissais à perdre du poids. J’écrivais. J’ai travaillé mais de manière différente. J’ai regardé des séries. Et puis surtout, j’ai profité de mes proches. Ce fut une parenthèse pas désagréable. Tous les soirs à 20h, comme tout le monde, j’applaudissais le personnel hospitalier. Je me disais que ce n’était pas si mal un pays qui, plutôt que son économie, privilégiait notamment la vie de ses vieux.

Le deuxième confinement, j’ai moins aimé. D’abord, plutôt que vers le printemps, on allait vers l’hiver. On était un peu démoralisé. On se demandait combien de temps ça allait durer, s’ils allaient bientôt réussir à trouver un vaccin. Le soir, à 20h, on n’applaudissait personne. C’est pas quand on met les radiateurs qu’on va ouvrir les fenêtres en grand.

Le troisième confinement, c’est là que l’explosion de la vente des chiens a explosé. C’était encore le meilleur moyen de justifier les promenades en forêt. Ceux qui n’avaient pas les moyens de s’acheter un chien s’achetaient juste une laisse. Quand ils croisaient des gendarmes, ils se mettaient à courir la laisse à la main en criant Sultan ! Sultan ! Reviens ! Reviens Sultan, reviens !

Le quatrième confinement, c’était l’anniversaire de la mort de Samuel Paty. Certains ont eu l’idée, (ça partait d’une bonne intention),  d’applaudir tous les soirs à 20H les professeurs des écoles, des collèges, des lycées. Ça a fait des polémiques. Certains ont pensé que ça pouvait passer pour une provocation.

Le cinquième confinement, je ne m’en souviens plus trop. Je crois que j’ai commencé à boire le premier jour et je suis resté torché pendant les six semaines. Je buvais. Parfois, je vomissais pour faire de la place. Puis je rebuvais…

C’est surtout à partir du sixième confinement que j’ai repris du poids.

Je me souviens que entre le septième et le huitième confinement, je ne suis même pas sorti de chez moi, j’avais perdu l’habitude.

Pendant le neuvième confinement, en ouvrant la fenêtre, j’ai le voisin d’en face qui travaille dans le BTP qui m’a crié: “Vu votre nouvelle silhouette, vous devriez peut-être faire élargir vos portes au cas où vous auriez envie de ressortir de chez vous entre les deux prochains confinements”. “De quoi je m’occupe ?” j’ai répondu en refermant la fenêtre.

Le dix-septième confinement, je me souviens, on a regardé plein de films, des vieux trucs, des comédies sentimentales. Les enfants étaient quand même étonnés, ils ne comprenaient pas quand ça finissait bien, pourquoi le monsieur et la dame, se sentaient obligés de se frotter la bouche l’une contre l’autre, parfois même de sortir la langue en guise de contentement ? “C’est dégueulasse, ils disaient, c’est pas hygiénique et puis ça sert à rien…”
On ne leur répondait pas trop, on avait peur de passer pour des parias, on avait de la nostalgie…

Voilà. J’arrive bientôt à mon vingt-troisième confinement. D’une certaine manière, ça passe vite la vie confinée quand on est dans la torpeur.
Pour les jeunes, on est des dinosaures. Ils nous demandent: “Mais avant quand ça n’existait pas les confinements, qu’est-ce que vous pouviez bien faire toute la journée à traîner dehors ? Et pourquoi vous étiez obligés d’être en présentiel pour prendre un apéro avec des potes alors qu’avec Zoom c’est tellement plus pratique ?

On fait comme si on n’entend pas.
On attend la nuit pour pouvoir faire des rêves de baisers, de poignées de mains, d’étreintes, de terrasses, de cinémas, de théâtres. Nos rêves d’aujourd’hui, c’était le quotidien d’hier.

© François Morel

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