Manuel Valls, l’ami d’Israël

Manuel Valls : «Par ses insultes envers la France, Erdogan se fait le chantre de l’islamisme radical»

TRIBUNE – S’agissant du Moyen-Orient, la France doit adapter sa politique étrangère aux réalités nouvelles que chacun peut observer, argumente l’ancien premier ministre.Par Manuel VallsPublié hier à 17:08

Manuel Valls, le 23 octobre.
Manuel Valls

Depuis plus de trente ans, le Moyen-Orient traverse des crises, des chocs et des ruptures. L’effondrement du bloc soviétique a consacré les États-Unis comme seule hyperpuissance ; les attentats du 11 septembre 2001 et l’avènement du terrorisme islamiste globalisé, avec al-Qaida et l’État islamique, ont bouleversé l’islam, les équilibres du monde et de la région. Les printemps arabes, avec leurs espoirs et leurs échecs, ont souligné la friction permanente entre aspirations démocratiques parfois fragiles et crispations autoritaires, identitaires, extrémistes.

La menace iranienne

Le Moyen-Orient est en pleine recomposition. Les causes et les conséquences sont multiples : l’effondrement de l’Irak après l’intervention américaine, puis du Yémen et de la Libye ; le drame syrien et l’exode de plusieurs millions de réfugiés, causant la plus grande situation d’urgence humanitaire de notre ère ; la quasi-disparition, dans certains pays, des chrétiens présents depuis toujours ; l’abandon par les Occidentaux, une nouvelle fois, des Kurdes qui avaient été les seuls à lutter sur le terrain contre les islamistes; le clivage ancestral sunnite – chiite plus que jamais exacerbé. Le grand bénéficiaire de ces bouleversements est l’Iran qui a bâti un arc chiite et imposé des protectorats en Irak, en Syrie et au Liban. Les velléités nucléaires et la prolifération balistique du régime des mollahs s’imposent aujourd’hui comme la principale menace sécuritaire régionale, et au-delà. À ce titre, la levée de l’embargo sur les armes à destination de l’Iran doit tous nous inquiéter.

Une nouvelle donne

Les lignes de front se multiplient et le conflit israélo-palestinien apparaît donc, malgré la guerre larvée entre Israël et le Hamas à Gaza, comme un contentieux local, de basse intensité. À l’évidence, les anciens empires, perse, ottoman, russe, cherchent à retrouver leurs rôles dans la région. Malgré un désengagement progressif, débuté sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis continuent, à travers leurs relations privilégiées avec Israël et l’Arabie Saoudite, à peser. On le voit avec le plan Trump-Kushner qui a incontestablement fait bouger les lignes. L’Europe reste en grande partie absente car elle n’est pas une puissance militaire, elle est divisée et sans vision dans cette partie du monde. Elle est également soumise au chantage des réfugiés de la part de la Turquie.

Sortir d’une tradition diplomatique obsolète

Et la France, engagée courageusement dans la région contre l’État Islamique comme au Sahel, jouant de tout son poids politique au Liban pour aider le pays à sortir de la crise, démontrant la plus grande fermeté face à la Turquie, ne s’est pourtant pas défaite, sur la question israélo-palestinienne, d’une tradition diplomatique obsolète. Il est urgent d’en sortir. La formule visant « la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale des deux États » est caduque. C’est une langue morte. Les accords d’Oslo et leurs conséquences, l’évolution des rapports de force, la nouvelle donne géopolitique rendent tout retour en arrière impossible. Par crainte d’une rupture avec le monde arabe et les Palestiniens, paralysée par les passions qu’agite ce conflit jusque dans notre pays, la diplomatie française s’est figée. Nous avons pourtant les atouts — la culture, l’histoire, la connaissance de la région, une relation de confiance établie avec les Palestiniens — pour proposer. Car la paix ne tient pas au succès d’un numéro d’équilibrisme, ce n’est pas non plus un arbitrage moral mais l’entrée consentie dans un nouveau paradigme.

Jérusalem capitale d’Israël

C’est pourquoi je crois que la France doit désormais reconnaître que Jérusalem est bien la capitale d’Israël. Depuis la déclaration de David Ben Gourion à la Knesset en 1949 jusqu’aux reconnaissances internationales aujourd’hui, ce mouvement est irréversible. La protection des lieux saints des trois grandes religions monothéistes doit bien entendu être garantie. Nous devons encourager la création d’un État palestinien. C’est aussi dans l’intérêt d’Israël et indispensable pour bâtir une paix durable. Mais encore faut-il dénoncer l’absence de processus démocratique et la corruption qui gangrènent l’Autorité palestinienne, mettre un terme à l’illusion du retour des réfugiés, exiger des dirigeants palestiniens la condamnation du terrorisme et de l’incitation à la haine, et leur conseiller de négocier avec les Israéliens sur de nouvelles bases territoriales. La diplomatie exige, aussi, du parler vrai.

Après la paix signée avec l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994, une normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes est en cours : les Émirats arabes unis et Bahreïn il y a quelques semaines, le Soudan hier et d’autres qui suivront demain. C’est l’aboutissement du rapprochement avec Israël face à la menace iranienne. C’est, surtout, la réaction aux mutations économiques et la nécessité pour ces pays de penser l’ère post-pétrole en développant des coopérations avec Israël, « start-up nation », partenaire d’innovation incontournable. C’était le rêve de Shimon Pérès : bâtir la paix autour du savoir et de la recherche. La France, forte d’une alliance stratégique, de sécurité et de défense avec les Émirats arabes unis, doit accompagner ce mouvement car il l’engage. Il est porteur d’espoir pour la région et pour nous-mêmes : des sociétés que l’on croyait pieds et poings liés à une tradition archaïque multiplient les signes d’ouverture et s’autorisent le dialogue avec d’autres identités, d’autres valeurs. Ne soyons pas naïfs, cela mettra du temps mais c’est une bonne nouvelle.

Ici et là-bas : même combat

Oui, enfin, de l’évolution des rapports de force au Moyen-Orient dépend aussi notre avenir. Nous le voyons à nos portes, en Méditerranée et en Libye, face aux agissements de la Turquie – étrange partenaire de l’OTAN – et de son président. Par son refus de condamner sans ambiguïté l’attentat terroriste de Conflans , par ses insultes à l’égard de la France, le président Erdogan, nouvelle référence des Frères musulmans, se fait aujourd’hui le chantre de l’islamisme le plus radical. Nous le voyons ailleurs dans la région. Nous le savons, car nous devons être lucides, l’Arabie Saoudite, sponsor international de l’islam radical issu du wahhabisme, ou encore le Qatar, plateforme de flux financiers en direction de groupes terroristes, promoteur des Frères musulmans dont de nombreux imams en France se réclament, ont pesé lourd sur ce qui s’est passé au cours des dernières décennies. Les États où se multiplient aujourd’hui les appels au boycott de produits français en réaction à la promesse du président de « ne pas renoncer aux caricatures » délimitent très clairement le camp de ceux qui au Moyen-Orient mènent ou soutiennent le combat contre nos valeurs. L’islamisme est une menace globale et stratégique qui affecte nos relations internationales et impacte directement notre modèle républicain. Ce qui nous menace, ce contre quoi nous luttons, le terrorisme islamiste, n’a pas de frontières. Échappons à cet inconscient sans doute hérité de la colonisation qui nous conduit parfois au relativisme. Il nous faut de l’audace et de la clarté. Nous devons parler le même langage ici et là-bas. À Beyrouth, les Libanaises et les Libanais l’ont clamé dans la rue en prenant tous les risques. Sur la scène politique comme sur le terrain militaire, le Hezbollah, littéralement le « parti de Dieu », porteur d’une idéologie mortifère, antisémite, utilise la terreur comme seule arme. La France et l’Union européenne doivent désigner cet acteur pour ce qu’il est : une organisation terroriste.

Une alliance stratégique

Passons d’une diplomatie traditionnelle à une diplomatie de résolutions, à l’avant-poste de la réalité politique et des évolutions géopolitiques. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle mais de défendre le nôtre, nos valeurs, nos intérêts, avec force. Il s’agit aussi de renforcer nos alliances. Trop souvent réduite au seul poids que la Shoah a laissé sur la conscience européenne, notre relation avec Israël doit s’affirmer sur tous les champs car elle est bien plus profonde. Elle tient au partage de valeurs et d’une vision commune du monde, du progrès, de la modernité, de l’humain. C’est une alliance stratégique qui ne se suffira pas de beaux discours : il faut la traduire en actes.

Le monde a changé. Le Moyen-Orient a changé. L’action de la France dans la région doit impérativement, elle aussi, faire sa mue. Nos destins sont liés. La France doit oser !

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