Lydie Burillo. Juifs et Déportés familiaux utiles (2)

Je vous fais la totale ? Vous voulez connaître la suite ?
Alors… Maman maintenant.
Bien que juive… ça sera plus léger. Si si promis.

Une famille multiculturelle et humaniste
Je cumule !… Juive par ma mère mais sans éducation religieuse, à vrai dire carrément athée, non communautariste et autres babioles, plus fille de déporté Républicain Catalan Anarchiste ! Beau palmarès non ?!
Cerise sur ce gâteau déjà bien garni : tante adorée allemande, ramenée d’Allemagne après la guerre par mon oncle maternel, soldat dans les troupes d’occupation à Sarrebrück.

Imaginez le drame qu’a vécu ma famille maternelle  juive quand le fils est revenu d’Allemagne avec une Allemande (certes élevée par une mère profondément anti nazis) !
Mon oncle a été renié, les parents ne voulant plus le voir.
C’est Maman, donc sa sœur, qui est parvenue à réconcilier fils et parents… car celle-ci et sa belle-sœur allemande se sont de suite adorées, plus encore que deux sœurs de sang. Comme par la suite, Papa, ancien déporté, et ma tante allemande s’adoreront aussi.

Etoile et rafle de Caen
Maman a porté l’étoile. Pas le choix. Pas comme certaines filles musulmanes qui se stigmatisent elles-mêmes… Elle n’était pas une toute petite fille ne comprenant pas vraiment ce que cela impliquait. L’étoile, parce que juive… elle savait ce que cela signifiait vraiment, car elle était ado et en âge de comprendre.

Elle a échappé aux camps. Oh, de justesse, car elle fait partie des trois seules jeunes filles juives de Caen a avoir échappé à la grande rafle, celle qui a balayé toute la ville !
Parisienne, ses parents l’avaient envoyée chez une amie de la famille, qu’elle considérait comme étant sa tante, et qui vivait donc en Normandie… en pensant qu’elle y serait plus en sécurité. Cette dame avait deux filles.
Un jour les nazis ont débarqué, la tante a de suite compris et ” occupé ” ces derniers avant d’ouvrir, le temps que les filles s’enfuient par derrière, via le jardin. Elle s’est sacrifiée pour les trois gamines.
Maman se rappelle juste d’avoir couru, couru, couru. Longtemps, hors d’haleine. Elle ne sait plus où elles ont fini… Par contre, elle se rappelle du titre du journal annonçant que trois jeunes filles étaient parvenues à s’échapper. Les trois seules survivantes de la rafle de Caen…

Les cousines furent cependant arrêtées plus tard, longtemps après, alors que Maman était rentrée chez ses parents. L’une des jeunes filles bravait les interdits et cachait son étoile pour aller au cinéma… mais un jour, elle s’est faite repérer.
L’une d’elles est revenue… stérile, après avoir été l’objet d’expériences…
Quant à sa sœur…

Peurs et angoisses nocturnes
Les résultats de tout ça…
Je ne supporte pas la moindre scène de souffrance… qu’elle soit physique comme suggérée… qu’elle mette en scène des humains comme des animaux… qu’elle soit issue de l’actualité (et contre ça, ne pas avoir de télé mais suivre la presse écrite est un excellent remède) comme de fictions. Je zappe tous les écrits décrivant une quelconque violence, souffrance.

J’ai peur du noir au point d’avoir plus peur du cercueil que de la mort elle-même… l’idée d’enfermement m’est intolérable. Même mort. Vive la crémation à l’indienne ! (paradoxe quand son père aurait pu partir en fumée…)

J’ai peur de la mort de manière irraisonnée, au-delà de la peur naturelle… une obsession journalière pour ce qui est de mes proches, humains comme animaux. Et ce, depuis toujours, parce que je suis née entourée de récits de souffrance et de morts…

Amour et joie contre souffrance et souvenirs
Ne vous méprenez pas. Mon enfance a été joyeuse. Papa ne chialait pas sur son passé. Il riait beaucoup, plaisantait, aimait la vie, était fou amoureux de Maman qui le lui rendait bien. J’ai vécu entourée d’amour… tout en sachant, parce que ça avait été répété régulièrement que, si j’étais enfant unique, c’est parce que Papa craignait pour sa santé et ne voulait pas prendre le risque de laisser une jeune veuve avec plusieurs enfants… les années de camp ayant précarisé sa santé.
Tout ce que j’ai entendu, tout ce que je sais… jamais il ne s’en est aperçu, car je dissimulais parfaitement mes émotions, jouant à merveille l’insouciance de celle qui n’écoute rien, n’entend rien, et même… s’en fout.

Sentiments cadenassés
Après le décès de Papa (j’avais 31 ans), qui a fini par mourir des conséquences de ses années en camp de concentration (et lui, n’a pas arrangé les choses en étant fumeur malgré l’incessante guerre que lui faisait Maman à ce propos), Maman et moi nous sommes disputées très très fort, au motif que je ne disais rien, n’exprimais rien, ne l’aidais donc en rien et pire, que j’évitais d’aller au cimetière, car y aller rendait plus réel son décès (c’est d’ailleurs toujours le cas). Alors qu’elle avait besoin de parler. De parler de son amoureux absent pour toujours, de cette blessure dont elle ne guérirait jamais.
Grâce à cette mémorable engueulade entrecoupée de sanglots dévastateurs, elle a enfin entendu et accepté que j’étais incapable de parler de mort, tant de celle des disparus que de celle, forcément à venir, des vivants… donc, que je ne parlais pas des gens décédés, non par désintérêt, mais par souffrance. Et surtout, elle a accepté le fait que chacun réagit comme il peut… et non comme l’autre le souhaite.
Je ne lui ai jamais expliqué d’où me vient cette incapacité à extérioriser… mais du moment qu’elle respectait mon attitude, c’était suffisant.

Personne ne sait rien, personne ne peut comprendre !
Maintenant, qu’un seul parent de déporté ou/et de juif, qui ne soit pas l’enfant de la personne qui a vécu les atrocités ose dire qu’il sait, qu’il est légitime à la ramener… parce que non, il ne sait rien de ce qu’est être fils ou fille de déporté, de le vivre au quotidien dès sa naissance.
Et moi-même… je ne sais rien de ce qu’a vécu mon père. Je ne connais que la souffrance de la souffrance de Papa…


A la mémoire de Maman décédée à 91 ans il y a quelques semaines…
De Papa, parti trop tôt à 70 ans… laissant Maman inconsolable.
De ma Tante Wally adorée, décédée l’année passée à 90 ans…
Et de mon Oncle Jacques, parti aussi trop tôt il y a une quinzaine d’années.
J’espère que ce quatuor, qui s’est adoré, danse aujourd’hui ensemble et se marre à nouveau.
Ils me manquent tant…



© Lydie Burillo
Simple militante laïque

Plusieurs vies, du Droit à l’Insertion via la Communication


Et comme je l’ai déjà expliqué hier,
mon histoire familiale l’exigeant, je tiens à continuer à faire partie de la résistance actuelle… d’où le partage de caricatures de Charlie !

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