Jacques Neuburger. Comme une petite… “agression”

Mésaventure presque banale désormais.

Je possède dans la copropriété une grande partie du jardin, tout ce qui est devant chez moi.

Il y a une entreprise de jardinage qui vient périodiquement faire un peu d’entretien pour ce qui est élagage, taillage des haies, taillage des arbres qui peuvent l’être, tonte du gazon et taille des rosiers. Entreprise tenue par un chic type pas con et qui tente de donner leur chance, entre ses jardiniers réguliers, à quelques migrants, quelques personnes souffrant d’un handicap et même parfois à des gars sortis de taule.

A l’heure du premier café-biscotte

Quelle n’est pas ma surprise ce matin, à l’heure du premier café-biscotte, de voir soudain un grand bougre (que je m’interdis de décrire plus avant) en train, sans m’avoir demandé si il y avait quelque chose à faire, de se mettre à totalement massacrer mes rosiers!!!

Je me permets donc, plutôt gentiment, de le prier de cesser illico presto de tailler mon rosier à la manière de Monsieur Hulot dans Mon oncle de Tati – mais avec plus de brutalité que Monsieur Hulot qui est certes dans la lune mais plein de bonnes intentions.

Me découper telle une volaille sur la table du dimanche

Le gars, en un parler pas totalement intelligible pour moi hormis quelques termes que, hélas, j’ai cru comprendre, (j’ai étudié un petit peu la grammaire akkadienne et même le sumérien, lequel est une langue agglutinante semi-ergative comme chacun le sait, et même un tout petit peu le quechua qui est une langue agglutinante à accents d’intensité – mais certaines langues me sont totalement étrangères – surtout proférées avec cris, gesticulations et violence) m’injurie, me hurle violemment dessus et brandit le sécateur face à mon visage et ma poitrine comme s’il avait l’intention de me découper telle une volaille sur la table du dimanche.

N’ayant plus l’âge ni surtout la force de le désarmer (car un sécateur, tout comme un hachoir ou un couteau à peler les pommes, peut se muter en arme) j’ai battu prudemment en retraite, en lui disant quand même ma façon de penser et, mettant mes chats à l’abri, j’ai baissé les volets.

Bien évidemment, j’en ai conclu que ce ne pouvait être qu’un “fou”: on me sussure qu’en effet il y aurait épidémie de folie.

Et naturellement j’ai aussitôt téléphoné à son patron. Ce ne serait pas période à rester plutôt chez soi, je crois même que je m’en serais allé bien volontiers porter plainte.

Cette petite agression…

Cette petite agression, car il faut bien appeler un chat un chat et un sale type un sale type, m’a légèrement secoué – même si, à défaut d’en avoir conservé la force, il me reste un peu du flegme et de la détermination du chasseur alpin.

Évidemment, un peu comme furent écrites Les mésaventures de la vertu, on pourrait aujourd’hui écrire quelque chose comme Les mésaventures de la gentillesse et de l’ouverture (ceci pour son patron, un vraiment brave type qui chaque année a cette volonté de tenter de donner un coup de pouce à des mecs en marge de la société)…

Une question turlupine un peu ma cervelle

Quand même, à y repenser, et même cette question turlupine un peu ma cervelle, je me suis demandé si ma gueule avec sa barbe et ses lunettes, mon parler doux et gentil, et de l’autre côté de la fenêtre ma demeure emplie de livres et de pianos, n’y auraient pas été pour quelque chose.

Je dis cela parce que aujourd’hui on aime bien savoir (on= je veux dire les journalistes, les avocats, les magistrats, les braves gens, les “téléspectateurs”- cet objet linguistique étrange qui semble s’être sournoisement substitué à la notion apparemment désormais désuète de citoyens et de concitoyens) “comprendre les motivations” des criminels, on aime bien “entendre leurs justifications”, le psychologique et le compassionnel (le compassionnel pour l’assassin, pas le compassionnel pour la victime, idée désuète: le compassionnel a été abandonné aux foules en pleurs déposant des bougies ou des fleurs, des nounours ou des petits mots – à seule condition que la victime soit une “bonne victime” aux yeux du peuple en larmes) s’étant imposés aux esprits même bons en place de l’effort de définition et de jugement du crime sur des éléments purement factuels.

Ou bien parce que je suis paranoïaque – ce qui serait, me dit-on, chez les individus portant lunettes, barbe, chapeau – et qui ont, en nombre, des livres chez eux.

© Jacques Neuburger

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

1 Comment

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*