« Ces visages apeurés qui devinent le terme … »

Le Covid tue implacablement. Ne baissez pas la garde. Protégez vous, protégez les autres.

Rabbin Gabriel Farhi

Lisez ce témoignage bouleversant du courageux rabbin Gabriel Farhi aumônier à l’Hôpital Georges Pompidou à Paris, qui doit chaque jour accompagner des mourants et des familles endeuillés.

Bravo à lui pour son dévouement aux côtés des personnels hospitaliers pour apporter un peu d’humanité face à ce virus qui tue implacablement dans la solitude.

Journal d’un simple aumônier d’hôpital

42eme jour de confinement…

Je ne me souviens plus du « Jour 1 ». Mes souvenirs remontent au plus à une semaine en arrière. Mon seul point de repère est ce vaste hôpital niché entre la Place Balard, le Pont Mirabeau et France Télévisions. J’ai déserté depuis longtemps l’entrée principale pour favoriser la rampe d’accès aux urgences entre les locaux techniques et la chambre mortuaire. Cet hôpital qui grouille de monde à l’image d’une petite ville est étrangement calme. Le personnel y est nombreux, chacun y jouant sa partition. Les machines à café sont désertées tel un luxe que l’on ne peut plus s’offrir, faute de temps et de distanciation sociale. Quelques soignants font une courte pause à l’extérieur s’asseyant à même le sol à l’entrée des urgences en observant le flot incessant des ambulances qui se croisent. « Pompidou » semble tout entier dédié à la prise en charge de la pandémie. Je m’interroge et me demande où sont passés les patients qui viennent pour une consultation de suivi, les sans-abris qui restaient de longues heures dans l’allée centrale. Il apparait comme s’il n’y avait plus que trois services: les urgences, les multiples unités de réanimation et les soins intensifs.

Retour en arrière. Mon téléphone reste constamment allumé. Lorsque le numéro commence par un « 015609 » je sais que l’hôpital m’appelle. C’est souvent un cadre de santé ou un interne pour me signaler la présence d’un patient qui arrive en fin de vie en réanimation. Et toujours cette même question qui m’est posée, la seule: « Vous pouvez être dans le service dans combien de temps »? Lorsque cette phrase est prononcée, la suite est connue. Il faut débrancher un patient qui ne peut plus lutter et qui est maintenu artificiellement en vie, il faut aussi « libérer un lit ». Alors on se dit que l’aumônier peut faire le lien entre les soignants et les familles pour accompagner cette douloureuse décision. La semaine dernière un médecin m’a dit qu’il considérait que je faisais partie de « la chaine de soins », peut-être pour me réconforter ou me responsabiliser, je ne saurais le dire.

Depuis 20 ans que je suis attaché à l’hôpital Pompidou mes visites étaient peu nombreuses, tout au plus 3 à 4 fois par mois, il s’agissait de régler des problèmes de casherout, de réconforter des patients isolés, de préparer le Shabbath avec des patients pieux, rien de plus vraiment. C’était presque simple, en tout cas le prolongement logique de ma fonction rabbinique.

Plus rien n’est et ne sera comme avant. Je sais à présent comment m’équiper face à un malade Covid, la blouse, la surblouse, les gants, le masque, les lunettes de protection, la charlotte, les sur-chaussures, et le gel hydroalcoolique avant, pendant, après. Et puis il faut retirer tout cela selon une procédure précise qui n’est jamais mécanique tant elle demande d’attention pour ne pas ramener le virus à la maison.

Ad mataï ? Jusqu’à quand ?

Jusqu’à quand allons nous voir ces regards plantés dans le vide, ces visage apeurés qui devinent le terme d’une existence avec une vitesse fulgurante ? Je ne sais pas si chacun mesure ce qui se passe…

Le 11 mai ce sera le déconfinement pour nous…et pour le virus aussi qui pourra se propager plus facilement encore. Je n’en peux plus de ce que je vois, je suis fatigué. A 20h j’applaudis les soignants, comme vous. Vendredi dernier, quitte à passer pour un fou, après 2 heures en réanimation j’ai applaudi, seul, des infirmières visiblement épuisées mais jamais découragées. L’une d’entre-elles a pleuré derrière sa visière de protection et j’ai compris ce besoin de reconnaissance. Lorsque vous applaudirez ce soir pensez à une infirmière, une aide-soignante, un interne, un médecin qui un jour s’est trouvé à votre chevet ou celui d’un proche. Pensez à cette seule personne et applaudissez-la de toutes vos forces.

Alain Chouffan

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