Stéphanie Zitoune Isidor. Sang cinquante

En hommage à toutes ces victimes de feminicides… La liste s’allonge tellement vite.

Je sens ses mains sur ma peau. Son souffle sur mes paupières. Me reviennent des images. J’ai dix ans. Je promène mon regard naïf sur le monde. Je dévale la grande pente des Buttes Chaumont. Goût d’herbe dans ma boucheÉclats de rire avec mes frères.Je sens mon corps fébrile face à son étreinte virile.

J’ai vingt ans

J’ai vingt ans. Je promène mon regard naïf sur le monde. Les hommes me désirent. Je ne suis plus une enfant. Ils caressent mes boucles brunes. Et moi je me laisse faire. Goût suave dans ma bouche. Éclats de peaux à peaux. Je sens ses mains agripper mes poignets.

J’ai trente ans

J’ai trente ans. Je promène mon regard naïf sur le monde. Je me suis mariée. Un homme taiseux et blessé. Une envie de le réparer. Et peut être qu’un jour il pourra m’aimer qui sait ?

Goût d’espoir dans ma bouche. Éclats de sanglots très bientôt. J’ai le souffle coupé.

J’ai trente-cinq ans

J’ai trente cinq ans. Je promène mon regard naïf sur le monde. J’ai deux filles magnifiques A qui je dis souvent quand elles jouent dans leur chambre de bien fermer leur porte pour être tranquilles.

Goût du secret. Éclats d’arcade sourcilière. J’ai ses mains sur mon cou.

J’ai quarante ans

J’ai quarante ans. Je promène mon regard naïf sur le monde. Ce soir j’ai brûlé le repas. Immangeable Intolérable Impardonnable. Goût de sang dans la bouche. Éclats d’étoiles. Tout chavire. J’entrouvre mes lèvres pour un ultime appel. Je veux crier pour la première fois

Au secours

Un “Au secours “prononcé, très vite mort né. Il s’en aperçoit. Ses mains serrent davantage ma gorge. Mes mots aussi sont étranglés. Je n’ai pas réussi à hurler. Je n’ai toujours fait que murmurer. Par honte. Par mésestime de moi. Mes cris intérieurs ne sont restés que coincés, chevillés à mes ecchymoses.

Hurlez pour moi. Je serai le numéro 150 de cette longue liste de femmes assassinées

Portez-les s’il vous plaît demain. Hommes et femmes, hurlez pour moi Qui n’ai jamais su me mettre en colère.

150

Demain, je serai le numéro 150 de cette longue liste de femmes assassinées sous les coups de leurs conjoints ou ex conjoints.

Soyez mon porte- voix. Moi qui ai toujours dissimulé mes douleurs pour ne pas faire de mal à ceux que j’aimais.

Criez mes gémissements

Exposez mes plaies béantes

Battez le pavé de mes maux avec vos mots.

Soyez mon Cri. Un cri fort et puissant, fier et douloureux. Un cri constitué de tous ces non-dits, ces plaintes muettes, ces blessures cachées.

Pour moi qui promenais mon regard naïf sur le monde.

Stéphanie Zitoune Isidor

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