Comment les Tunisiens vivent-ils la crise sanitaire

Le pays, déjà en proie à de graves difficultés économiques, est fragilisé par la pandémie mondiale de coronavirus

Une femme porte un masque de protection à Tunis. Zoubeir Souissi / REUTERS
  • Pour l’heure, la Tunisie a identifié officiellement par des tests 628 malades et déplore 24 décès du Covid-19.
  • Le gouvernement a mis en place le confinement le 22 mars, ainsi qu’un couvre-feu de 18h à 6h du matin, une situation très difficile à vivre pour les Tunisiens.
  • Les familles les plus précaires sont en proie à de graves difficultés financières. Car en Tunisie, les travailleurs journaliers qui occupent de petits jobs sont légion.

Après la révolution de Jasmin, les attentats survenus ces dernières années, la chute drastique du tourisme, la Tunisie relevait un peu la tête. Mais la pandémie mondiale de coronavirus est venue brusquement lui couper les ailes. Pour l’heure, le pays a officiellement identifié par des tests 628 malades et déplore 24 décès du Covid-19.

Et pour limiter la propagation du virus dans ce pays aux infrastructures sanitaires fragiles, le gouvernement a mis en place le confinement le 22 mars, ainsi qu’un couvre-feu de 18h à 6h du matin, qui sera en vigueur au moins jusqu’au 19 avril. « Les Tunisiens voient ce qui se passe en Italie,  en Espagne et en France, et se disent que si des pays industrialisés sont débordés par cette crise sanitaire, ce n’est pas rassurant pour la Tunisie, qui possède environ 300 lits de réanimation sur l’ensemble du territoire », analyse Mohamed Arbi Nehdi, psychiatre à Tunis.

« Beaucoup de gens baissent la garde »

Un confinement qui a été moins bien respecté ces derniers jours. D’importantes foules se sont notamment rassemblées devant les bureaux de poste, afin d’aller chercher l’aide promise par l’Etat pour les foyers démunis. Mohamed Arbi Nehdi a observé ce relâchement : « Les gens qui habitent dans de petits logements ont plus de mal à rester chez eux. Et certaines personnes qui n’ont plus du tout d’argent sortent pour essayer de travailler. Le ministre de la Santé s’est même mis à pleurer à la télévision au début de la semaine pour leur signifier de rester chez eux ». Selon Rafik Jemli, cadre dirigeant dans une entreprise d’alimentation animale, le confinement est surtout bien respecté dans les quartiers résidentiels, et moins dans les quartiers populaires : « Dans les cités qui concentrent beaucoup de logements sociaux, des groupes de résidents continuent à se réunir au bas des immeubles, sans respecter les distances de sécurité. Le maintien des marchés pose aussi problème, car les clients sont collés les uns aux autres ».

Fatma, qui habite dans la médina de Tunis (Bab el Khadra), voit aussi plus de monde dans les rues quand elle fait ses courses : « Même si les cafés sont fermés, beaucoup de gens baissent la garde ; ils discutent dans les rues et les épiceries sont bondées. Le couvre-feu n’est pas bien respecté non plus dans mon quartier, car près de chez moi, j’entends des gens qui marchent dans la rue et des bruits de motos. Les gens ne sont pas conscients du danger, ne comprennent pas à quel point ce virus se transmet facilement. Et certains sont fatalistes et remettent leur sort à Dieu », analyse-t-elle. « Les Tunisiens ont pour habitude de passer une bonne partie de leurs journées dehors. Après deux semaines de confinement, notre moral commence à être affecté », complète Slim, un haut fonctionnaire tunisois.

Déjà 1.000 arrestations

Des rondes policières sont pourtant effectuées, mais inégalement selon les quartiers. Et si les forces de l’ordre arrêtent beaucoup d’automobilistes pour vérifier le motif de leur déplacement, les passants sont moins soumis au contrôle. Mais le gouvernement a d’ores et déjà annoncé un tour de vis. Le ministre de l’Intérieur tunisien, Hichem Mechichi, a d’ailleurs déclaré avoir procédé à plus de 1.000 arrestations et 70 assignations à domicile de personnes ayant violé le confinement général. Et plus de 50.000 retraits de permis sont déjà enregistrés.

La perspective du Ramadan, qui démarrera à la fin avril, suscite aussi des inquiétudes. Car pendant ce mois sacré de jeûne, la vie sociale des Tunisiens s’intensifie. « Je crains que beaucoup de gens veuillent sortir voir du monde après la rupture du jeûne, malgré le couvre-feu », lance Fatma. « Et les gens risquent de fréquenter les supermarchés aux mêmes heures », renchérit Slim.

« On n’a pas vraiment anticipé le travail à distance »

Comme moult Français, les Tunisiens ont aussi dû se convertir illico presto au télétravail. « On n’a pas vraiment anticipé le travail à distance, mais on apprend en marchant », confie Slim. L’entreprise de Rafik Jemli, elle, a davantage préparé ce changement : « Dès le 25 février, mon entreprise a pris des mesures de précaution, en faisant livrer des repas aux salariés pour éviter qu’ils ne sortent, en les équipant de matériel informatique en vue du télétravail, en commandant du gel hydroalcoolique, en réorganisant le travail dans les usines…. Et début mars, tout le personnel administratif a été mis en télétravail. Nos salariés qui nous trouvaient alarmistes fin février reconnaissent maintenant qu’on avait raison d’anticiper », explique-t-il.

Reste que travailler à distance sur une longue période n’a rien de facile. « Ce n’est pas évident de télétravailler avec ma fille de 4 ans à la maison, alors que j’ai plusieurs conférences téléphoniques chaque jour. Ses amis du jardin d’enfants lui manquent et elle a besoin de beaucoup d’attention », confie Fatma, qui gère le contrôle qualité dans une entreprise de téléconseil. « Je travaille beaucoup. Mon fils de 10 ans passe beaucoup de temps sur sa console de jeux », déplore de son côté Slim.

« J’ai peur d’être infecté et de contaminer ma famille »

Parallèlement, le gouvernement a indiqué que les salariés des secteurs « vitaux », tels que l’agriculture et l’agroalimentaire, la santé, la sécurité, la communication ou l’énergie, continueraient à travailler sur site. Ce qui n’a rien de plus réjouissant, comme en témoigne Aymen, directeur qualité pour une entreprise qui commercialise de l’eau : « J’ai peur de contaminer ma famille, tout d’abord, et j’ai peur pour mes collègues. C’est une guerre de tous les jours afin d’assurer l’approvisionnement en gel hydroalcoolique, masques, gants…. Il faut aussi continuer à ce que le personnel applique les règles de sécurité et que les procédures de sécurité soient respectées (relevé de température des salariés à l’entrée des usines, désinfection des matériaux chaque heure…) », raconte-t-il. Même stress pour Mohamed Arbi Nehdi, qui assure toujours ses consultations en face à face : « J’ai beaucoup de travail car de nombreux patients dépressifs ou sujets à des troubles anxieux ont décompensé. Et cette crise peut précipiter les rechutes des bipolaires ou des psychotiques J’ai un masque pour moi, un pour le patient. Il reste à deux mètres de moi. Malgré cela, j’ai peur d’être infecté, de contaminer ma famille, d’autant que ma femme travaille aussi dans le domaine médical. »

Autre conséquence néfaste du confinement : Il prive d’emploi les plus précaires. Car en Tunisie, les travailleurs journaliers qui occupent de petits jobs sont légion. Et avec la restriction des déplacements, impossible de faire de la vente à la sauvette, de participer à un chantier, ni de collecter de déchets recyclables. « Ces personnes ne touchent pas le chômage et n’ont plus du tout de revenus », indique Slim. Et même si le gouvernement a commencé à distribuer des aides de 200 dinars (64 euros), cela ne suffit pas pour vivre. « Tous les jours, deux personnes tapent à la porte de chez moi pour me demander de la nourriture », témoigne Rafik Jemli. De nombreuses organisations, mais aussi des footballeurs ou de simples citoyens, se sont mobilisées en ordre dispersé pour aider les pauvres.

« Je me suis découvert une passion pour le jardinage »

Et avec le confinement, les violences conjugales ont aussi explosé. Le nombre d’agressions signalées contre les femmes « a été multiplié par cinq par rapport à la même période en 2019 », a indiqué à l’AFP la ministre de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, Asma Shiri Laabidi, qui a lancé lundi une assistance psychologique gratuite par téléphone.

Lorsqu’ils regardent l’avenir, les Tunisiens ont du mal à se projeter. « Tous les indicateurs économiques sont à la baisse. Beaucoup de gens récupèrent leurs économies à la banque, de peur que le système financier craque », souligne Slim. « Il est probable que beaucoup d’entreprises mettent la clé sous la porte », ajoute Rafik Gemeli. Malgré ces perspectives pessimistes, chacun a sa petite recette pour tenter de garder le sourire coûte que coûte : « L’avantage du confinement, c’est que l’on fait plus d’activités avec les enfants et qu’on gâche moins de nourriture », lance Slim. « Je me suis découvert une passion pour le jardinage », confie de son côté Mohamed Arbi Nehdi.

Source 20 Minutes

Delphine Bancaud

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  1. Et pour limiter la propagation du virus dans ce pays aux infrastructures sanitaires fragiles, le gouvernement a mis en place le confinement le 22 mars, ainsi qu’un couvre-feu de a du matin, qui sera en vigueur au moins jusqu’au 19 avril. « Les Tunisiens voient ce qui se passe en Italie, en Espagne et en France, et se disent que si des pays industrialises sont debordes par cette crise sanitaire, ce n’est pas rassurant pour la Tunisie, qui possede environ 300 lits de reanimation sur l’ensemble du territoire », analyse Mohamed Arbi Nehdi, psychiatre a Tunis.

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