Deborah Feldman,« Unorthodox » brebis émancipée

Deborah Feldman, 31 ans, est née pour écrire. Sa productivité est immense, «jusqu’à 40 000 mots par jour» et ses livres – elle en est à son quatrième – marquent chaque fois un tournant dans son exploration stylistique. « J’écris maintenant en allemand », signale-t-elle avec modestie. « Je m’y sens à l’aise. Il y a tant de similarités avec le yiddish, ma langue maternelle. »

Deborah Feldman

Ses deux premiers livres, Unorthodox et Exodus, furent rédigés en anglais alors qu’elle habitait encore New York. Mais, depuis son arrivée en Allemagne en 2014, la jeune femme ne jure plus que par l’allemand, et pour cause. Sitôt qu’une actualité reliée au judaïsme émerge, elle est sollicitée. Dans ce pays où le passé pèse plus lourd qu’ailleurs, Deborah Feldman fait sensation.

La Suisse et Israël

La jeune Américaine est née dans l’une des communautés hassidiques les plus radicalisées du monde: les Satmars. On les aperçoit quelquefois dans les aéroports, dans les rues des grandes mégapoles, dans certains villages suisses en été ou encore en Israël, cet Etat qui, selon eux, ne devrait pas exister. Les hommes vêtus de blanc et de noir ont le dos courbé par le poids des études et de la prière. Des péottes encerclent leur visage pâle. Qu’il fasse 40 °C ou qu’il grêle, ils portent le shteimel, un chapeau fourré qui fut déjà d’usage au XVIIIe siècle en Galicie.

Les femmes, au service des hommes, recouvrent leur crâne rasé d’une perruque ou, pour les plus pieuses, d’un simple foulard. «Non, je ne trouve rien de positif à dire sur les communautés hassidiques qui fonctionnent à l’oppression et au mensonge», affirme Deborah Feldman. « Vous pouvez y trouver des qualités esthétiques vues de loin, mais je peux vous dire, pour y avoir vécu, que rien n’y est attrayant. »

L’exil et la radicalisation

Originaires du village de Satu Mare, aujourd’hui situé en Roumanie, trois quarts des Satmars furent exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le quart restant – dont une partie trouva temporairement refuge en Suisse grâce au train Kastner – finit par s’installer à Brooklyn, qui représente à ce jour leur fief principal. Selon l’écrivaine, c’est depuis cet exil que les Satmars se sont radicalisés. «Par peur de la modernité, j’imagine.»

Selon eux, la Shoah serait la réponse de Dieu face à l’émergence des premiers mouvements sionistes du début du XXe siècle. «J’ai grandi avec une idéologie fondée sur l’Holocauste. Tout en découlait et tout pouvait y être ramené», explique Deborah Feldman sur une terrasse ensoleillée de Berlin. «A l’école, nous apprenions que Dieu envoya Hitler pour punir l’assimilation croissante des juifs. Afin d’éviter qu’un événement similaire ne se reproduise, nous devons vivre en juifs modèles, comme dans le passé, en retrait de la société.» Son premier livre, Unorthodox, décrit les multiples restrictions qui jalonnèrent son enfance, son mariage arrangé puis, enfin, sa fuite dans le monde libre accompagnée de son fils de 3 ans.

L’impureté des femmes

Les Satmars ont beau vivre au milieu du quartier hipster de New York, à Williamsburg, ils restent imperméables à l’évolution des mœurs. Pas de radio, pas de télévision, pas de téléphone et donc pas de Facebook, d’Instagram et de #MeToo. Les femmes ont de surcroît l’interdiction de lire certains passages du Talmud. « Les Américains permettent l’école à la maison, ce qui ouvre la porte aux dérives sectaires », constate l’écrivaine.

Quelques mois avant son mariage arrangé, Deborah Feldman, alors âgée de 17 ans, suit des cours préparatifs à la vie de femme mariée. On lui enseigne que « dès le moment où l’utérus répand une goutte de sang, la femme devient niddha, mise de côté. Lorsqu’une femme est niddha, son mari ne peut plus la toucher, ni même lui tendre une assiette. Il ne peut plus l’entendre chanter. Elle devient interdiction. » En dehors des phases impures qui s’achèvent par un bain purificateur, les femmes sont «propres» et doivent rester en tout temps disponibles.

Lectures clandestines

Si Deborah Feldman n’avait pas été férue de lecture et, surtout, suffisamment courageuse pour dévorer clandestinement des romans empruntés à la bibliothèque du quartier, jamais elle n’aurait pu s’affranchir de sa communauté. C’est sa curiosité qui lui a permis d’apprendre quasiment seule l’anglais. Car, chez les Satmars, il convient de parler yiddish. «L’anglais agit sur l’âme comme un poison lent. Si je le parle ou le lis trop fréquemment, mon âme se ternira au point de ne plus répondre à la stimulation divine», lui enseignait jadis son grand-père. Un avertissement qu’elle décide d’ignorer au prix d’une insupportable culpabilité.

Une fois mariée, elle convainc son mari de la laisser entreprendre secrètement des études universitaires afin qu’elle puisse contribuer aux dépenses du jeune couple. Le matin, elle dépose son fils à la garderie et se rend en voiture jusqu’à ses cours où elle troque petit à petit ses habits traditionnels contre une paire de jeans puis un t-shirt. Ne pouvant conserver ses écrits chez elle, elle commence, comme le firent d’autres hassidiques émancipés avant elle, un blog anonyme, qu’elle intitule Hasidic-Feminist. De fil en aiguille, en se frottant au monde extérieur, elle rencontre un agent, puis un éditeur, avec lequel elle finira par signer un contrat pour rédiger ses Mémoires. Unorthodox sera son «aller simple vers la liberté».

« Nous sommes une génération globalisée. Etre juif ou ne pas être juif, être Allemand ou ne pas être Allemand ne fait ou ne devrait plus faire de différence »

Le 9 septembre 2009, après un accident de voiture où elle se retrouve à l’hôpital, elle décide de ne plus jamais remettre un pied dans sa communauté. En sortant de l’hôpital, elle loue une voiture, y charge toutes ses affaires, installe son fils sur le siège arrière et quitte sa famille et sa communauté à tout jamais. « C’est mon avocate qui m’a pressée d’écrire mon livre afin que je puisse m’assurer de la garde de mon enfant. Elle m’a dit que le seul moyen de m’en tirer serait de rendre mon histoire publique. » Neuf mois après avoir signé un contrat avec une maison d’édition, son roman paraît. En quelques mois à peine, il est en rupture de stock puis élu best-seller de l’année par le New York Times.

Berlin, terre promise

Curieusement, depuis quelques années, Berlin, capitale du IIIe Reich, séduit de plus en plus de rebelles hassidiques. «On est tout un groupe», se réjouit le photographe Benyamin Reich, qui, contrairement à Deborah Feldman, garde des liens solides avec son ancienne communauté. Il prépare une exposition sur la troisième génération, dans laquelle il met en scène avec humour des descendants de familles nazies s’unissant avec des descendants de rescapés de la Shoah. La mémoire de l’Holocauste est l’un des sujets qui alimentent la conversation de ces anciens ultraorthodoxes.

«Le discours qu’entretiennent les Allemands par rapport à leur passé est binaire et rigide», argue Deborah Feldman. «C’est un récit qui émane du trauma. Or, les jeunes adultes d’aujourd’hui dont je fais partie ne se reconnaissent plus dans ce discours. Nous sommes une génération globalisée. Etre juif ou ne pas être juif, être Allemand ou ne pas être Allemand ne fait ou ne devrait plus faire de différence.»

En septembre 2018 paraîtra Ent-innerung, son premier pamphlet en allemand. Le titre est un jeu de mots qui pourrait se traduire par «la délivrance d’une mémoire». On s’en réjouit déjà.

Source : www.letemps.ch

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1 Comment

  1. Voir les nombreux témoignages qui démentent les récits de mme Feldman. Son histoire est apparemment parsemée de contradictions et d’entorses à la vérité.
    je crois qu’elle essaie de régler ses comptes personnels en noircissant un groupe qu’elle hait et rend responsable de ses propres difficultés

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