Laury-Anne Cholez. Face à la pandémie, l’entraide plus forte que la peur

Face à l’épidémie du Covid-19, l’entraide s’organise, entre voisins et à une échelle nationale, pour ne pas laisser seules les personnes les plus fragiles. Des liens de solidarité qui pourraient perdurer après la crise.

L’entraide plus forte que la crainte du Covid-19 ? C’est ce que laissent imaginer les centaines d’initiatives qui fleurissent ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Des citoyens anonymes qui s’organisent comme ils peuvent afin de lutter contre la solitude imposée par le confinement. Et ils n’ont bien évidemment pas attendu les annonces d’Emmanuel Macron qui, dans son discours du 16 mars, incitait les Français à garder le lien, à appeler nos proches, à inventer de nouvelles solidarités entre générations.

Dans les halls d’immeubles, les petites annonces proposant de l’aide ont remplacé les plaintes contre le tapage nocturne.

Création de groupes WhatsApp entre voisins, courses communes pour limiter au maximum les sorties, gardes d’enfants des soignants, coups de main aux personnes âgées et aux plus fragiles. Ceux qui n’avaient jamais songé à demander des nouvelles à la grand-mère du 2e se sentent soudain pousser des ailes. Cette vague de solidarité touche jusqu’aux supporteurs de football : ceux du SM Caen ont incité leurs membres en bonne santé à proposer leurs services à la préfecture du Calvados, de la Manche et de l’Orne.

Confinement oblige, l’entraide s’organise d’abord en ligne. Des dizaines de pages Facebook, de fils Telegram, et de thread Twitter foisonnent sur le web. Pour s’y retrouver, une carte a été lancée, listant une quarantaine de groupes dans toute la France.

« Ce genre de contexte nous amène à chercher comment construire un autre monde »

D’autres tentent de compiler des liens utiles, à l’instar de la page Organisé et Confiné, où l’on retrouve différents sites d’informations, groupes de discussions et forums d’échanges comme Entraide Coronavirus, lancé le weekend dernier par Camille Roux, un ingénieur informatique. « J’ai vu beaucoup d’informations circuler et c’est parfois compliqué de s’y retrouver. Ici, on peut partager des liens, débattre et surtout se corriger. Un peu comme du fact checking [vérification des faits] », explique-t-il. Parmi les sujets les plus consultés : comment aider quand tu es développeur ou data scientist (expert en mégadonnées). Mais les thèmes de discussions technophiles ont rapidement dépassé le cadre amical et professionnel de Camille Roux pour s’élargir à toutes les questions que se pose le grand public.

Informer et faire le tri dans les infos, c’est également l’un des objectifs de l’application Covid-19 Solidarity, développée par Thomas Goumarre, un jeune étudiant en design lyonnais qui « s’ennuyait » depuis la fermeture de son école. Une quinzaine d’initiatives sont répertoriées : du site du gouvernement, aux conseils sur l’entraide entre quartiers en passant par le développement d’une épicerie pour les plus vulnérables ou encore le nettoyage des communs. Chacun peut contribuer et rajouter une nouvelle idée, sous le regard rigoureux de Thomas. « On voit que les gens ont envie d’aider. Ce genre de contexte nous amène à nous remettre en question, à chercher comment construire un autre monde. »

Autre nouveauté, le site En première ligne propose de mettre en relation le personnel soignant et ceux qui voudraient leur faire des courses ou garder leurs enfants. Les créateurs de la plateforme assurent avoir déjà enregistré près de 28.000 volontaires. S’ils n’ont pas répondu à nos sollicitations, un des fondateurs n’est pas un total inconnu. Il s’agit de Titouan Galopin, ancien coordinateur des équipes techniques du site internet du candidat Emmanuel Macron lors des élections présidentielles en 2017.

Les plateformes déjà existantes d’aide entre voisins sont également montées au créneau. Allo Voisins, qui compte 3,5 millions de membres et qui vit de la location d’outils entre particuliers, a décidé de supprimer ses commissions. Next Door, « le réseau social des voisins », a lancé une campagne pour que ses habitués se mobilisent. Enfin, on peut également utiliser la plateforme Mes voisins.

Cet élan de générosité a étonné les plus habitués, comme Atanase Périfan, le fondateur de Voisins solidaires, créé en 2007. « Le coronavirus est en train de déclencher un tsunami de solidarité », a-t-il déclaré sur France Info. Son association a mis en ligne un kit gratuit pour aider les habitants s’organiser. Il a été téléchargé plus de 100.000 fois.

Les plus précaires, en particuliers les SDF, sont les premières victimes de cette crise 

Aider ses voisins, c’est bien, mais certains voudraient aller plus loin et s’inquiètent des plus précaires, habituellement pris en charge pas les associations. Ces dernières ont drastiquement réduit leurs activités, voire fermé leurs portes, comme les Restos du cœur, dont les bénévoles, souvent âgés, sont très vulnérables face au virus. Le nouveau site Comment aider tente de lister les ONG qui continuent de travailler malgré les restrictions. Il a été lancé par plusieurs créateurs de mèmes (des images ou vidéos sarcastiques sur internet) comme Gabriel, fondateur du compte Instagram Mèmes décentralisés. « Au lieu d’être 12 heures par jour au boulot, on a aujourd’hui pas mal de temps et on l’a utilisé pour lancer cette plateforme. On avait envie de créer quelque chose d’important et pas juste de faire rire les gens avec nos mèmes », dit Gabriel. Au-delà de la plaisanterie, le jeune homme regrette l’invisibilisation des personnes les plus précaires, qui ont totalement disparu des radars de l’actualité. Il espère que la puissance de la communauté des créateurs de mème offrira aux associations une bonne visibilité pour avoir de nouveaux bénévoles ou des dons. « Notre budget sorties s’est bien allégé ! On peut donc en profiter pour donner aux associations qui aident les gens en grandes difficultés. »

Les plus précaires, en particulier les SDF, sont les premières victimes de cette crise. Pour les aider, l’application Entourages, qui existe depuis quatre ans, s’est totalement réorganisée. Habituellement, ses 96.000 membres à Paris, Lille, Lyon, Rennes et dans les Hauts-de-Seine lancent beaucoup d’évènements, des petits déjeuners solidaires en passant par des distributions de vêtements. « Nous allons continuer à organiser nos évènements, mais de façon numérique. Car 70 % des personnes sans domicile ont un smartphone. Pour les autres, nous sommes surtout en train de recenser les informations utiles : les associations qui font encore des maraudes, ou proposent des hébergements », explique Claire Duizabo, la directrice communication. Afin de lutter contre l’isolement, Entourage va s’ouvrir aux personnes qui ne sont pas forcément sans domicile, mais qui se sentent tout simplement anxieuses de rester seules chez elles.

Préparer l’après-coronavirus est aussi une obsession récurrente dans certaines discussions. Car beaucoup craignent que le confinement ne se prolonge au-delà des quinze prochains jours. Dans un village du Cher, Tigrou [*] et son collectif ont décidé d’accélérer l’ouverture de leur épicerie solidaire et de proposer des livraisons pour les personnes les plus fragiles. « Ce n’est pas juste de la débrouille en temps de crise, mais une initiative autoorganisée avec des outils qui pourront servir après l’épidémie », assure le jeune homme. Ils réfléchissent également à mettre en place un système d’entraide financière pour les personnes dont l’activité s’est brutalement arrêtée, à l’instar des artisans. À Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), le collectif pour la transition a lancé un appel à la création d’un réseau local de production alimentaire afin de pallier une rupture partielle ou totale des chaînes de transport et d’alimentation. « J’espère que cette crise va faire prendre conscience aux gens qu’il faut consommer local », s’exclame Alban, membre du collectif. À Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), les membres de l’Amap Court-Circuit ont imaginé un système d’entraide local pour apporter des légumes aux personnes les plus vulnérables. « J’ai proposé ça jeudi et beaucoup se sont portés volontaires. Même si, pour le moment, on ne croule pas sous les demandes d’aides. La situation évolue très vite et les gens ne prennent pas encore ça trop au sérieux. Mais, si cela dure, il faut qu’on s’organise pour faire face », dit Romane, membre de l’Amap.

Repenser de nouvelles manières de consommer et de partager

S’organiser pour tenir dans la durée, c’est l’un des objectifs du fil Telegram « Covid Entraide France ». Lancé jeudi 12 mars, il réunit déjà près de 1.100 personnes et a donné naissance à beaucoup de sous groupes thématiques. Dans les discussions, on s’échange des informations, comme ces tutoriels pour coudre soi-même son masque de protection. On partage ses angoisses, ses doutes, ses espoirs. « On sait qu’à chaque bouleversement social, des groupes s’organisent. Et souvent, on perd beaucoup de temps à se coordonner, à retrouver les informations, à référencer les outils. On s’est dit qu’il fallait rapidement agir pour éviter les pertes de temps », dit Pierre, l’un des cofondateurs de ce fil. Membre de plusieurs collectifs militants, le jeune homme n’est pas un novice en matière d’autogestion. Mais il espère que les réseaux mis en place dépasseront vite le cercle des habituels convaincus. « C’est une proposition pour lancer un réseau horizontal à grande échelle. Même si la solidarité de base reste celle du voisinage. » Lui, comme d’autres, n’est pas dupe de la communication gouvernementale et s’inquiète d’une éventuelle gestion autoritaire de la pandémie. « Macron veut instiguer une sorte d’union sacrée, un unanimisme national, pour que tout le monde participe à l’effort collectif, sans conflit social. Mais l’enjeu est surtout que ces groupes de solidarité ne soient pas cooptés par le gouvernement. »

Cette pandémie n’est pas qu’une simple crise sanitaire. Limitant notre liberté de déplacement, elle nous incite à repenser de nouvelles manières de consommer et de partager. Geneviève Azam, économiste et membre du comité scientifique d’Attac, espère que les solidarités qui se tissent aujourd’hui puissent se pérenniser après la crise. « Je n’ai pas supporté le discours d’Emmanuel Macron qui parlait sans cesse de la guerre. Alors que nous sommes en paix. Une paix terrible, certes. Mais une paix où les marchés financiers peuvent s’effondrer, où l’on peut enfin respirer un air moins pollué. » Loin de pétrifier la pensée et l’action, cette expérience pourrait donc être l’occasion de rebattre entièrement les cartes, d’imaginer les fondations d’une nouvelle société plus solidaire, moins consommatrice, plus écologique.

SourceURL:https://reporterre.net/ 20 mars 2020.

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