Alexandra Pizzuto. Elles ont arrêté d’acheter de nouveaux vêtements

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Par souci écologique et rejet de l’ultra-consumérisme, certaines amatrices de mode nous racontent comment elles en ont fini avec le shopping de première main, redéfinissant leurs habitudes les plus élémentaires comme leur rapport aux vêtements.

“Le vêtement le plus durable est celui qui est déjà dans votre armoire.” Prononcés par Orsola de Castro, co-fondatrice du mouvement activiste Fashion Revolution en faveur d’une mode plus éthique, ces mots ont, d’emblée, de quoi nous faire cogiter. À l’heure où la mode est moins chic que toxique et que les effets du changement climatique se font sentir jusqu’au sommet de l’Arctique, le moindre acte d’achat textile se mue en cas de conscience cornélien, à mi-chemin entre tentation consumériste et culpabilité écologique.

Honnêtement je ne me souviens plus de la dernière fois que j’ai acheté un vêtement neuf

Or, selon l’Ademe, nous ne cessons d’accumuler toujours plus de vêtements, soit 60% de vêtements en plus qu’il y a 15 ans, tout en admettant ouvertement n’utiliser que 70% de notre garde-robe. Pire encore : en 2017, 600 000 tonnes de textile ont tout simplement fini à la poubelle, et cela rien qu’en France.

Addiction(s) et prise de conscience

Face à cette réalité affligeante, certains femmes à la conscience écologique revendiquée ont pris la décision radicale d’arrêter tout simplement d’acheter de nouveaux vêtements.

C’est le cas de Myriam, 26 ans, avocate. “Honnêtement je ne me souviens plus de la dernière fois que j’ai acheté un vêtement neuf, hormis un sac à main en cuir que j’ai acheté dans un atelier artisanal parce que j’avais cassé la fermeture de mon ancien sac.” confie-t-elle.

Je me suis rendue compte que c’était idiot de continuer à acheter des fringues lambdas dans des magasins dont le fonctionnement et le financement allaient complètement à l’encontre de ma toute nouvelle conscience écologique.

“Je n’achète plus non plus sur les sites de vente en ligne de seconde main, pour éviter les coûts environnementaux du transport et de l’emballage”. Pourtant la décision était loin d’être évidente pour cette ancienne accro au shopping qui, encore hier, passait ses journées à scroller son fil d’actu sur Vinted.

“J’ai toujours aimé la mode. Dès le lycée, ça a été mon moyen de me démarquer de mes petits camarades”, nous raconte-t-elle.”Et forcément, je n’achetais que dans les magasins comme Zara, H&M, Promod ou Jennyfer. À cette époque, les considérations écologiques ne faisaient pas partie de mon processus d’achat ! Je faisais même des listes entières de toutes les pièces dont j’avais “besoin” sur un site qui s’appelait neeeed, une sorte de Pinterest du shopping !” confesse-t-elle.

Une consommation frénétique, alimentée par les réseaux sociaux, dopée par les prix accessibles de la fast-fashion, dont Myriam prend progressivement conscience au fur et à mesure qu’elle se penche sur la question environnementale. “Je me suis rendue compte que c’était idiot de continuer à acheter des fringues lambdas dans des magasins dont le fonctionnement et le financement allaient complètement à l’encontre de ma toute nouvelle conscience écologique.” précise-t-elle.

Je voyageais aux 4 coins du globe sans comprendre que toute cette industrie allait nous pourrir la planète.

Un discours que partage Laetitia, styliste de 44 ans qui a radicalement changé son rapport aux vêtements, du fait notamment de sa profession.”J’étais styliste pour de grandes marques textile : les fringues, c’était mon quotidien. Je voyageais aux 4 coins du globe sans comprendre que toute cette industrie allait nous pourrir la planète”, se souvient-elle.”J’aime mon métier énormément et, pourtant, ça a finit par être une évidence, à force de visites dans les usines en Chine ou en Inde : mon métier ne faisait de bien ni aux gens qui les produisaient, ni à notre planète”, décrit celle qui rappelle toutefois n’avoir jamais été boulimique dans sa consommation de vêtements mais qui a progressivement constaté l’effet pervers des tendances.

“Au fil des années, j’ai remarqué que les vêtements que j’achetais sous l’impulsion d’une vague de tendances… je ne les mettais pas longtemps. Les effets de mode sont finalement que des machines à nous faire consommer : (…) ça rend juste les gens dépends et uniformes”, analyse-t-elle.

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Un clonage vestimentaire dont Emilie, 25 ans, a voulu s’extirper tout en adoptant ces nouvelles habitudes de non-consommation.”Mon cheminement a commencé en même temps que mon investissement dans la cause écologique, et mes recherches sur le sujet. J’ai pris conscience du pouvoir de l’acheteur d’agir par le biais de ses achats, voire de ses non-achats. Mon style a forcément changé, mais ce qui était aussi mon choix, pour sortir aussi de cette mode ou tout le monde se ressemble avec le même perfecto Zara !” raconte-t-elle.

À l’inverse, Lauren, 35 ans, communicante dans l’industrie musicale affirme n’avoir jamais été une “folle de shopping” tout en admettant avoir eu l’habitude d’acheter au sein des collections de fast-fashion mais aussi des marques plus haut de gamme comme Sandro et Maje.”J’ai simplement réalisé que le t-shirt que j’achetais à H&M avait plus voyagé que moi et que, quand je m’en débarrasserai, il voyagerait encore plus, puisque nos déchets sont envoyés dans les pays d’Asie via bateau. C’est d’une absurdité totale, quand on le réalise alors j’ai simplement arrêté de consommer ces marques”, explique-t-elle.

Nos déchets sont envoyés dans les pays d’Asie via bateau. C’est d’une absurdité totale

Nouveau look pour une nouvelle vie

Son déclic ? Un déménagement à l’autre bout du monde.”En arrivant au Canada, j’ai commencé à changer ma façon de me nourrir : local, bio et en vrac. Puis le changement a gagné ma salle de bain : j’ai supprimé à peu près tout pour passer sur quelques produits de base vegan et achetés en vrac. Changer ma manière de consommer les vêtements est arrivé naturellement après ça”, se souvient Lauren.

Un remise en question globale en somme, qui montre pour toutes nos interviewées que le sevrage en matière de shopping s’accompagne d’un bouleversement généralisé de leurs habitudes de consommation, mais également d’un changement d’environnement notable.

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“J’ai quitté Paris pour l’océan, près de Biarritz et là, la nature vous rappelle à l’ordre. C’est sous vos yeux. Dès ce moment, j’ai engagé des actions à mon petit niveau : je boycotte certaines marques alimentaires, je ne mange pas de viande, ni de lait de, je fais attention à réduire au mieux mes déplacements en voitures…etc.” explique Laetitia, nouvelle basque d’adoption !

Pour Emilie, originaire de l’Est de la France, c’est au contraire son arrivée à Paris qui lui a permis d’appréhender plus sereinement la seconde main, avec notamment la découverte des friperies et boutiques vintage. “Clairement l’idée s’est matérialisée après mon arrivée à Paris, ou d’autres circuits de consommations sont possibles et omniprésents (friperie, dépôt vente, Vinted).” souligne-t-elle. Ça a aussi coïncidé avec mon déménagement puisque à Nancy, ma ville natale, l’activité du week-end est d’aller “en ville”, ce qui clairement veut dire aller faire du shopping chez Zara ou H&M

Une exception dans notre panel, la majorité des femmes ayant répondu spontanément à notre appel à témoin ne vivant pas à Paris ou quelconque autre grande ville française. Exilées à l’étranger ou en province, toutes expriment en effet combien quitter la capitale de la mode a été libérateur dans leur manière d’appréhender leur apparence vestimentaire.”Mon look n’a jamais été un sujet pour moi. À Montréal, j’ai été débarrassée du regard des autres, de cette nécessité parisienne d’être toujours sur son 31. Ici tout le monde s’en fout !”, clame Lauren. “Du coup, je dirai que c’est plus la culture ici qui m’a décomplexé et m’a aidé à arrêter d’acheter tous ces trucs !”.

Même chose pour Myriam, qui en habitant au Chili depuis près de deux ans, se trouve nettement moins influencée, voir tentée, par l’allure vestimentaire de ses pairs.”Je peux avoir des relents quand je vois une nana dont j’adore le style dans la rue, mais depuis que je vis ici, ça m’arrive beaucoup moins. Et le marché de la seconde main n’est pas franchement très attrayant, donc je me limite à l’essentiel !”.

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Au paradis de la seconde main

“Mais alors de quoi s’habillent-elles ?” demanderont les plus suspicieuses. La réponse ? Deux mots : seconde main. “Si j’achète quelque chose, c’est toujours en seconde main dans des boutiques vintage à Montréal et, quand je repasse à Paris, je passe à la Frange à l’Envers, une adresse lancée par une copine qui revend des pièces d’occasion”, explique Lauren.

Même chose pour Myriam qui capitalise sur sa garde-robe existante et se fournit, uniquement si besoin, en friperies et autres dépôts-ventes. “Je pars à la chasse au trésor chez Emmaüs ou Guerrisol, pour trouver des super pièces à 2€, ce qui rend le processus d’achats beaucoup plus spécial ! On ressent une sorte de fierté quand on trouve enfin ce qu’on cherchait ou une perle rare inattendue !” commente Emilie.

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Quant à Laetitia, adepte du Bon Coin, du troc entre copines et de la seconde main locale, elle a trouvé une petite stratégie mentale pour faire face à ses envies de shopping compulsif.”Lorsque mes enfants ou moi même avons besoin de quelques chose, la première question qu’on se pose c’est non pas “En as-tu vraiment besoin ?”, mais plutôt “peux-tu faire sans ? Est-ce indispensable ?”. De là, on peut toujours se faire un petit plaisir de temps en temps car au quotidien ce petit truc réduit tellement nos achats !” confie-t-elle.

La styliste, qui tente de redonner un sens à son métier en développant un concept de design textile basé sur l’upcycling, n’est toutefois pas à l’abri de certaines tentations. “De temps en temps, je vais avoir une envie irrésistible du beau sac à main, de la paire de bottine western, de la chemise kaki du moment… Dans ce cas, je fais des choix et j’achète un seul truc : celui dont j’ai le plus besoin, au lieu de tout acheter. Ça me permet d’apaiser mon envie, mais surtout, je suis vraiment contente de mon achat car il a été désiré et non compulsif. Et ce sentiment de joie va durer des semaines, voire même des mois !”

En fait c’est comme une drogue : après un bon sevrage, on en a plus besoin pour vivre.

Arrêter d’acheter des vêtements, serait-ce finalement plus facile à dire qu’à faire ? Si Lauren, au Canada, ne déplore aucune frustration stylistique, Myriam admet quelques moments de faiblesse. “J’ai toujours un vague besoin d’être plus stylée et plus originale que la moyenne, j’aime encore sentir que les autres femmes envient un peu mon look, mais c’est devenu très secondaire en fait”, explique-t-elle.

Toutefois, elle précise ne pas avoir envie de “craquer” dans des grandes enseignes de prêt-à-porter, dans la mesure où elle affirme avoir fortement réduit ses besoins vestimentaires. “Au final, je suis tellement habituée à ne plus faire les boutiques que je n’aime plus du tout y aller, surtout pour payer 50€ un haut en polyester fait à l’autre bout du monde”, ajoute Emilie. “En fait c’est comme une drogue : après un bon sevrage, on en a plus besoin pour vivre”, conclut Laetitia.

On serait presque tentées de les imiter.

Source: Marie-Claire. 22 février 2020.

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