Jean-Baptiste Jacquin. Sarah Halimi relance le débat sur l’irresponsabilité pénale

Cinq propositions de loi ont été déposées au Sénat et à l’Assemblée. La ministre de la justice nomme une commission pour faire des propositions après un bilan de la jurisprudence. L’émotion née de l’affaire Sarah Halimi, cette sexagénaire battue et défenestrée en avril 2017 par un voisin de 27 ans, n’a pas fini de produire des effets politiques. En particulier depuis la décision de la cour d’appel de Paris, le 19 décembre, jugeant irresponsable pénalement l’auteur de ce meurtre dont le caractère antisémite a été reconnu.

Nicole Belloubet, garde des sceaux, a annoncé mardi 18 février à la tribune du Sénat la création d’une commission pour évaluer la façon dont la justice procède pour juger des personnes irresponsables pénalement.

« Sans remettre en cause le principe essentiel de notre Etat de droit selon lequel on ne juge pas les fous », a précisé la ministre de la justice, il s’agit d’établir un diagnostic sur les éventuelles lacunes du droit au regard de ce qui se fait en Europe ou en Amérique du Nord. Et en particulier de faire « l’état de la jurisprudence en matière de troubles résultants d’une intoxication volontaire », a-t-elle précisé.

Cinq propositions de loi

Lors de ce débat au Palais du Luxembourg demandé par le groupe Union centriste, la question des infractions commises sous l’emprise de stupéfiant ou d’alcool a été omniprésente. Dans le cas du meurtrier de Mme Halimi, le fait qu’il était sous l’emprise de cannabis n’est pas contesté. Les sept experts mandatés par la justice ont dit qu’il était atteint d’une « bouffée délirante aiguë » au moment des faits. Six ont conclu qu’il était irresponsable pénalement en raison de troubles psychiques, et un a estimé que son discernement était seulement « altéré ».

La famille de la victime a fait un pourvoi en cassation. La polémique a enflé jusqu’à Emmanuel Macron, qui s’est exprimé le 23 janvier sur « le besoin d’un procès », à l’occasion d’un voyage officiel en Israël. Ce qui a valu une réaction, rare, des chefs de la Cour de cassation rappelant dans un communiqué le président de la République à son devoir constitutionnel de garant de l’indépendance de la justice.

En quelques semaines, trois propositions de loi ont été déposées au Sénat et deux à l’Assemblée nationale, par Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) et Eric Pauget (Les Républicains), pour réviser les conditions dans lesquelles la justice peut reconnaître une personne irresponsable. Selon l’article 122-1 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

La sénatrice Nathalie Goulet (Union centriste) a en particulier déposé une proposition de loi composée d’un article unique prévoyant que « les dispositions de l’article 122-1 du code pénal ne s’appliquent pas lorsque l’état de l’auteur résulte de ses propres agissements ou procède lui-même d’une infraction antérieure ou concomitante ». Autrement dit, s’il a pris de la drogue. L’élue de l’Orne affirme dans l’exposé des motifs de ce texte qu’« au fil des affaires, l’irresponsabilité pénale semble devenir une immunité ». Mardi, elle a fait le rapprochement avec le développement du terrorisme islamiste.

Pourtant, Nathalie Delattre, sénatrice du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, a tenu à préciser que le nombre de déclarations d’irresponsabilité pénale par la justice est en forte réduction depuis plusieurs années. Chargée d’une mission d’information sur l’expertise psychiatrique en matière pénale, elle a rappelé qu’un « grand nombre de personnes souffrant de troubles psychiatriques sont envoyées en prison au lieu de l’hôpital psychiatrique où serait leur place ».

« Un progrès considérable »

Le sénateur Les Républicains Roger Karoutchi a déposé de son côté une proposition de loi pour que la justice ne statue sur l’irresponsabilité pénale d’une personne accusée de crime qu’à l’issue d’un procès d’assises, ou d’un procès correctionnel pour un délit. « Comment dans un pays démocratique vous voulez que les gens ne se disent pas, mais pourquoi, pour faire notre deuil, nous n’avons pas droit à un procès en bonne et due forme », a-t-il déclaré à la tribune du Sénat, s’adressant à la ministre de la justice. Pour plusieurs sénateurs, la tenue d’un tel procès rendrait justice aux familles de victime et leur permettrait de faire le deuil.

La loi de 2008 est venue modifier la procédure dans laquelle le juge d’instruction pouvait auparavant clore une affaire par un non-lieu après avoir jugé une personne irresponsable pénalement. Cette réforme, intervenue après un fait divers, avait justement décidé d’instaurer devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel une audience publique. Les parties civiles, les experts, le présumé coupable, les avocats, d’éventuels témoins convoqués et le parquet général peuvent tous prendre part au débat avant que les juges ne délibèrent.

Le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, a mis en garde contre des « réponses simplistes » à la question de l’irresponsabilité pénale. « Que la justice déclare dans le même arrêt qu’il y a antisémitisme et irresponsabilité, cela peut paraître contradictoire », constate-t-il. Mais il rappelle que les experts judiciaires sont des êtres humains et qu’à la fin, la question « est jugée en leur intime conviction par des magistrats qui sont des êtres humains ».

Le gouvernement ne souhaite pas se précipiter pour légiférer de nouveau sur ce sujet. La commission décidée par Nicole Belloubet sera chargée avant toutes choses de faire le bilan de la procédure instaurée en 2008. Elle sera constituée de personnalités qualifiées, dont les anciens présidents de la commission de lois de l’Assemblée nationale, Philippe Houillon (Les Républicains) et Dominique Raimbourg (Parti socialiste), de magistrats et d’experts psychiatres.

Source: Le Monde. 19 février 2020.

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