Proposition de résolution sur l’antisémitisme: le décryptage de Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre

Une résolution parlementaire controversée vise à interdire l’antisionisme, en modifiant la définition française de l’antisémitisme. L’essayiste Barbara Lefebvre dénonce l’hypocrisie de la majorité à l’égard du nouvel antisémitisme, d’essence islamiste, qui sévit aujourd’hui.

Emmanuel Macron et Joel Mergui lors de l’inauguration du Centre Européen du Judaïsme.
Emmanuel Macron et Joel Mergui lors de l’inauguration du Centre Européen du Judaïsme. IAN LANGSDON/AFP

FIGAROVOX-. Une proposition de résolution sur l’antisémitisme divise actuellement les parlementaires. Elle vise à modifier la définition française de l’antisémitisme, pour retenir celle de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Qu’en pensez-vous?

Barbara LEFEBVRE-. Il est d’abord utile de rappeler que la proposition de Sylvain Maillard avait été repoussée par le président de l’Assemblée Richard Ferrand le 19 février dernier lorsque le député avait exprimé son souhait de faire voter une loi visant à interdire l’antisionisme. Nous étions alors dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes où surgissait un certain nombre d’agitateurs proches de Dieudonné et Soral, antisémites notoires et obsessionnels du «complot sioniste». Le 16 février, d’ailleurs, un salafiste opportunément gilet jaune agitant son keffieh avait insulté Alain Finkielkraut en lui hurlant «la France elle est à nous», le traitant de «sale sioniste de merde» puis le menaçant: «Dieu il va te punir, tu vas aller en enfer, tu vas mourir». On voit ici que la motivation relève de l’antijudaïsme islamiste des plus basique davantage que de la critique géopolitique. Des actes antisémites avaient également été recensés en plus grand nombre au cours des premières semaines de l’année. C’est dans ce contexte immédiat que Sylvain Maillard avait sorti cette idée de loi, qu’il mûrissait apparemment depuis des mois.Ce sont de l’encre et du temps parlementaires dépensés pour rien puisque ce texte relève du déclaratif.

Le 21 février lors du dîner du CRIF, le président Macron validait sans le nommer l’initiative du député LaREM, annonçant que la France allait «appliquer» la définition de l’antisémitisme assez fumeuse de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) soutenue par l’ONU. L’IHRA, qui rassemble 31 États-membres dont la France et divers experts, a pour objet de renforcer et promouvoir l’éducation, le travail de mémoire et la recherche sur l’extermination des juifs d’Europe. Sa définition de l’antisémitisme, reprise intégralement par la résolution de LaREM, avait été adoptée par les États membres de l’IHRA le 26 mai 2016.

Le 20 mai 2019 la proposition du député Maillard, affirmant «lutter contre l’antisémitisme», était enregistrée et devait être débattue, mais cela fut reporté. Cette résolution sans valeur contraignante revient aujourd’hui dans l’agenda parlementaire. Si tant est que le texte soit pertinent, ce sont de l’encre et du temps parlementaires dépensés pour rien puisque ce texte relève du déclaratif. Une loi de ce type serait sans doute jugée anticonstitutionnelle, alors qu’une résolution, de par son innocuité, ne heurte le droit qu’à la marge. Mais il s’agissait peut-être aussi de faire plaisir à quelques amis du président, qui ne semblent pas s’inquiéter réellement de l’absence de politique visant à mettre hors d’état de nuire les antisémites qui agressent et tuent dans notre pays, à savoir les islamistes. Eux sont peut-être socialement et économiquement protégés des agressions antijuives subies par les Français juifs d’en bas vivant dans les territoires perdus de la République. Ces juifs-là n’ont que deux alternatives: déménager ou s’enfermer dans une bulle communautaire locale comme les «dhimmis» en terre d’islam.

Sylvain Maillard prétend que son texte «permettra de dire ce qui est effectivement antisémite» puisqu’il entend préciser que les propos niant la légitimité de l’existence de l’État d’Israël relèvent de l’antisémitisme. Mais, cela a été compris depuis longtemps. Pierre-André Taguieff, pour ne citer que lui, fait partie des intellectuels qui ont patiemment décrypté l’imposture antisioniste qui recycle tout ce que la nébuleuse antijuive a produit de plus exécrable: de l’extrême droite à l’extrême gauche, cristallisé autour de la puissance de l’islam politique. N’oublions jamais le rôle, auprès d’Hitler, du grand mufti de Jérusalem, antijuif notoire obsédé par le projet sioniste: le Frère musulman Amin al-Husseini qui s’installa à Berlin dès 1941 pour superviser la propagande vers le monde arabe via la radio de Zeesen.

Il faut donc ne pas avoir le courage de voir et nommer ce qui est sous nos yeux pour prétendre qu’en 2019 on ne sait pas vraiment distinguer «ce qui est ou non antisémite»! Quand un islamiste vous hurle «sale sioniste de merde, Dieu va te punir», tout le monde comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une critique politique constructive de la politique du gouvernement israélien, mais d’une insulte valant «sale juif». Personne, hormis les islamo-gauchistes manifestant aux côtes du CCIF, n’a besoin de sous-titre, ni d’une résolution de LaREM.

Ce texte, ainsi que le discours prononcé par Emmanuel Macron, n’ont-ils pas au moins le mérite de pointer du doigt le nouvel antisémitisme?

Même lorsqu’il s’adresse à la presse communautaire juive, M. Maillard ne précise rien du profil idéologique de l’antisémitisme actuel, pour vanter les mérites de sa résolution non contraignante, il s’alarme de sa progression continue tout en restant silencieux sur ces acteurs.Pas un mot du président Macron dans tout son discours pour nommer l’islamisme comme principale matrice de l’antisémitisme actuel.

Cette prudence, pour ne pas dire lâcheté, à ne pas nommer l’ennemi islamiste s’agissant de l’antisémitisme contemporain, n’est pas étonnante puisque le président Macron lui-même n’a pas osé le nommer lors de l’inauguration du Centre Européen du judaïsme le 29 octobre dernier. Il a évoqué vaguement «l’antisémitisme contemporain» avant de citer les noms de Ilan Halimi, Mireille Knoll et Sarah Halimi, mais il n’a pas dit qui étaient leurs assassins.

Pas un mot du président Macron dans tout son discours pour nommer l’islamisme comme principale matrice de l’antisémitisme actuel. En revanche, comme il le fait depuis l’entre-deux-tours de la présidentielle, il a continué à établir des parallèles avec l’antisémitisme d’extrême droite des années 1930 et de la période de l’occupation. Il a même évoqué l’attaque devant une synagogue à Halle en Allemagne le 9 octobre par un néonazi pour qualifier la nature du danger. Mais quelle synagogue, quel juif, quelle école privée juive, quel magasin casher, a été attaqué récemment par un militant d’extrême droite en France? La réponse est rapide: aucun. Tous les auteurs des attaques qui ont été identifiés au cours des dernières années se revendiquaient de l’islam ; qu’il s’agisse d’un islam dévoyé n’est pas le sujet: qui a autorité pour dénier à Mohamed Merah, Youssouf Fofana ou Amedy Coulibaly leur qualité de fidèle musulman? Quant à l’idée que ces terroristes aient perpétré leurs actes au nom de l’antisionisme, cela n’a aucun sens. Quand bien même ils invoquaient «la Palestine», leur discours islamiste, leurs revendications djihadistes révélaient l’imprégnation de représentations antijuives où fusionnaient l’antijudaïsme théologique islamique multiséculaire et les stéréotypes antijuifs de la culture occidentale, eux aussi enracinés dans une longue histoire.

À titre personnel, je suis toujours circonspecte quand je vois un élu et plus encore un président de la République se déplacer pour discourir devant «une communauté», c’est-à-dire un parterre de représentants autoproclamés en qui la majorité de ladite «communauté» ne se reconnaît généralement pas. Cela est vrai pour les juifs comme pour les musulmans d’ailleurs! Dans l’état actuel de notre pays, la seule communauté qu’un chef de l’État doit reconnaître et légitimer, à laquelle il doit s’adresser, c’est la communauté nationale. La France est précisément fracturée d’avoir été découpée en parts de marché communautaires, c’est-à-dire en clientèles exprimant des revendications identitaires sur fond d’extension des droits-créances aux dépens des droits-libertés.

Un président de la République et son ministre des cultes, à savoir le ministre de l’Intérieur, n’ont pour légitimes interlocuteurs que les autorités religieuses reconnues par l’État telle que le Consistoire central crée par Napoléon pour les Français juifs, la Conférence des Évêques de France, l’Église protestante unie de France, le CFCM pour les musulmans à défaut d’une meilleure structure. Ces institutions représentent les fidèles pratiquants d’une religion, elles n’ont aucun rôle politique à jouer, encore moins législatif. Il est regrettable que nos chefs d’État aient pris la triste habitude de venir parler politique devant des représentations communautaires. C’est très révélateur de leur incapacité de parler à tous les Français, comme s’ils avaient acté que plus rien de commun ne nous rassemblait. Or c’est faux, il existe une envie, un besoin d’unité nationale fondée sur des principes, une histoire, un projet véritablement démocratique, communs ; ce sont les politiques qui entretiennent la division en jouant les «communautés» les unes contre les autres, en laissant les prêcheurs de haine prendre en otage une partie des Français musulmans. Électoralement c’est bien sûr plus payant, mais historiquement c’est suicidaire.

Emmanuel Macron a tout de même évoqué «l’hydre islamiste»…

On atteint en ce moment un niveau inquiétant d’hypocrisie. L’exécutif ne cesse d’invoquer la nécessité d’une lutte sans merci contre le communautarisme islamiste, cette fameuse «hydre islamiste» dont le président n’a pourtant pas clairement défini les visages, ce qui va rendre difficile le travail d’Hercule pour reconnaître les têtes à couper. Mais «en même temps» le gouvernement poursuit une stratégie de clientélisme communautariste à grande échelle qui ne dit pas son nom, dont cette résolution de Sylvain Maillard est un exemple, ou encore la visite de M. Castaner à l’iftar de Strasbourg en juin dernier pour adouber Abdelhaq Nabaoui, transfuge des Musulmans de France (ex-UOIF) vers l’AMIF la structure associative bicéphale animée par Hakim el-Karoui et Tareq Oubrou pour organiser l’islam de France voulu par Emmanuel Macron.

Ne pas nommer les acteurs de l’antisémitisme actuel, c’est non seulement perpétuer une forme de déni du réel mais ouvrir la voie aux parallèles infâmes comme on l’a vu lors de la manifestation contre l’islamophobie où les islamistes ont comparé la situation des musulmans en France à celle des juifs sous l’occupation.

C’est pourquoi nos dirigeants politiques devraient perdre cette triste habitude d’user ad nauseam d’analogies renvoyant qui à l’affaire Dreyfus, qui à l’avant-guerre ou à la Shoah. Cela n’a qu’un effet contre-productif: désintéresser du sujet les Français qui en ont assez d’être ramenés aux «bêtes immondes» qui jalonnent leur histoire, sur fond de culpabilisation. Or le sujet de l’antisémitisme, comme histoire autant que fait contemporain, est à forte valeur politique et citoyenne pour peu qu’on ne le noie pas dans le lamento victimaire et l’incantatoire républicain. Ce sujet concerne les Français car ce qu’ont subi leurs concitoyens juifs depuis la fin des années 1990 avait valeur d’alerte, et le déni (notamment politique) a longtemps recouvert cette réalité qui a explosé au visage de tous les Français en janvier 2015. Les Français, athées, juifs, musulmans, chrétiens, bouddhistes, sont ensemble sur le bateau France, ils écopent, parfois ensemble parfois séparément, car ils ne veulent pas faire naufrage collectivement. Mais pour cela, il faut que le capitaine du navire parle à tous d’une seule et même voix et n’hésite pas identifier et isoler les fauteurs de trouble pour les mettre à fond de cale.

Source: FigaroVox. Entretien mené par Paul Sugy. 22 novembre 2019.

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l’auteur de Génération : J’ai le droit. Albin Michel. 2018.

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